AccueilInfosDossiersLa débâcle du Giétro 1818-2018

13 juillet 2018.

L’avâlo, la débâcle

Giétro 1818-2018 - Dossier [2/8]

Le glacier du Giétro, situé dans le Val de Bagnes et culminant à quelque 3800 m d’altitude sous les sommets de la Ruinette et du Mont-Blanc de Cheilon, surplombe le versant droit de la haute vallée occupée aujourd’hui par le lac de barrage de Mauvoisin. Au début des années 1800, comme tous les glaciers alpins, il était beaucoup plus vaste et volumineux que ce qu’on en connaît deux siècles plus tard. À l’époque, les habitants de cette vallée drainée par la Dranse redoutaient déjà ses avalanches de glace. La première débâcle recensée avec certitude remonte au printemps 1595 : selon les différents récits, elle aurait coûté la vie de quelque 70 à 150 personnes et détruit plusieurs centaines de bâtiments. Les Bagnards ont donc de quoi se montrer inquiets lorsqu’en avril 1818 ils comprennent qu’ils ne sont pas à l’abri d’une possible et nouvelle catastrophe. Dans "Giétro 1818 – La véritable histoire", Christine Payot et Armand Meilland [1] ont reconstitué une chronologie précise des événements de ce tragique printemps. C’est de cet ouvrage qu’est tiré l’essentiel des repères historiques ci-après.

Les signes du danger

Fin avril 1818, les habitants du Val de Bagnes se demandent pourquoi, malgré les habituels dégels du printemps, l’eau est si peu abondante dans leur rivière. En remontant la Dranse, certains d’entre eux découvrent alors qu’une avalanche de neige et de séracs provenant du glacier du Giétro a totalement obstrué le haut de la vallée. Et qu’un immense lac de plus de 3 kilomètres de longueur s’est formé derrière ce cône de glace haut de plusieurs dizaines de mètres. Le pire est à craindre si cette digue naturelle de glace s’effondre alors que le niveau d’eau du lac monte rapidement.

Le percement de la galerie

Vite alertées, les autorités valaisannes dépêchent sur place leur jeune ingénieur cantonal, Ignaz Venetz, qui prend immédiatement la mesure du danger. Compte tenu de l’urgence, la seule et unique solution qui lui paraît appropriée est de percer dans la barre de glace et par les deux côtés une galerie horizontale par laquelle il devrait être alors possible d’évacuer progressivement une bonne partie de l’eau de la retenue. 26 ouvriers engagés par l’ingénieur commencent les travaux le 11 mai, soit le lendemain de son arrivée à Mauvoisin. Cela n’ira pas sans problèmes : les conditions de travail dans la glace sont extrêmement pénibles, les outils sont tout à fait rudimentaires, les motifs de découragement et les envies d’abandon ne manquent pas, sans parler des risques continuels de chutes de séracs et d’avalanches.

L’eau s’écoule, mais …

Le 4 juin, les équipes de creusement des galeries opèrent leur jonction sous le cône glaciaire mais elles doivent ensuite poursuivre les travaux d’abaissement de sa base jusqu’au niveau du lac dont le volume finira par dépasser les 30 millions de mètres cubes. Neuf jours plus tard, l’eau commence à s’écouler et rejoint le lit de la rivière. L’ingénieur Venetz constate que la galerie s’élargit et s’enfonce comme prévu, mais aussi que la barre de glace, affaiblie par l’action de l’eau, laisse apparaître des marques de fissure. En aval, les habitants, enfin rassurés de voir que l’eau coule à nouveau dans la Dranse, relâchent quelque peu leur vigilance.

Mardi 16 juin 1818, 16h30

La barre de glace finit par se rompre, le lac se vide aussitôt et les 20 millions de mètres cubes d’eau qu’il contenait encore partent en débâcle dans la vallée. "L’avâlo", comme disent les Bagnards [2], va tout arracher sur son passage jusqu’à son arrivée dans la vallée du Rhône, quelque 35 kilomètres plus loin. Dans "une vapeur noire", la vague d’eau, de glace et de boue, emporte arbres et rochers, détruit ponts et habitations. Le village de Champsec est anéanti "jusqu’à la dernière maison". Le système d’alerte, qui n’a pas fonctionné dans la vallée de Bagnes, a pu être actionné au-dessus de Martigny vers 17h45, mais c’était déjà trop tard.

"On ne voyait qu’un brouillard roux et très obscur et des masses extraordinaires de bois comme avant-garde. C’est ce qui a fait que nous avons été obligés de décamper à la hâte et que nous n’avons pas même eu le temps de prendre un morceau de pain dans notre poche." (Extrait d’une lettre rédigée le 20 décembre 1818 par Jean-François Closuit, de Martigny)


36 victimes

Le nombre exact des victimes de la débâcle du Giétro ne sera sans doute jamais connu avec certitude, mais compte tenu des circonstances, la catastrophe n’aura fait que peu de victimes, notent Christine Payot et Armand Meilland qui ont tenté de démêler les incohérences et les discordances entre divers décomptes. Selon les registres paroissiaux, qui représentent la source la plus fiable, 36 personnes, dont une majorité de femmes, ont trouvé la mort dans la catastrophe, y compris deux décès accidentels probablement liés à l’événement : 5 dans le Val de Bagnes, 5 à Sembrancher et 26 à Martigny. Quant aux dégâts matériels, ils ont été estimés à près de 1,2 million de francs de l’époque (par comparaison, le salaire d’un journalier était alors d’environ un franc) : animaux emportés, ponts et bâtiments détruits, cultures ravagées, etc.

Dossier rédigé par
Bernard Weissbrodt




Notes

[1Christine Payot et Arnaud Meilland (Bureau CLIO), "GIÉTRO 1818. La véritable histoire." Ouvrage publié par les Éditions Faim de siècle et le Musée de Bagnes à l’occasion des 200 ans de la débâcle du Giétro. 272 pp. Un second volume, "GIÉTRO 1818. Une histoire vraie", est en préparation sous la direction de Mélanie Hugon-Duc (Musée de Bagnes).

[2Selon le Dictionnaire du patois de Bagnes qui doit paraître prochainement, le mot "avâlo" (le ’o’ final est quasiment muet dans le parler local) désigne une débâcle ou une inondation causée par une rivière en crue, mais il s’applique plus particulièrement à la débâcle du 16 juin 1818, voire à celle de 1595.

Infos complémentaires

16 juin 1818 : la débâcle du Giétro


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 La pérennité des souvenirs
 La convergence de trois pionniers
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 Les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier spécial aqueduc.info téléchargeable ici (19 pages).

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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