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Lyon 2019

25 septembre 2019.

Quelques sujets de thèse, parmi d’autres

Échos des 4e Doctoriales en sciences sociales de l’eau
Lyon, 5-6 septembre 2019 - DOSSIER [4/6]

Les quatre sujets de thèse brièvement présentés ici de façon arbitraire témoignent d’une part de la diversité des lieux de recherche (ici dans deux régions françaises, en Afrique australe et en Californie), et d’autre part de la pertinente actualité des thèmes abordés (images-vignettes des auteurs).

Sommes-nous prêts à irriguer nos légumes
avec l’eau des toilettes ?

Dans la présentation de sa thèse "en trois images et 180 secondes", Benjamin Noury [1] s’interroge sur la meilleure façon d’expliquer à monsieur tout-le-monde les tenants et aboutissants de la réutilisation des eaux usées traitées. Au fil de ses rencontres impromptues, il s’est aperçu que cette pratique encore limitée est généralement inconnue de ses interlocuteurs. Des questions de communication se posent alors en lien avec l’acceptabilité sociale de cette pratique. Le chercheur résume différentes manières d’aborder ce sujet : "on peut diffuser un message conçu dans notre coin du type : ’demain nous boirons tous notre urine et ce sera super !’ - on peut aussi consulter les gens pour recueillir leur avis : ’est-ce que vous boiriez votre urine ?’ - on peut les inviter à réfléchir à quelles conditions ils boiraient leur urine - ou enfin, les laisser décider de comment ils voudraient boire, ou pas, leur urine." Benjamin Noury poursuit désormais sa quête de réponses à ces questions de "représentation sociale" des eaux recyclées.

Comment conjuguer sylviculture et agriculture,
aménagements urbains et tourisme
autour d’une même rivière ?

On dit de la Sabie River, qui s’écoule sur 230 km entre l’Afrique du Sud et le Mozambique où elle rejoint le fleuve Incomati, qu’elle est l’une des rivières les plus sauvages de la région. Rien d’étonnant donc à ce que son tronçon aval fasse partie de la grande réserve sud-africaine du Kruger National Park. Si Nicolas Verhaeghe [2] s’y intéresse, c’est parce que les ressources hydriques de la Sabie sont au cœur d’une intense compétition entre de multiples acteurs et usagers. Entre autres, en amont : une industrie forestière et des plantations d’essences exotiques, pins et eucalyptus. Dans le cours moyen : une agriculture irriguée qui alimente le marché intérieur mais exporte aussi avocats, bananes, litchis et noix de macadamia. En aval, des activités de loisirs et d’écotourisme international s’appuyant sur les ressources paysagères et biologiques de la rivière. Sans oublier le Mozambique pour qui la Sabie représente une part importante des ressources d’approvisionnement en eau potable de sa capitale Maputo. D’où la question que se pose le doctorant : à quelles stratégies ces différents acteurs recourent-ils pour sécuriser voire accroître leur accès à ces ressources hydriques ?

En matière de droit à l’eau,
la démocratie n’est pas forcément
synonyme de justice

À deux heures de route de Los Angeles, en Californie, la petite vallée de Cuyama a tout d’un "désert vert". Il n’y tombe qu’une quinzaine de centimètres de pluie par an et pourtant c’est là que pousse une fameuse carotte américaine (baby carrot) sous le contrôle de deux riches entreprises privées qui pompent dans la nappe phréatique et la vident deux fois plus vite qu’elle ne peut se remplir. Les habitants de la vallée, eux, s’approvisionnent en eau potable dans les supermarchés parce que, du fait de l’extraction hydraulique intensive, l’eau de leurs robinets contient des métaux lourds, arsenic et autres substances certes naturelles mais dangereuses. Élise Boutié [3] a consacré une partie de sa recherche à cette situation qui, selon elle, pose clairement "la question de la justice environnementale". Elle a en effet constaté que les processus démocratiques de concertation mis en place par l’État californien pour tenter de réguler l’usage des nappes phréatiques sont en fait "détournés de leur but initial" : les habitants, dont la majorité vit en-dessous du seuil de pauvreté, et à qui on prétend déléguer les décisions locales n’ont aucun moyen de contredire des entreprises qui pèsent des milliards de dollars. L’État pourra donc, en toute bonne conscience, cocher la case : « consultation avec la communauté ».

