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août 2009.

Moulins du Col-des-Roches (Le Locle)

Dans une grotte de plus de 20 mètres de profondeur, la très (...)

Dans une grotte de plus de 20 mètres de profondeur, la très longue histoire d’un système hydraulique souterrain, unique en Europe, qui jadis actionnait meules et scies.

Photos © aqueduc.info - août 2009




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Un peu d’histoire

Dès le milieu du 16e siècle, des meuniers de la petite vallée du Locle, dans les Montagnes neuchâteloises, au nord-ouest de la Suisse, ont fait preuve d’une grande imagination et d’une plus grande audace encore en installant - au cœur même d’une importante grotte verticale dans laquelle se jetaient alors toutes les eaux du bassin versant - une série de roues hydrauliques actionnant moulins et battoir, puis, plus tard, huilerie et scierie. Quelques points de repères, en guise d’explications.

 Contrairement à de nombreuses vallées de la chaîne du Jura, celle du Locle, fermée et longue de quelque 8 kilomètres, ne manque pas d’eau. Son bassin versant s’alimente à plusieurs sources et ruisseaux dont les eaux se retrouvent dans Le Bied. Jusqu’au début du 19e siècle, celui-ci disparaissait dans un seul et unique exutoire, l’emposieu ou perte naturelle du Col-des-Roches (appelé jadis Cul-des-Roches), pour se déverser ensuite une centaine de mètres plus bas dans la vallée française du Doubs, de l’autre côté de la paroi rocheuse.

 Comme la topographie de la vallée ne prêtait guère à l’installation de moulins, l’idée vint à quelques pionniers d’en construire à l’intérieur même de la grotte principale, pour y profiter de la chute d’eau haute de plusieurs mètres. En 1549, le seigneur de la région accorde une concession qui marque le début d’une longue histoire à rebondissements.

 Le premier personnage-clé de cette histoire, Jonas Sandoz, apparaît un siècle plus tard. En 1660, il devient le propriétaire de tout le cours inférieur du Bied et va faire du site du Col-des-Roches une véritable entreprise souterraine. Avec les moyens et les outils de l’époque, il réussit l’exploit d’aménager la grotte sur plusieurs étages, avec galeries et escaliers rudimentaires, puits et canaux de dérivation d’eau alimentant plusieurs roues, meules et scierie.

 En temps de crues, cette perte naturelle ne suffisait pas à l’évacuation des eaux ; il se formait alors un lac, le fond de la vallée était inondé et les installations souterraines couraient de grands risques. À partir de 1805, la situation va s’améliorer grâce au percement d’un canal d’écoulement sous le Col-des-Roches et l’aménagement de petites écluses permettant de réguler le débit d’eau vers les moulins.

 Le Col-des-Roches entrera dans l’ère industrielle au milieu du 19e siècle, au moment où les moulins entament leur déclin avec l’apparition des turbines. Le nouveau propriétaire des lieux, Jean-Georges Eberlé, autre personnage-clé, décide de construire un grand bâtiment (toujours visible et abritant aujourd’hui un musée) dans lequel il fait installer une minoterie moderne. La scierie est elle aussi remontée en surface. C’est à la même époque qu’est creusé, juste à côté, le tunnel qui va ouvrir enfin le transit entre France et Suisse, condition sine qua non au développement de la vallée, en attendant l’arrivée du chemin de fer vers la fin du siècle.

 En 1884, la Municipalité du Locle parvient à racheter les moulins et surtout les droits d’eau qui leur sont liés, ce qui lui permettra de mettre en œuvre ses projets d’assainissement des marécages de la vallée. Les souterrains du Col-des-Roches serviront également aux premiers essais d’électricité du Locle (qui deviendra l’une des premières villes de Suisse à installer l’éclairage électrique public).

 En 1898, les moulins sont transformés en abattoir-frontière, lequel servira de contrôle sanitaire à l’importation de bétail. Avec des graves conséquences pour la grotte puisqu’on s’en servira comme déversoir d’eaux usées et de dépotoir de déchets de boucherie. Après la fermeture de l’abattoir en 1966, le site abritera quelque temps encore une station de lavage pour voitures déversant elle aussi ses eaux usées dans le souterrain devenu réceptacle de pollutions en tous genres.

 Si les moulins souterrains du Col-des-Roches fascinent aujourd’hui leurs nombreux visiteurs (quelque 35’000 par an), c’est grâce sans aucun doute à la même audace que celle dont avaient fait preuve les premiers meuniers. Dès 1973, une poignée d’amateurs d’histoire et de spéléologie, bientôt regroupés en Confrérie des meuniers du Col-des-Roches, décide de sauver le site et de le remettre en état. Non sans peine puisque, par exemple, ce ne sont pas moins de 35’000 brouettes de déchets qui seront sorties de la grotte en quinze ans d’engagements têtus et 55’000 heures de travaux bénévoles. Le site a été rendu au public en 1987 et son système hydraulique de démonstration est aujourd’hui alimenté par de l’eau en circuit fermé. Entre temps, l’installation s’est enrichie d’un Musée qui permet de mieux comprendre son contexte historique et technique.

Bernard Weissbrodt

Dans le carnet de notes d’un illustre voyageur...

« Juste au pied du rocher, il y a une petite maison. Oh ! Je la vois si bien : toute blanche, peinte à la chaux, les cadres des fenêtres bleus… Nous descendons un escalier, jusque dans les caves. Ici on trouve des sacs, des coffres pleins de blé. Sous nos pieds nous entendons un grondement bizarre. Encore quelques marches et nous devons allumer la lampe, tant il fait sombre. Nous nous trouvons maintenant dans un moulin à eau, un moulin souterrain. Bien au-dessous du sol mugit un torrent ; personne, là-haut, ne s’en doute ; l’eau tombe de plusieurs toises sur les roues bruissantes, qui tournent et menacent d’accrocher nos habits et de nous faire tourner avec elles. Les marches sur lesquelles nous nous trouvons, sont usées et humides ; des murs de pierre l’eau ruisselle, et, tout près, s’ouvre l’abîme. Oh ! Tu aimerais ce moulin comme je l’aime ! »

Hans Christian Andersen, 1836
dans Voyages en Suisse : journal 1833-1873

 Pour toutes informations pratiques, consulter le site web des moulins souterrains du Col-des-Roches : www.lesmoulins.ch


Pour en savoir plus :

Les moulins souterrains du Col-des-Roches
par Caroline Calame, Editions Charles Attinger,
Hauterive (NE), 2005, 132 pages.

Moulins souterrains du Col-des-Roches
par Caroline Calame et Orlando Orlandini
Nouvelle Revue neuchâteloise, n° 70, 2001, 60 pages.


 Sur le même thème, voir aussi, dans aqueduc.info, les Moulins du Val d’Anniviers (Valais)
 Sur l’hydrogéologie de la région, voir le petit lexique de quelques spécialités jurassiennes modelées par l’eau

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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