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20 novembre 2017.

Eau et tourisme :
menaces sur la ressource

Échos d’un colloque international et interdisciplinaire - DOSSIER (3)

Le tourisme a besoin d’eau. Pour répondre à la demande des vacanciers pour leur hydratation, leur hygiène, leurs loisirs et leurs activités sportives. Pour le bon fonctionnement des hôtels, des cuisines et des buanderies, des salles de bains, de la climatisation et des piscines, sans oublier l’entretien des espaces verts et des bâtiments. Faute de statistiques régionales ou nationales sur l’utilisation de l’eau pour le tourisme, il faut se référer aux études scientifiques menées de par le monde pour se faire une idée approximative, probablement sous-estimée, de la consommation d’eau douce par jour et par touriste : entre 84 et 2000 litres en moyenne.

Les estimations chiffrées dépendent évidemment des conditions locales et régionales, des climats et des saisons, de l’abondance ou non de la ressource, de la qualité de l’eau et de son prix, du niveau de prestations du parc hôtelier et de bien d’autres facteurs. Hormis quelques rares exceptions, le tourisme international représenterait cependant moins de 1 % des usages de l’eau, sans comparaison avec les prélèvements agricoles (70 %).

Une empreinte hydrique sous-estimée

L’empreinte eau du tourisme ne se limite pas à l’inventaire des utilisations directes de la ressource. Un chercheur suédois de l’Université de Lund, Stefan Gössling [1], à qui revenait la première communication du colloque "Eau et tourisme" organisé sous l’égide de l’Université de Lausanne et la HES-SO Valais-Wallis [2], a d’emblée mis le doigt sur les consommations indirectes. Vus sous cet angle, les impacts des activités touristiques sur la gestion de l’eau prennent une tout autre dimension. Et l’estimation de la consommation et des prélèvements d’eau se situe alors plutôt entre 2000 et 7500 litres par jour et par touriste.

On pense d’abord aux grandes quantités d’eau nécessaires à la production alimentaire et que l’on peut grosso modo estimer à un litre pour une calorie (1 kcal) de nourriture. Des études montrent que pendant leurs vacances les touristes consomment davantage d’aliments riches en protéines et plus riches en eau, à quoi s’ajoute souvent un important gaspillage de produits.

Ce à quoi l’on pense moins volontiers, c’est à la quantité d’eau nécessaire à la production d’énergie dont on a besoin, tout d’abord, pour l’approvisionnement en eau, aux pompages, aux usines de traitement ou de dessalement, aux réseaux de distribution. Mais aussi, et surtout, dans le domaine du tourisme, à l’énergie utilisée pour les transports. Selon le Worldwatch Institute, il faut 18 litres d’eau pour produire 1 litre de carburant. Et quand on sait qu’un avion consomme en moyenne 4 litres au moins de carburant par passager pour 100 km de vol, il n’est pas difficile de comprendre que le simple voyage vers un site de vacances laisse une empreinte eau bien plus importante que celle des usages directs sur place.

Saisonnalités,
concurrences,
eaux usées, etc.

Il est encore bien d’autres questions à se poser quant à la durabilité des usages de l’eau liés au tourisme, notamment à partir de ces quelques constats non exhaustifs mis en évidence par Stefan Gössling :
 Les grandes migrations touristiques, d’un point de vue hydrologique, ont souvent lieu à contre-saison : les touristes arrivent pendant la saison sèche, quand les pluies se font rares et que le niveau des eaux de surface ou des eaux souterraines est au plus bas. Mais à l’inverse, si la disponibilité de l’eau est problématique, le tourisme peut aussi en pâtir sérieusement.
 Non seulement les touristes semblent, "pour leur plaisir", consommer davantage d’eau en vacances qu’à la maison, mais leur consommation peut se révéler parfois nettement supérieure à celle des populations locales. Ce qui, dans des situations de pénurie, peut générer des problèmes de cohabitation.
 Les rivalités autour des usages de l’eau peuvent aussi surgir entre différents secteurs économiques. En période estivale, il n’est pas rare que la demande touristique fasse concurrence aux besoins en eau de l’agriculture et de l’hydroélectricité. Dans les cas extrêmes, qui doit être alors prioritaire ?
 Dans de nombreuses régions, par exemple dans le pourtour méditerranéen, où les quantités d’eaux usées générées par le tourisme sont importantes, le sous-équipement en stations d’épuration est flagrant. De là à dire que le tourisme contribue à la baisse de la qualité de l’eau, il n’y a qu’un pas. Mais c’est un fait aussi que les populations locales peuvent bénéficier des installations de traitement des eaux projetées par les municipalités pour répondre à la demande touristique.

Stations de montagne
et eau potable

Qu’en est-il de la demande en eau potable dans les stations de ski lorsque la haute saison touristique bat son plein alors même que leur bassin versant est en période d’étiage ? Les données disponibles en la matière sont plutôt rares. C’est ce qui a incité Martin Calianno, doctorant à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne [3], à développer une méthode de monitoring des usages de l’eau à partir de deux études de cas sur les sites de Megève, en Haute-Savoie, et de Montana, en Valais.

