Ce cinquième rapport, présenté le 20 mars à New Delhi (Inde) à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, n’incite guère à l’optimisme, pas plus que ceux qui l’ont précédé depuis 2003 : si le monde ne change pas sa manière de gérer et d’utiliser l’eau, il ne pourra pas faire face à un déficit global de 40 % d’ici aux années 2030. Cela entraînera une concurrence croissante entre les usages de l’eau et ses utilisateurs et ne fera qu’aggraver les inégalités d’accès à cette ressource vitale et de multiplier les impacts nuisibles au bien-être des populations, sans parler de l’énorme déficit d’investissements dans le domaine de l’hygiène et de l’assainissement.
Le rapport pointe du doigt la surexploitation des ressources naturelles – c’est le cas pour 20 % des aquifères de la planète – parce que leurs gestionnaires persistent à recourir à des modèles d’exploitation périmés, mal réglementés et peu contrôlés. La plupart des modèles économiques ne valorisent pas non plus les services essentiels fournis par les écosystèmes d’eau douce, ce qui conduit souvent à leur dégradation et leur disparition.
Pendant ce temps, la demande va croissant : en 2050, l’agriculture devra à l’échelle mondiale produire 60 % supplémentaires de nourriture, 100 % dans les pays en développement. Les pays émergents et en développement auront également besoin de quatre fois plus d’eau pour leurs productions industrielles. Autant dire que l’économie mondiale doit se préparer au pire si elle ne parvient pas à réduire les pertes et les gaspillages d’eau et à augmenter l’efficacité de ses usages par le biais de technologies performantes.
Cela dit, les situations et les défis varient d’un continent à l’autre : le rapport onusien note que l’Europe et l’Amérique du Nord sont préoccupés par la réduction de leurs déchets et les pollutions qui vont de pair, que les pays d’Asie et du Pacifique ont encore d’énormes progrès à faire en termes d’accès à l’eau potable et à l’assainissement de leurs populations, que la priorité majeure pour l’Amérique latine et les Caraïbes est de renforcer les capacités institutionnelles en matière de gestion des ressources en eau, que le monde arabe va devoir se confronter à d’énormes pénuries d’eau alors que le manque de moyens et de capacités empêche l’Afrique de tirer profit de son sous-sol pourtant riche en eau.
Le premier rapport publié en 2003 tirait déjà à peu près les mêmes sonnettes d’alarme : on pouvait y lire, à l’époque, que la crise mondiale de l’eau prendrait dans les années à venir une ampleur sans précédent et qu’aucune région du monde ne serait épargnée par ses impacts sur tous les aspects de la vie, "de la santé des enfants à la capacité des pays à nourrir leurs citoyens". Il y était aussi écrit que malgré les symptômes évidents de la crise, la volonté politique nécessaire pour inverser les tendances faisait cruellement défaut.
Douze ans plus tard, il n’est certes plus fait mention de "l’inertie des dirigeants" – car des progrès ont été enregistrés même s’ils ne sont pas à la hauteur des besoins exprimés – mais l’appel à une meilleure gouvernance de l’eau est toujours présent : il est entre autres jugé impératif de "reconnaître la contribution des femmes à la gestion locale de l’eau et leur rôle dans les décisions prises dans ce domaine".
Le rapport estime également que les modèles de gestion de l’eau sont trop souvent inspirés par des motifs d’efficacité économique et ne tiennent pas suffisamment compte des questions liées à la durabilité de l’environnement et à l’équité sociale. Il serait donc plus que temps de réorienter les priorités politiques et opérationnelles vers une répartition plus équitable des services de l’eau dans la société : "davantage peut-être que n’importe quelle recommandation technique, le principe d’équité porte en lui la promesse d’un monde qui garantit l’accès de tous à l’eau". (bw)