AccueilInfosArrêts sur infos

24 octobre 2019.

Impacts du changement climatique : retour sur la canicule 2018

Après 2003 et 2015, la Suisse a connu en 2018 un nouvel été (...)

Après 2003 et 2015, la Suisse a connu en 2018 un nouvel été caniculaire avant que l’année 2019 ne s’inscrive elle aussi dans cette tendance de saisons estivales particulièrement chaudes. À l’instar de ce qu’il avait déjà fait il y a trois ans, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), en collaboration avec d’autres offices de l’administration fédérale, vient de publier une analyse détaillée de la canicule de l’été 2018 [1]. Ce rapport de 91 pages montre en particulier que la canicule et la sécheresse de l’an passé ont eu parfois de graves conséquences, notamment sur la santé de la population, les forêts, les eaux et l’agriculture. On trouvera ci-dessous un résumé de quelques-uns de ses constats liés aux ressources en eau et à leurs principales utilisations.

La Suisse aura connu en 2018 l’année et l’été les plus chauds depuis le début des mesures systématiques des températures. Comme en 2015, de nombreuses régions du pays ont à nouveau été touchées par des vagues de chaleur pendant plusieurs jours, accentuées par une quantité exceptionnellement faible de précipitations. D’avril à septembre, le déficit de précipitations sur l’ensemble de la Suisse par rapport aux moyennes saisonnières a été de 31 %, voire de 40 % dans certaines régions de Suisse orientale.

Ici et là, des niveaux d’eau au plus bas

 La sécheresse de 2018, de juillet jusqu’à la fin de l’année, s’est d’abord traduite par une diminution du débit de nombreuses sources et l’abaissement des niveaux de nombreux cours d’eau dont certains se sont quasiment retrouvés à sec. Ce n’est qu’avec les précipitations sur le versant nord des Alpes en décembre 2018 et en janvier 2019 que les cours d’eau ont peu à peu retrouvé leur équilibre. Durant l’été, la situation était totalement différente dans les versants alimentés par des glaciers : par exemple, les débits de la Massa, en Valais, alimentée par l’eau de fonte du glacier d’Aletsch ont atteint à plusieurs reprises des valeurs relevant du niveau de danger 3 (danger marqué).

 Même si la plupart des lacs suisses disposent d’un système de régulation qui permet de gérer leur hauteur d’eau, nombre d’entre eux ont enregistré des niveaux particulièrement bas pour la saison, atteignant ici et là de nouveaux minima mensuels absolus. À la mi-septembre par exemple, le lac des Brenets, dans le Jura neuchâtelois, alimenté par le Doubs, était asséché en de nombreux points.

 Les eaux souterraines, qui avaient été bien alimentées au printemps par la fonte des neiges, n’ont pas été épargnées : en maints endroits, leurs niveaux ont baissé durant l’été pour rester, parfois, au plus bas jusqu’en fin d’année. À noter qu’ici et là des pompes à chaleur ont cessé de fonctionner en raison du faible niveau des eaux souterraines.

Mauvaise année pour les glaciers

 Durant l’été 2018, les quelque 1500 glaciers suisses ont perdu grosso modo 1400 millions de mètres cubes de glace, soit environ 2,7 % de leur volume estimé à la fin de l’année hydrologique précédente. Pour nombre d’entre eux, cela s’est traduit par une diminution de 1,5 à 2 mètres d’épaisseur moyenne de glace, parfois beaucoup plus. La multiplication des étés caniculaires est jugée dévastatrice pour l’ensemble des glaciers qui, en une décennie, ont vu fondre un cinquième de leur masse. De nombreux petits glaciers sont d’ores et déjà en voie de disparition.