Les stations d’altitude sont confrontées non seulement aux variations saisonnières de la disponibilité en eau mais aussi à une demande en eau potable qui évolue en fonction des fluctuations touristiques (week-ends, fêtes de Noël, vacances d’hiver ou d’été), à des besoins correspondants (eau potable, neige artificielle, thermalisme, irrigation des golfs) et à une diversité d’habitats (habitats permanents, résidences secondaires, hôtels, bureaux, etc.). Si l’on veut gérer durablement la ressource et prévenir les conflits d’usage, il est essentiel de quantifier au plus près cette forte variabilité de la demande.

Pour sa thèse en cours de rédaction, et au-delà de la quête de données de consommation précises maison par maison, le chercheur s’est donné entre autres objectifs de définir les facteurs qui influencent les volumes et la dynamique de la demande en eau potable, de comprendre comment cela se traduit chez les usagers en termes de comportements et de proposer un guide méthodologique à l’usage des gestionnaires de l’eau dans les stations touristiques de montagne.

L’eau des premiers hôtels touristiques

Si les économies d’eau, dans les milieux de l’hôtellerie, font aujourd’hui partie des gestes prioritaires quotidiens, il n’est pas inintéressant de remonter le cours de l’histoire pour se rendre compte qu’il fut un temps où l’on ne s’en préoccupait guère. Pourtant, rappelle Julie Lapointe Guigoz, qui travaille à la rédaction d’une thèse sur les infrastructures techniques des hôtels de l’arc lémanique à la Belle Epoque (1880-1914) [4], l’eau est incontestablement la "matière première" essentielle au bon fonctionnement de tout établissement d’hébergement, mais ce n’est qu’à partir du 19e siècle, sous l’impulsion du mouvement hygiéniste, que les usages de cette ressource se sont multipliés et diversifiés.

Alors que les premiers grands hôtels ne l’utilisent que pour désaltérer leur clientèle, cuisiner, remplir les bassines pour la toilette et nettoyer les locaux, ceux de la Belle Epoque, notamment sur les rives du Lac Léman, vont s’en servir non seulement pour alimenter des équipements sanitaires toujours plus perfectionnés (eau courante dans les chambres, baignoires et douches, water-closets), mais encore pour dispenser des soins, divertir et faciliter la mobilité de leur clientèle.

Les gérants de ces hôtels font ainsi appel à la force hydraulique pour actionner des ascenseurs et des monte-charges et, parfois, pour produire l’électricité nécessaire à l’éclairage. L’eau permet aussi d’offrir aux touristes l’opportunité de soins thermaux et de pratiques d’hydrothérapie. Et en hiver d’aménager des patinoires, voire des pistes de bob. Pour cela, certains hôtels situés à l’écart des premiers réseaux de distribution, iront même jusqu’à construire leur propre système d’approvisionnement à partir de sources privées.

Se procurer suffisamment d’eau à des coûts compatibles avec la rentabilité de l’établissement, note Julie Lapointe Guigoz, représentait alors pour l’hôtellerie un défi économique majeur : "L’efficacité de cette gestion, en dépit des difficultés majeures rencontrées, a joué un rôle central dans la mise en place d’une offre compétitive assurant la renommée et le succès économique de ces établissements jusqu’au premier conflit mondial." (bw)




Notes

[1Stefan Gössling est le co-auteur, avec C.Michael Hall et Daniel Scott, de l’ouvrage : Tourism and Water, Channel View Publications, Bristol (UK), 2015, 216 pp.

[2Le Colloque "Eau et Tourisme", qui s’est tenu les 9 et 10 novembre 2017 à Sion, Sierre et Montana, était organisé par l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de l’Université de Lausanne et l’Institut Tourisme de la HES-SO Valais-Wallis.
* Le livret comprenant le programme et les résumés des communications du colloque peut être téléchargé ici.
* La Lettre aqueduc.info n°127 de novembre 2017 s’est également fait l’écho des principaux thèmes abordés par le colloque et d’un choix de quelques-unes des études présentées.

[3Martin Calianno, IGD, Université de Lausanne, Projet de recherche : Monitoring des usages de l’eau en territoire de montagne.

[4Julie Lapointe Guigoz, Université de Lausanne, Recherche de doctorat : Etude des infrastructures techniques des hôtels de l’arc lémanique à la Belle Epoque (1880-1914) : enjeux et défis.
 Référence de l’illustration de l’Hôtel Beau-Rivage d’Ouchy : Aquarelle vers 1880, in FLÜCKIGER-SEILER Roland, Hotel Paläste zwischen Traum und Wirklichkeit. Schweizer Tourismus und Hotelbau 1830-1920, Baden, Hier+Jetzt, 2003, p. 54, ill. 64

Infos complémentaires

Voir les autres articles aqueduc.info du dossier "Eau et tourisme" :

  1. Du bon usage de l’eau pour un tourisme durable (interview E.Reynard)
  2. Une quête de bien-être
  3. Incertitudes climatiques
  4. Patrimoines valaisans
  5. Petit glossaire

 Tous les articles de ce dossier sont rassemblés dans un document PDF (A4, 21 pages). Cliquer sur l’image pour le télécharger.

 Voir aussi la Lettre aqueduc.info n°127 de novembre 2017.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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