Analyser les eaux usées pour y chercher des traces de drogues illicites et suivre l’évolution de leur consommation dans le temps : c’est quelque chose qui se pratique depuis quelques années dans plusieurs grandes villes européennes [1]. Est-il imaginable, sur la base de ces expériences, d’y détecter également des traces de virus non seulement pour révéler l’ampleur d’une épidémie comme celle du SARS-CoV-2 mais aussi et surtout pour repérer son arrivée et mieux anticiper sa propagation ? Des chercheurs en sont persuadés et n’ont pas tardé à se mettre au travail.
Selon des informations publiées par la revue scientifique Nature [2], plus d’une douzaine de groupes de recherche dans le monde ont commencé à analyser les eaux usées pour détecter le nouveau coronavirus. Étant donné que la grande majorité de la population n’est pas testée, cela permettra dans un premier temps d’avoir une meilleure estimation du nombre d’infections dans une collectivité. Pour le moment, des chercheurs ont trouvé des traces du virus aux Pays-Bas, aux États-Unis et en Suède.
Sur la base des analyses menées en février puis en mars, des experts de l’Institut néerlandais KWR spécialisé dans la recherche sur l’eau sont parvenus à la conclusion que des gènes du coronavirus responsable de la maladie COVID-19 se retrouvent bel et bien dans les eaux usées et que leur dépistage peut être utilisé comme un outil pour mesurer la circulation du virus dans une population [3]. Reste à développer, tester et valider la méthode d’analyse car, compte tenu de la situation de crise, il n’a pas été possible de suivre les procédures habituelles en la matière.
D’autres études ont montré que le virus peut apparaître dans les matières fécales dans les trois jours qui suivent l’infection, explique Tamar Kohn, virologue environnementale à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), citée par la revue Nature. C’est bien plus rapide que le temps nécessaire pour que les gens développent des symptômes suffisamment graves pour se rendre à l’hôpital. Le suivi des particules virales dans les eaux usées pourrait donner aux responsables de santé publique une longueur d’avance dans leurs décisions de prendre ou non des mesures comme le confinement. Sept à dix jours peuvent faire une grande différence dans la lutte contre l’épidémie.
Début avril, Christoph Ort, ingénieur en sciences de l’environnement à l’Institut fédéral de recherche sur l’eau (Eawag), tirait les mêmes conclusions : "Nous espérons que nous pourrons repérer l’apparition et la propagation de la maladie beaucoup plus tôt dans l’espace et le temps, c’est-à-dire une à deux semaines plus tôt qu’en utilisant des tests individuels sur des personnes infectées qui présentent des symptômes et sont hospitalisées. Cela permettrait aux autorités de réagir plus vite." [4]
Fin avril, l’EPFL et l’Eawag ont fait savoir [5] qu’une équipe commune de recherche travaillait d’ores et déjà sur de nombreux échantillons d’eaux usées provenant de Lausanne, de Lugano et de Zurich. Grâce à la détection des concentrations infimes de virus dès le début de la pandémie, il devrait être possible non seulement de retracer rétrospectivement la courbe d’évolution du Covid-19, mais aussi, et surtout, de mettre au point un système d’alerte précoce et de déceler à temps une éventuelle recrudescence des infections pendant la période de déconfinement. (aqueduc.info)