 Le pergélisol – c’est-à-dire le sous-sol gelé en permanence qui occupe environ 5 % de la surface du pays – avait connu une ou deux années de répit. Ses modifications ne sont pas directement visibles, mais il a été constaté durant l’été 2018, sur plusieurs sites d’observation, que la couche de dégel atteignait une épaisseur record, ce qui accroît fortement les risques d’instabilités rocheuses et d’éboulements (c’est une autre raison qui explique le spectaculaire glissement de terrain près du Glacier d’Aletsch, à savoir son retrait, qui au fil du temps finit par déstabiliser les flancs de montagnes qui le bordent).

L’approvisionnement en eau potable
a toujours été garanti

Qui dit sécheresse prolongée, dit aussi possibles difficultés d’approvisionnement en eau et restrictions d’utilisation. Des pénuries en eau potable ont été sporadiquement observées, notamment dans les régions qui dépendent principalement de sources karstiques. Ici et là, ces déficits ont pu être comblés grâce aux réseaux avoisinants et dans certains cas des mesures d’urgence ont dû être prises. Mais l’approvisionnement en eau potable a toujours été garanti.

Les auteurs du rapport de l’OFEV expliquent à ce propos que "les utilisateurs touchés par des restrictions ou des interdictions de puiser dans les eaux superficielles aux fins d’irrigation agricole, motivées par la nécessité de protéger les organismes vivants aquatiques, se sont rabattus sur les réseaux publics de distribution d’eau". Autrement dit : en période de sécheresse, la concurrence entre les consommateurs d’eau s’intensifie.

Le secteur de l’agriculture est plus exposé que les autres aux aléas climatiques. D’après les premières estimations de l’Office fédéral de la statistique, les secteurs des grandes cultures et des cultures fourragères ont souffert de la sécheresse et les coûts de production ont augmenté. À l’inverse, les récoltes de fruits et de raisins ont été nettement supérieures à celles de 2017, qui avaient toutefois été touchées par un fort gel printanier. Au final, l’impact de la sécheresse sur l’agriculture n’aura peut-être pas été aussi grave qu’on ne l’avait craint à la fin de l’été. Mais on s’attend tout de même à une diminution de près de 3 % du revenu net des entreprises du secteur agricole.

On n’oubliera pas, dans ce bilan, que certains alpages de Suisse romande et de Suisse orientale ont manqué d’eau pour le bétail. L’armée a dû intervenir pour assurer leur ravitaillement : ce ne sont pas moins de 1344 m3 qui ont été transportés par hélicoptère dans les régions de montagne de sept cantons
 [2].

Les poissons craignent les eaux chaudes

Du fait de la canicule, de la sécheresse et des bas niveaux d’eau, de nombreux cours d’eau ont atteint des températures très élevées, voire ici et là de nouveaux maxima absolus depuis le début des mesures. Il faut savoir qu’au-delà de 25 °C les eaux de rivières peuvent être mortelles pour certains poissons, truites, corégones et ombres notamment. Les mesures de sauvegarde prises en urgence n’ont pas empêché par exemple la forte hausse de poissons retrouvés morts en août dans le Rhin.

De toute évidence les écosystèmes aquatiques ont été mis sous pression mais les poissons ne sont pas les seules espèces animales à avoir souffert de la canicule. D’autres qui ont également besoin de milieux naturels aquatiques ou humides ont également été décimées dans des points d’eau asséchés. Des espèces adaptées au froid ont souffert des températures élevées et la teneur en oxygène des lacs s’est dégradée.

D’où l’importance, soulignée dans le rapport de l’OFEV, de "mettre la priorité sur le maintien ou le rétablissement de cours d’eau aussi naturels que possible, avec une végétation riveraine suffisante, sur la revitalisation des eaux et sur l’assainissement de la force hydraulique. Les poissons et autres organismes aquatiques appréciant les eaux froides disposeront ainsi d’habitats appropriés, ainsi que d’endroits où se réfugier si nécessaire."

