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28 avril 2009.

La corvée d’eau, une tâche sans fin

BERNARD CAPO-CHICHI - Au Bénin, seule une frange de privilégiés (...)

BERNARD CAPO-CHICHI - Au Bénin, seule une frange de privilégiés bénéficie d’eau courante à domicile de façon permanente. Pour tous les autres, la corvée d’eau, c’est-à-dire aller chercher de l’eau à un point de distribution souvent éloigné pour la ramener à la maison, reste toujours et presque partout d’actualité. Pour la majorité des Béninois, cinquante ans après l’indépendance, l’eau potable est encore un luxe ! Il est moralement insupportable de savoir que des compatriotes, à défaut de mieux, doivent se contenter jour après jour d’une eau insalubre prélevée dans des mares éphémères.

Ou bien l’eau n’est pas disponible parce que c’est la saison sèche et que les puits domestiques ont tari ; les eaux superficielles, mares, marigots ou rivières sont la seule et unique source d’approvisionnement en eau. C’est ce que vivent les milieux ruraux pendant la moitié de l’année.

Ou bien, comme dans les centres urbains, l’eau est disponible, mais l’extension du réseau d’adduction jusqu’à la périphérie des villes se fait attendre, faute de moyens financiers ou en raison d’installations obsolètes et défectueuses.

La corvée d’eau perdure, pourtant le pays est relativement bien arrosé. Le Bénin dispose d’eau douce en suffisance pour répondre aux besoins de ses populations et pour envisager son industrialisation. Cascades ou chutes d’eau, sources artésiennes d’eaux thermales ou non, lacs d’eau douce : toutes ces ressources existent et attendent d’être exploitées.

Le problème ? Comment maîtriser cette eau, la rendre potable et la distribuer jusqu’au plus humble des citoyens ? Un défi pour tout le monde, pour les pouvoirs publics en particulier qui ont l’obligation constitutionnelle de fournir de l’eau potable en quantité et en qualité suffisantes.

Mais les infrastructures de la gestion de l’eau sont si onéreuses que les communes ne peuvent les réaliser sans recourir aux institutions financières internationales, telle la Banque Mondiale. Les processus d’octroi des prêts bancaires sont lents et parsemés « d’embûches ». Rien de surprenant donc à ce que seules les trois plus grandes villes du pays disposent d’usines à eau, au demeurant de taille modeste.

Partout ailleurs ce ne sont que solutions d’attente, pour ne pas dire solutions de fortune : adductions d’eau villageoises, puits à grand diamètre, forages et pompes à motricité humaine. La plupart de ces ouvrages ne doivent leur existence qu’à la générosité d’États ou d’ONG. Mais tous ces efforts, aussi louables soient-ils, et même cumulés, se révèlent très insuffisants compte tenu de la demande d’eau sans cesse croissante. La politique de l’eau s’apparente à du bricolage et du saupoudrage. Elle tient en un mot : échec.

« L’eau nous arrive à pied, tandis que nos besoins prennent l’avion » : l’ironie est fréquente qui dénonce l’absence de rythme dans la réalisation des ouvrages d’eau. Par contre, quand il s’agit d’exploiter les richesses minières, le pétrole, le ciment et autres, aucun investissement n’est assez élevé. Les gouvernements s’y engagent volontiers. Pourquoi traînent-ils les pieds quand il est question de l’eau qui est tout de même la première de toutes les matières premières ?

Ce qui à mon avis fait défaut, c’est un engagement politique fort de la part des gouvernants. Leur passivité pénalise les couches les plus défavorisées de la population et les condamne à se contenter d’une eau douteuse, obtenue au prix d’une corvée éprouvante et chronophage. La corvée d’eau est symptomatique de la pénurie. « Quand l’eau manque, tout nous manque » fait remarquer Abou, chef d’un village connu pour son manque d’eau et où la corvée d’eau est de tradition : quelques jeunes filles en ont fait leur gagne-pain.

Le manque d’eau limite le développement non seulement de la localité qui en souffre, mais aussi du pays tout entier. Outre ses impacts sanitaires, il entraîne l’exode rural, la désaffection des fonctionnaires, la stagnation économique. Il divise le pays en deux zones bien distinctes : celles qui, favorisées, ont accès à l’eau potable (les villes), et celles, déshéritées, où le manque d’eau et ses corollaires sont la règle (les périphéries urbaines et les milieux ruraux). La négligence des pouvoirs publics ne peut que générer l’inégalité et l’injustice, et donc les frustrations sociales.

Bernard Capo-Chichi
texte et photos


Bernard Capo-Chichi, ami de longue date de aqueduc.info, enseigne la physico-chimie de l’eau à l’Institut de mathématiques et de sciences physiques de Porto-Novo (capitale du Bénin) où il est également conseiller pédagogique de formation.



Infos complémentaires

Poste d’eau autonome
à Banigbé (Ifangnin)


:: Postes d’eau
autonomes privés :
le pour et le contre

Le poste d’eau autonome, une initiative privée et informelle d’approvisionnement en eau des populations, est à la mode à Ifangnin, une commune rurale à une trentaine de kilomètres de Porto-Novo, capitale politique du Bénin.

Avec un investissement d’environ un million et demi de francs CFA (soit quelque 2’500 euros), un exploitant privé réalise un forage, puis à l’aide d’une pompe motorisée, remplit un petit château d’eau d’une capacité de 2 à 3’000 litres. L’eau ainsi obtenue, sans traitement chimique ni bactériologique, est ensuite - sans autorisation officielle – vendue aux populations au prix de 15 CFA (2 centimes d’euro) la bassine de quinze litres.

Dans la seule commune d’Ifangnin, on compte actuellement quelque 200 de ces postes autonomes. Ils offrent plusieurs avantages :

 ils comblent le vide laissé par les autorités en matière de fourniture d’eau
 c’est une solution de proximité qui soulage la corvée d’eau
 l’eau y est disponible en toutes saisons
 ils échappent aux dysfonctionnements dus aux manques de maintenance et d’entretien caractéristiques des ouvrages publics.

Mais cette initiative des postes d’eau autonomes privés n’est toutefois pas sans risques :

 elle échappe à tout contrôle sanitaire et l’eau fournie est, dit-on parfois, de mauvaise qualité
 les relations entre les exploitants organisés en association et les mairies ne sont pas toujours au beau fixe, les premiers reprochant aux secondes de n’exister que pour prélever des taxes
 le prix de l’eau fluctue en fonction de la demande et peut se retrouver hors de portée de certains consommateurs
 d’où parfois une certaine méfiance : les exploitants n’échappent pas au soupçon de ne vouloir faire que des affaires et de ne pas s’intéresser au social.

Les mairies se devraient donc de veiller au grain, d’empêcher que des commerçants véreux s’immiscent dans la filière, et de mettre tout en œuvre pour garantir la qualité de l’eau et un niveau de prix accessible à tous. Les postes d’eau autonomes ne sont sans doute pas la panacée pas plus qu’ils ne sont à l’abri de la corruption. Mais si les autorités publiques s’impliquent à les contrôler de manière responsable, de telles initiatives privées jusque dans les coins reculés du pays pourraient rendre de fiers services aux populations défavorisées.

B.C.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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