Ou bien l’eau n’est pas disponible parce que c’est la saison sèche et que les puits domestiques ont tari ; les eaux superficielles, mares, marigots ou rivières sont la seule et unique source d’approvisionnement en eau. C’est ce que vivent les milieux ruraux pendant la moitié de l’année.
Ou bien, comme dans les centres urbains, l’eau est disponible, mais l’extension du réseau d’adduction jusqu’à la périphérie des villes se fait attendre, faute de moyens financiers ou en raison d’installations obsolètes et défectueuses.
La corvée d’eau perdure, pourtant le pays est relativement bien arrosé. Le Bénin dispose d’eau douce en suffisance pour répondre aux besoins de ses populations et pour envisager son industrialisation. Cascades ou chutes d’eau, sources artésiennes d’eaux thermales ou non, lacs d’eau douce : toutes ces ressources existent et attendent d’être exploitées.
Le problème ? Comment maîtriser cette eau, la rendre potable et la distribuer jusqu’au plus humble des citoyens ? Un défi pour tout le monde, pour les pouvoirs publics en particulier qui ont l’obligation constitutionnelle de fournir de l’eau potable en quantité et en qualité suffisantes.
Mais les infrastructures de la gestion de l’eau sont si onéreuses que les communes ne peuvent les réaliser sans recourir aux institutions financières internationales, telle la Banque Mondiale. Les processus d’octroi des prêts bancaires sont lents et parsemés « d’embûches ». Rien de surprenant donc à ce que seules les trois plus grandes villes du pays disposent d’usines à eau, au demeurant de taille modeste.
Partout ailleurs ce ne sont que solutions d’attente, pour ne pas dire solutions de fortune : adductions d’eau villageoises, puits à grand diamètre, forages et pompes à motricité humaine. La plupart de ces ouvrages ne doivent leur existence qu’à la générosité d’États ou d’ONG. Mais tous ces efforts, aussi louables soient-ils, et même cumulés, se révèlent très insuffisants compte tenu de la demande d’eau sans cesse croissante. La politique de l’eau s’apparente à du bricolage et du saupoudrage. Elle tient en un mot : échec.
« L’eau nous arrive à pied, tandis que nos besoins prennent l’avion » : l’ironie est fréquente qui dénonce l’absence de rythme dans la réalisation des ouvrages d’eau. Par contre, quand il s’agit d’exploiter les richesses minières, le pétrole, le ciment et autres, aucun investissement n’est assez élevé. Les gouvernements s’y engagent volontiers. Pourquoi traînent-ils les pieds quand il est question de l’eau qui est tout de même la première de toutes les matières premières ?
Ce qui à mon avis fait défaut, c’est un engagement politique fort de la part des gouvernants. Leur passivité pénalise les couches les plus défavorisées de la population et les condamne à se contenter d’une eau douteuse, obtenue au prix d’une corvée éprouvante et chronophage. La corvée d’eau est symptomatique de la pénurie. « Quand l’eau manque, tout nous manque » fait remarquer Abou, chef d’un village connu pour son manque d’eau et où la corvée d’eau est de tradition : quelques jeunes filles en ont fait leur gagne-pain.
Le manque d’eau limite le développement non seulement de la localité qui en souffre, mais aussi du pays tout entier. Outre ses impacts sanitaires, il entraîne l’exode rural, la désaffection des fonctionnaires, la stagnation économique. Il divise le pays en deux zones bien distinctes : celles qui, favorisées, ont accès à l’eau potable (les villes), et celles, déshéritées, où le manque d’eau et ses corollaires sont la règle (les périphéries urbaines et les milieux ruraux). La négligence des pouvoirs publics ne peut que générer l’inégalité et l’injustice, et donc les frustrations sociales.
Bernard Capo-Chichi
texte et photos
Bernard Capo-Chichi, ami de longue date de aqueduc.info, enseigne la physico-chimie de l’eau à l’Institut de mathématiques et de sciences physiques de Porto-Novo (capitale du Bénin) où il est également conseiller pédagogique de formation.