Du point de vue de la faune et de la flore, le bilan de la canicule 2018 affiche toutefois un tableau mitigé, et il n’est pas encore possible d’identifier ou d’en mesurer tous les effets. D’un côté, on a vu des forêts prendre des couleurs automnales et perdre des feuilles dès le mois de juillet, la mortalité des épicéas, des sapins blancs et des hêtres est à la hausse. D’un autre côté, on note tout de même quelques bonnes nouvelles : le temps sec a par exemple profité à de nombreuses espèces d’oiseaux pendant la période de reproduction et d’élevage des oisillons. Les arbres dépérissants et le bois mort ont également un rôle primordial pour de nombreux insectes et champignons.

Mauvais second semestre
pour les centrales au fil de l’eau

Sur l’ensemble de l’année 2018, la baisse de la production d’hydroélectricité est restée limitée par rapport à la moyenne des autres années. Si les débits et donc la production d’électricité ont été élevés durant le premier semestre, la suite de l’année a connu la plus faible production d’électricité relevée ces dix dernières années au cours d’un second semestre.

Au contraire des producteurs d’énergie solaire pour qui la canicule était une aubaine, nombre de propriétaires de petites installations hydroélectriques de Suisse centrale et orientale et du Jura d’une puissance inférieure à un mégawatt ont subi de lourdes pertes : dans huit cantons, la plupart d’entre eux ont dû interrompre totalement leur production en raison des faibles débits des cours d’eau. Les centrales nucléaires de Mühleberg et de Beznau ont quant à elles réduit temporairement leurs activités pour limiter un réchauffement supplémentaire des rivières.

Navigation difficile sur le Rhin

En automne, le bas niveau des eaux a fortement compromis la navigation sur le Rhin [3] et la liaison fluviale avec la Mer du Nord qui représente un axe particulièrement important de son approvisionnement en marchandises essentielles à l’économie suisse. Le transport fluvial ayant dû être drastiquement réduit notamment sur le Rhin moyen allemand, voire parfois suspendu, la Confédération a été contrainte, dans une mesure sans précédent, de libérer les réserves obligatoires d’engrais, de fourrage, d’huiles, de corps gras, de carburants et de combustibles liquides.

Cette situation d’étiage a eu son lot de conséquences dans le port de Bâle qui sert de porte d’entrée suisse des marchandises d’importation : en 2018 les arrivages ont diminué de 20 % par rapport à l’année précédente. Vu que les travaux d’approfondissement du chenal navigable en région bâloise se sont achevés au printemps 2019, la situation devrait en principe se révéler moins tendue en cas d’étiages prononcés.

S’adapter aux changements climatiques,
une nécessité incontournable

"Étant donné qu’il n’est pas possible de faire machine arrière, notent dans une préface commune les directeurs de quatre Offices fédéraux (environnement, santé publique, protection de la population et MétéoSuisse), il est d’autant plus important que nous n’acceptions pas les changements climatiques avec fatalisme, mais au contraire que nous prenions des mesures ciblées pour les enrayer et nous adapter à leurs répercussions (…) Sachant que, dans notre pays, les températures montent deux fois plus qu’ailleurs et que les risques climatiques peuvent se multiplier et s’intensifier, il est également primordial de renforcer la résilience de l’homme, mais aussi des écosystèmes et des infrastructures critiques. C’est là notre unique chance d’empêcher que, à l’avenir, les vagues de chaleur et les épisodes de sécheresse plus intenses ne se traduisent par des dégâts plus importants encore que ceux de l’été 2018." (Source : OFEV)



Notes

[1Office fédéral de l’environnement (OFEV), « La canicule et la sécheresse de l’été 2018 - Impacts sur l’homme et l’environnement », Berne, 2019, 91 pages. Disponible sur le site de l’OFEV

[3Voir l’article aqueduc.info : La navigation sur le Rhin face aux bas niveaux du fleuve (30 octobre 2018).

Infos complémentaires

Sur le même thème, voir aussi les articles aqueduc.info :
 La canicule de l’été 2003 n’a pas affecté la qualité de l’eau (août 2004)
 Lendemains de canicule (septembre 2015).

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


Contact Lettre d'information