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Lyon 2019

25 septembre 2019.

Des canaux parisiens
aux toits du Caire

Échos des 4e Doctoriales en sciences sociales de l’eau
Lyon, 5-6 septembre 2019 - DOSSIER [5/6]

Quoi de plus stimulant pour de jeunes chercheur(e)s que de découvrir un travail très abouti ? Ou d’explorer d’autres chemins, comme celui de la photographie, pour mieux comprendre la société ? C’est ce genre d’interrogations qui a conduit les organisateurs de ces 4e Doctoriales à proposer deux regards particuliers sur des usages de l’eau. Celui de Solenn Guével, auteure d’une thèse consacrée à l’histoire des relations entre Paris et ses canaux entre 1818 et 1876, et récompensée en 2018 par le prix "Sciences humaines et sociales" décerné chaque année par la Société hydrotechnique de France. Et celui de Marie Piessat, par le biais d’une exposition dédiée à un choix de photos prises sur des toits du Grand Caire entre octobre 2017 et février 2019.

Un exemple de thèse réussie ...

La période du 19e siècle retenue par Solenn Guével pour sa recherche sur l’histoire des relations entre Paris et ses canaux correspond aux années qui ont vu la capitale française concéder ses infrastructures à des sociétés privées et connaître une ère de grande prospérité grâce à la construction de ses grands canaux (l’Ourcq, Saint-Denis, Saint-Martin). L’historienne a cherché à mieux comprendre comment ces voies d’eau se sont inscrites dans le territoire, comment la ville s’est adaptée à cette nouvelle infrastructure et comment celle-ci s’est intégrée dans le paysage parisien.

Depuis leur création jusqu’à la fin du 19e siècle, explique-t-elle, "qu’ils servent au transport de marchandises ou à l’adduction d’eau, qu’ils soient à l’air libre ou recouverts, les canaux ont exercé une influence forte sur la formation de la ville qu’ils traversent ; ils peuvent ainsi être considérés comme des éléments fondateurs de l’espace urbain à leurs abords."

On voit ainsi, au fil de l’histoire, comment ces voies d’eau ont embelli le territoire et entraîné la création d’espaces publics, de voies carrossables et d’architectures nouvelles. Mais aussi comment le développement des activités marchandes et la construction d’entrepôts et d’infrastructures industrielles autour des canaux ont peu à peu transformé le bassin en site portuaire. Et enfin comment, aussi, sont nés bien des conflits d’intérêts entre les autorités publiques, les entreprises privées et les populations riveraines privées de promenades et de moyens de franchissement des canaux.

Par ses recherches, Solenn Guével entend fournir quelques éléments de réflexion autour de ces grands ouvrages qui ont d’abord été conçus comme infrastructures techniques et économiques mais qui, aujourd’hui, représentent selon elle un atout vecteur-clé de l’aménagement du territoire parisien et devraient donc être regardés comme de véritables ressources et comme les supports d’une pluralité d’usages.

... et une surprenante expo-photos

"L’idée de me lancer dans un projet de thèse sur les usages de l’eau et l’occupation des toits-terrasses du Caire m’est venue d’un premier travail photographique que j’avais mené dans cette ville avec une amie" raconte Marie Piessat à qui ces Doctoriales lyonnaises avaient donc confié un espace d’exposition intitulé "Sur les traces de l’eau" [1]

"Même si l’Égypte connaît une situation de stress hydrique, on ne le ressent pas du tout dans la capitale qui est très bien desservie. Il n’y a pas de coupures d’eau en dehors des interruptions normales pour des travaux, il y a des jarres dans l’espace public pour les gens qui ont soif, et des seaux d’eau dans les entrées d’immeubles.

Comme au Liban, en Tunisie, en Turquie et d’autres pays méditerranéens, des citernes ont été installées sur les toits. Cela permet de desservir les étages les plus hauts des immeubles, les pompes en rez-de-chaussée étant souvent trop peu puissantes. Sur les toits, on trouve aussi des installations qui utilisent le soleil pour chauffer des tuyaux et qui permettent de fournir de l’eau chaude aux habitants de l’immeuble.

Ce qui m’a le plus surpris sur ces toits, c’est la densité et l’intensité de la vie humaine et animale. Il y a de nombreux élevages de pigeons, mais on y voit aussi des porcs, des chèvres, des vaches et d’autres animaux qui ont tous besoin d’eau. On y pratique aussi l’agriculture et des plantations hors-sol, ainsi que toutes sortes d’activités qui nécessitent de l’eau. Je ne m’attendais pas à y trouver autant de vie.
Les toits, au Caire, font partie de ces rares lieux disponibles en ville. On peut y vivre si on n’a pas de logement, on peut aussi y faire de la musique, de la danse et d’autres loisirs. Dans cette métropole dense et peuplée, ce sont des lieux de plus en plus exploités, où se développe aussi toute une vie de luxe et branchée, comme en Occident, avec des bars, des restaurants, voire de petits hôtels. Ce sont de précieux espaces de liberté."

Texte et interview :
Bernard Weissbrodt



Notes

[1Pour en apprendre davantage sur ce travail, voir l’article qui lui est consacré
sur le site de la revue Urbanités.

Infos complémentaires

VOIR SUR CE SITE LES AUTRES ARTICLES
DÉDIÉS À CES DOCTORALES 2019 :
L’eau crée du lien, dans la recherche aussi [1]
Les doctoriales, espace de dialogue entre générations de chercheurs [2]
Quid des processus participatifs dans la gestion des rivières ? [3]
Quelques sujets de thèse, parmi d’autres [4]
L’eau : poétique, politique, théâtrale, … [6]

Tous les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier aqueduc.info (12 pages) en format pdf
téléchargeable ici.

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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