Les métiers de l’eau vus par les hommes, dit-elle, font davantage appel aux compétences du technicien, du chimiste et de l’ingénieur. Les femmes sont, par contre, généralement plus intéressées par des approches qui considèrent la ressource eau dans sa globalité. Ce qui se traduit aussi dans leur goût pour les tâches d’explication et de vulgarisation. "Elles sont probablement davantage attirées que les hommes par les sciences du vivant que par un monde où l’on parle surtout de chiffres et de canalisations. Et elles s’y sentent aussi plus à l’aise."
Le travail d’Arielle Cordonier, depuis plusieurs années au Service de l’écologie de l’eau du Canton de Genève, consiste principalement dans la surveillance de tout ce qui concerne la qualité biologique des cours d’eau. Elle peut s’appuyer pour cela sur quelque 120 stations de contrôle disséminées sur tout le territoire cantonal et une observation méthodique des organismes aquatiques vivants - algues microscopiques, larves d’insectes, crustacés, poissons, etc. - qui permet de dire si une rivière est en bonne santé ou non. [1]
"On essaie d’avoir une vue d’ensemble de l’écosystème de chacune de ces stations, on regarde si les différentes espèces sensibles y sont présentes. Si ce n’est pas le cas, on s’efforce de comprendre pourquoi l’eau y est de mauvaise qualité, si cela est dû à un type de pollution particulier ou à des entraves à l’écoulement naturel du cours d’eau, voire aux changements climatiques. La rivière doit être une réserve de biodiversité et, si besoin est, on propose des travaux de renaturation, des aménagements d’habitats naturels, une amélioration de ses aspects hydrologiques ou un assainissement des pollutions. Le plus important, c’est d’avoir un milieu vivant."
Pour la biologiste, la question de la pénibilité du travail ne se pose pas vraiment, même si elle doit chaque année passer plusieurs semaines dans des rivières lors de campagnes de prélèvement. En fonction des conditions météorologiques, cela peut être fatigant mais "c’est quelque chose qui ne doit pas retenir les femmes". Par contre, "ce qui est pénible, c’est d’être tout le temps sollicité par des emails tous plus urgents les uns que les autres et de ne pas pouvoir mener un travail jusqu’à son terme sans être interrompu ou perturbé d’une manière ou d’une autre. C’est la technologie qui nous stresse et qui ne nous rend pas plus efficaces."
Qu’en est-il des questions d’égalité hommes-femmes ? "C’est un sujet de discussion assez fréquent à la pause-café, relève Arielle Cordonier. Il y a des femmes d’âges différents, en couple ou célibataires, avec ou sans enfants. Leur point commun, c’est que dans cet Office cantonal de l’eau elles ont toutes des chefs hommes. Aucune ne dirige une équipe et tous les postes de chefs sont occupés par des hommes. Cela s’explique peut-être du fait que, contrairement à la plupart des hommes, elles craignent de postuler à des fonctions supérieures si elles ne se sentent pas parfaites pour y accéder. Elles sont rarement à l’aise si elles pensent qu’elles n’ont pas fait le tour de la question. Les femmes ont beaucoup à apprendre des hommes à ce niveau-là, car ils osent plus."
Autre point commun, vérifiable sans doute dans différents autres métiers : la discrimination commence déjà lors de l’entretien d’embauche. Il est difficile aux femmes de faire comprendre à leur employeur qu’elles ont le droit d’avoir des enfants et donc d’être potentiellement absentes durant plusieurs mois et à plusieurs reprises durant leur vie selon le nombre d’enfants qu’elles désirent.
"Une des façons de biffer cette inégalité entre hommes et femmes, c’est d’avoir un vrai congé parental. Cela permettrait aussi d’enlever la charge mentale que se mettent les femmes qui doivent gérer nombre d’événements liés à la petite enfance comme les rendez-vous chez le pédiatre ou l’organisation des gardes. Dans un système de congé parental, celles qui souhaitent retourner au travail pourraient alors laisser ce genre de tâches à leur conjoint."
Cela dit, on voit bien que de plus en plus de femmes s’engagent professionnellement dans le domaine de l’eau. Il n’y a aucune raison que les études scientifiques ne se conjuguent qu’au masculin. Avoir une vue d’ensemble d’un écosystème et se préoccuper de la protection du vivant sont, pour Arielle Cordonier, des atouts féminins. "Jadis, les hydrobiologistes n’étaient pas toujours pris au sérieux. Les ingénieurs disaient que s’occuper de ’’petites bêtes’’ n’était guère scientifique et que notre métier ne servait pas à grand-chose vu que nous ne produisions aucun bien de consommation."
"Tout cela a bien changé. Il y a aujourd’hui un véritable intérêt du public pour les questions qui touchent à la qualité de l’environnement et de l’eau. Les gens comprennent qu’il y a un vrai combat à mener et qu’en Suisse on a les moyens de le faire, d’une manière assez intelligente. Ils voient aussi le fruit de nos efforts, par exemple dans la renaturation d’une rivière, dans la possibilité de se baigner à nouveau dans le lac, dans le retour de différentes espèces dans la nature. Même si ça prend du temps, ça n’a rien de déprimant, c’est au contraire plutôt fascinant. Et celles et ceux avec qui l’on travaille ont au final la même ambition : celle de redonner de l’espace à la nature et un cadre de vie agréable à la population."
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt