Pas de quoi jouer les étonnés. Avant Copenhague, on s’interrogeait ici sur l’absence de référence à l’eau dans ses textes préparatoires. Comme si les perturbations du cycle de l’eau ne constituaient pas le signe annonciateur de changements climatiques. Comme si les questions de l’accès à l’eau n’étaient d’aucune importance pour la survie de l’humanité. Comme si une meilleure gestion de cet élément ne faisait pas partie des priorités de l’adaptation aux nouvelles donnes écologiques. Pas de surprise donc à la lecture du vrai-faux accord final dont la Conférence s’est contentée de ‘prendre note’ : le mot eau n’y figure pas. (1)
Ce n’est pas le lieu ici de tirer un quelconque bilan de ce rendez-vous de Copenhague prédit comme celui de la dernière chance et dont certains pensent qu’il fut peut-être pire que ce que les plus pessimistes pouvaient imaginer. On aura pu lire ailleurs, en long et en large, les titres plutôt désabusés de la presse internationale et les commentaires dépités ou irrités, voire cyniques, de nombre de ses participants et observateurs officiels ou associatifs. Il n’est pas impossible, avec le recul, qu’on tire des conclusions un peu plus sereines de l’événement. Mais, à chaud, le vocabulaire est explicite : imbroglio, chaos, désillusion, échec, fiasco, catastrophe, etc.
Pendant ce temps, la Terre continuait de tourner. Et l’eau de couler. Du moins là où il y en a. La nouvelle la plus inattendue nous est venue d’Australie. Quelque six mille dromadaires, traqués par la sécheresse, ont envahi un village du centre du pays et s’en sont pris à tout ce qui pouvait étancher leur soif, des conduites d’eau jusqu’aux égouts. Il y a un siècle, on les avait introduits sur le continent pour servir de bêtes de somme dans les grands espaces désertiques. Abandonnés lorsqu’arrivèrent des moyens modernes de transport, on les rendit à la vie sauvage et aujourd’hui on en compte plus d’un million. Les autorités australiennes ont décidé d’agir et de lancer une battue générale avec, pour objectif, d’abattre au moins la moitié de ces camélidés indésirables. Qu’imagineront-elles quand la soif ne fera plus la guerre aux animaux seulement ?
Pendant ce temps aussi, une équipe internationale d’astronomes annonçait la découverte d’une nouvelle super-terre, inscrite au registre des exoplanètes sous le matricule GJ1214b, six fois plus grande que notre globe à nous, et dont les trois quarts seraient composés d’eau gelée. Mais les spécialistes précisent aussitôt que la température y est tellement glaciale que toute vie en est exclue. Alors que sur notre planète on n’arrive pas à se mettre d’accord sur les moyens de la sauver, on aurait pu au moins se consoler de savoir qu’il existe quelque part dans l’univers un paradis en bon état. Sauf qu’il se trouve à plus d’une quarantaine d’années-lumière de Copenhague…
Plus réaliste, et plus proche de nos préoccupations immédiates, Martin Beniston, climatologue à l’Université de Genève, tire un parallèle entre le climat du nord du Chili et celui de la Suisse. Ce qui se passe là-bas, écrit-il dans un article publié par le quotidien ‘Le Temps’ (2), pourrait un jour se produire ici aussi : “lorsque les glaciers auront disparu et que la neige sera beaucoup moins abondante, l’eau commencera à manquer très sérieusement en de nombreux endroits du pays”. Et chacun sait que c’est lorsque l’eau commence à manquer que les conflits d’intérêts se déclarent : “à qui donnera-t-on la priorité entre l’agriculture, le tourisme et l’hydroélectricité ?”
On vient d’avoir, en Suisse, un avant-goût de réponse à ces questions de gouvernance. Les Chambres fédérales, lors de leur session de décembre, se sont mises d’accord sur de nouvelles dispositions législatives dans le domaine de la protection des eaux et de leur utilisation. Face à une initiative populaire qui avait recueilli plus de 160’000 signatures pour la renaturation des rivières mises à mal par l’homme (3), les parlementaires ont échafaudé non sans succès de subtils compromis entre pêcheurs, agriculteurs, écologistes et producteurs d’hydroélectricité. La morale de l’histoire, c’est que tout développement durable passe inévitablement par la voie du compromis où chaque partenaire, même si cela réclame du temps et de la patience, s’efforce d’adhérer à l’intérêt bien compris de la collectivité. Ce que Copenhague n’a manifestement pas réussi.
Bernard Weissbrodt
Notes
(1) Voir l’éditorial “Copenhague, l’eau évaporée”,
27 novembre 2009 et le dossier Eau et climat
(2) Martin Beniston, “Le Chili, l’eau et la Suisse de demain”,
dans ‘Le Temps’, 17 décembre 2009
(3) Voir dans aqueduc.info : “Les pêcheurs suisses retirent l’initiative ‘Eaux vivantes’”, 17 décembre 2009