Quand une ville océane fait le choix
d’un littoral sans déchet

Combien de fois vous êtes-vous demandé où finissent nos déchets ? C’est certain, quantité d’entre eux finit hors du système de gestion classique, dans les océans. Et que fait-on pour remédier à cette pollution ? Julie Désert [4] étudie le cas de Biarritz, haut-lieu du tourisme balnéaire français. Pour répondre à des impératifs touristiques, économiques, politiques et esthétiques, cette ville a fait le choix d’effacer toute forme visible de pollution océanique et de proposer en permanence "un paysage sans déchet" fait de sable blanc, d’espace-vague et de fameux rochers. À longueur d’année, Biarritz nettoie donc systématiquement son littoral : manuellement, avec des machines, et en mer avec des filets flottants. Ce n’est pas sans conséquences écologiques : les débris naturels de la laisse de mer ont disparu alors qu’ils participent à l’équilibre de l’écosystème marin. Autre problème : cette volonté d’offrir un paysage sans déchet est souvent rattrapée par les aléas météorologiques et par la réalité des déversoirs de pluies orageuses qui dégradent la qualité des eaux. D’où ce cycle sans fin entre pollutions et nettoyages, nettoyages et pollutions.


Un temps
pour les posters ...

Quelques doctorant-e-s avaient choisi de présenter leurs sujets de thèses sous forme de posters. Plusieurs de ces présentations portaient sur des problématiques liées aux changements climatiques et aux perceptions, pratiques et usages de l’eau dans des territoires ruraux touristiques (par exemple dans le Marais Poitevin ou dans le bassin versant de la Dordogne) ou à la régulation de certains loisirs en milieu aquatique, comme la pêche d’espèces fragiles.

... et un espace
de speed networking

Ces 4e Doctoriales ont été aussi l’occasion pour une vingtaine de doctorant-e-s et jeunes chercheur-e-s de participer à une séance collective de "réseautage rapide" – trois minutes par entretien – et d’avoir un premier contact avec une dizaine de représentants d’institutions internationales, d’entreprises, de bureaux d’étude et d’associations du secteur de l’eau. Il n’est jamais trop tôt pour penser à l’après-doctorat.



Notes

[1Benjamin Noury, "Les conditions d’intégration de la réutilisation des eaux usées traitées dans les stratégies individuelles et collectives des acteurs d’un territoire", IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), Montpellier.

[2Nicolas Verhaeghe, "Partager les ressources de la Sabie river", Université Paris Nanterre.

[3Élise Boutié, "Attendre la fin, et après ? Ethnographie de l’épuisement en Californie", École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris.

[4Julie Désert, "Déchets sauvages et fabrication de l’ordre paysager : analyse des conflits et usages des représentations paysagères océanes - étude de cas de la ville de Biarritz - Pyrénées - Atlantiques", Université de Picardie Jules Verne, Amiens.

Infos complémentaires

VOIR SUR CE SITE LES AUTRES ARTICLES
DÉDIÉS À CES DOCTORALES 2019 :
L’eau crée du lien, dans la recherche aussi [1]
Les doctoriales, espace de dialogue entre générations de chercheurs [2]
Quid des processus participatifs dans la gestion des rivières ? [3]
Des canaux parisiens aux toits du Caire [5]
L’eau : poétique, politique, théâtrale, … [6]

Tous les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier aqueduc.info (12 pages) en format pdf
téléchargeable ici.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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