Trois questions à Armand Dussex,
Directeur du Musée valaisan des bisses
– Un musée, ouvert l’an dernier, et un chemin tout juste balisé et inauguré, il ne fait pas de doute que pour vous les deux vont de pair …
"Pour moi, dès le début du projet de musée, il y avait l’idée de faire un écomusée. Si l’on veut connaître les bisses, on ne peut se satisfaire d’une présentation théorique. On se doit d’aller sur le terrain, découvrir à la fois les ambiances et les techniques de construction. Inversement, la plupart des gens qui parcourent les bisses n’en connaissent pas vraiment l’histoire ni la manière de les gérer. Le musée sert alors de complément à la découverte et apporte la connaissance.
C’est une expérience qu’il faut vivre sur une journée. Ceux qui parcourent le chemin l’après-midi ne visitent pas le musée. Ils arrivent tard, sont fatigués car ils ont marché assez vite. Il faut prendre le temps de s’arrêter. Par exemple à Torrent-Croix, là où le bisse d’Ayent passe par un tunnel : c’est un endroit magique, comme le répartiteur des Jeuriés. Il faut se laisser pénétrer par tout ça. Si on suit les bisses en courant, on ne voit rien.
Les cinq panneaux didactiques que nous avons installés sont succincts, mais ils permettent de se faire une idée globale bien ciblée de chaque élément. Et quand on arrive au musée, on a déjà une vue d’ensemble de la fonction des bisses et on peut alors se plonger plus facilement dans les détails de l’histoire, de la construction, de l’organisation sociale, etc."
– Ce chemin se déroule le long de trois bisses : Sion, Ayent et Bitailla. Leur environnement est différent, ils ont chacun leur propre histoire, leurs usages varient aussi …
"On a en tout cas deux types d’utilisation : le bisse de Sion est une amenée d’eau, d’une rivière à une autre, reprise encore plus bas par un autre bisse qui dessert le vignoble. Pour les bisses du Bitailla et d’Ayent, c’est différent : tout le réseau d’irrigation de la région en dépend. L’un est d’origine nivale, avec des eaux de printemps qui tarissent, l’autre s’alimente à une rivière glaciaire qui peut amener de l’eau jusqu’à l’automne. L’un est antique, tout laisse à penser qu’il existe depuis très longtemps. L’autre date de l’époque de la grande construction des bisses aux 14e et 15e siècles.
Sur le bisse d’Ayent, le passage scabreux de Torrent-Croix causait les pires soucis. Il était tellement difficile à entretenir qu’on l’a même abandonné. Mais on s’est vite rendu compte qu’il était absolument indispensable à la vie de la région : en 1830 on décida de creuser un tunnel et on fit appel à l’époque à un mineur italien. C’est à ma connaissance le premier ouvrage de ce genre sur un bisse. Peu à peu, bon nombre de ces passages délicats ont été remplacés eux aussi par des tunnels. À Torrent-Croix, vu que l’endroit était plutôt inaccessible, les vestiges des chéneaux sont restés en place tant que les tempêtes ne les arrachaient pas. On avait encore des pièces en place un siècle et demi après la construction du tunnel et on a pu le restaurer un peu comme il était auparavant."
– Pour vous, le chemin des bisses a manifestement pour vocation de servir de lien entre les gens d’ici, mais aussi avec des gens d’ailleurs …
"Dans les communes où il y a une station touristique et des villages agricoles, il y a toujours entre eux une sorte d’antagonisme. On reproche à la commune de donner plus à l’une qu’aux autres. À mon avis, ces antagonismes n’ont pas de raison d’être, c’est toute l’économie de la région qui vit de ces deux pôles, la vigne d’un côté, le tourisme de l’autre, cela permet à bien des gens de vivre. Recréer ce lien est peut-être une bonne chose.
Jadis Ayent et Arbaz appartenaient à une seule et même commune. À un moment donné, pour des conflits qu’on a maintenant oubliés, il y a eu séparation. Aujourd’hui les rapprochements se font beaucoup plus nombreux et ce chemin des bisses qui les relie l’un à l’autre renforce ce contexte sympathique.
Il faut dire aussi que les bisses favorisent l’ouverture au monde. Partout où il y a d’un côté des réserves d’eau et de l’autre des terres à cultiver et arroser, l’homme a inventé une manière d’amener l’eau. Ce qui caractérise les systèmes d’irrigation en Valais, c’est la densité du réseau et les difficultés des parcours dans les falaises de rochers.
Au Musée, on a pour le moment deux projets, l’un avec la Vanoise, en Savoie, où les bisses ont tous été abandonnés contrairement à ce qui s’est passé en Valais. Un groupe de recherche veut aujourd’hui les faire connaître, peut-être les restaurer, en tout cas les mettre en valeur. On a un second projet avec un groupe du Tyrol autrichien qui a décidé de nous offrir une plaque d’arrosage que l’on pourra comparer aux nôtres. En fait on a des demandes de contacts qui viennent d’un peu partout. À nous de les cultiver et d’aller de l’avant avec des projets communs."
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt
Photos © aqueduc.info