"L’impact du changement climatique sur les eaux, en particulier souterraines, ainsi que sur l’approvisionnement en eau et sur l’évacuation des eaux usées, est au cœur de nombreux projets de recherche du PNR 61. Les résultats montrent clairement que les évolutions économiques et sociales, la croissance urbaine ou démographique ou le vieillissement des infrastructures ont un impact sur la gestion des eaux urbaines bien plus important que le changement climatique. Il n’y a donc pas lieu de mettre en œuvre des mesures immédiates liées au changement climatique."
(PNR 61, Synthèse thématique 3, voir référence en bas de page)
Le rapport dont est extraite cette péremptoire prise de position et qui intègre les conclusions scientifiques de près de la moitié des projets du PNR 61 porte essentiellement sur la gestion des eaux urbaines. Cependant il n’y est pas seulement question des structures hydrauliques propres aux grandes collectivités, mais aussi de la disponibilité des ressources en eau. Les éventuelles répercussions du changement climatique y sont donc prises en compte et cette juxtaposition des analyses permet de comparer les différents facteurs qui influencent la gestion des eaux. Ce rapport identifie plusieurs types de défis, notamment climatiques, techniques et socio-économiques.
Plus de sécheresses, plus de fortes pluies,
température de l’eau à la hausse
Sur les effets du réchauffement climatique, ce rapport de synthèse note en particulier
– la plus grande fréquence des périodes de sécheresse : cela ne devrait pas avoir d’impact majeur sur le renouvellement moyen des eaux souterraines, mais les rythmes saisonniers de recharge des aquifères vont probablement subir des modifications importantes ; il faut globalement s’attendre, à moyen terme (dans 20 à 40 ans), à ce que les nappes souterraines ne soient plus guère alimentées par les eaux de surface entre mai et octobre ;
– la baisse de débit des cours d’eau lors de ces périodes de sécheresse : elle aura des répercussions non seulement sur les quantités d’eau disponibles, mais aussi sur leur qualité ; cela signifie, par exemple, qu’il sera nécessaire dans les régions à forte population de prendre des mesures spéciales de surveillance de l’évacuation des eaux usées puisque les pollutions seront forcément moins diluées dans les eaux courantes ;
– la montée de la température de l’eau : elle affectera les populations de poissons et autres organismes aquatiques sensibles à ce genre de modification de leur milieu, elle ralentira le brassage des eaux lacustres et facilitera la prolifération d’algues bleues, et elle favorisera aussi dans les eaux souterraines, par manque de concentration d’oxygène, le développement des microbes et des bactéries.
Des infrastructures qui vieillissent
Les canalisations d’eau potable et d’eaux usées ont une durée de vie très longue, mais limitée. Et leur vieillissement augmente les risques de fuites et de pollution. Pour estimer le besoin de rénovation de ces réseaux, il est impératif d’établir des prévisions fiables sur l’état futur des infrastructures. Cela est certes possible, grâce à différents modèles de prévisions, à condition toutefois de disposer de données suffisamment documentées sur les réseaux concernés, ce qui fait hélas souvent défaut, en particulier dans les communes de petite taille.
L’un des projets du PNR 61, précisément centré sur cette problématique, a pu développer des modèles génériques qui permettent d’estimer l’évolution des infrastructures même en l’absence de données complètes. Ce genre d’outil tient compte des conditions propres au pays, diminue le risque de surestimer la durée de vie des canalisations installées et fournit aux services des eaux un moyen de planifier sur le long terme l’assainissement de leurs infrastructures.
Les chercheurs concluent en tout cas de leur étude qu’une telle planification est de loin préférable à une stratégie qui consisterait à intervenir au coup par coup et de manière exclusivement réactive. Et tout cela a un prix : on estime actuellement que la valeur de remplacement des infrastructures publiques et privées suisses d’approvisionnement en eau se monte à quelque 115 milliards de francs et autant pour les infrastructures d’évacuation et de traitement des eaux usées. En coûts annuels, calculés sur une base de remplacement de 1,5 %, le montant de l’assainissement des réseaux et des installations du domaine de l’eau avoisine donc théoriquement les 3,5 milliards de francs.
Croissance démographique,
développement économique,
extensions urbaines
Une augmentation de population se traduit généralement par une hausse de la consommation d’eau et de la quantité d’eaux usées à traiter. Il faut également tenir compte de l’évolution de la pyramide des âges : plus la moyenne d’âge est élevée, plus forte est la tendance à consommer davantage de médicaments et plus grands sont les risques de pollution. Mais on sait aussi – et cela est très visible dans les statistiques – que les innovations technologiques (dans les appareils ménagers ou dans les installations sanitaires par exemple) offrent un intéressant potentiel d’économie de la ressource. En même temps, une diminution substantielle de la consommation d’eau peut, faute de débit suffisant, entraîner des problèmes dans les canalisations de distribution d’eau potable et d’évacuation des eaux usées.
Sur le plan économique, le secteur artisanal et industriel consomme actuellement un cinquième de l’eau potable. Son développement entraînera théoriquement une hausse de consommation, mais il existe de forts potentiels d’économie de la ressource si l’on s’efforce par exemple d’optimiser les processus hydrauliques ou de réutiliser voir recycler les eaux industrielles. Voilà pourquoi, disent les chercheurs, on ne peut établir un lien direct entre croissance économique et consommation d’eau qu’à certaines conditions.
S’agissant de l’agriculture, vu qu’elle repose essentiellement sur des pratiques liées à l’utilisation des eaux de pluie et qu’elle ne consomme que 1 % des réseaux d’eau potable, on ne s’attend guère à des évolutions importantes dans ce secteur. Certes l’irrigation croissante exercera davantage de pression sur les ressources en eau, mais cela ne devrait pas avoir de conséquences sur les infrastructures de la gestion des eaux urbaines.
L’extension (et le bétonnage) des périmètres urbains à forte densité de population fait que les terrains sont de plus en plus imperméables et réduisent les possibilités d’infiltration des eaux de pluie qui ne peuvent que s’écouler dans les canalisations. Lors de précipitations extrêmes, les systèmes d’évacuation des eaux sont surchargés, ce qui entraîne des inondations et une augmentation de la pollution des eaux usées par l’apport de toutes sortes de substances diffuses, minérales ou organiques, en provenance des zones urbaines.
Un catalogue de mesures
Pour relever ces différents défis, ce rapport de synthèse sur l’approvisionnement en eau et l’assainissement des eaux durables avance toute une série de mesures souhaitables dans les domaines des infrastructures, des ressources en eau et des connaissances. Cela va, par exemple, de la "promotion du 2e pilier" (entendez par là des ressources en eau indépendantes les unes des autres, réagissant différemment ou de manière décalée dans le temps aux périodes de sècheresse, et qui de ce fait constituent une sécurité supplémentaire en matière d’approvisionnement) à la "promotion de l’échange de connaissances et d’expériences" (ce qui sous-entend une amélioration de l’intégration des données, leur harmonisation et leur évaluation systématique) en passant par la "considération des enjeux régionaux et globaux" (ce qui implique au préalable que l’on se mette notamment d’accord sur ce qu’on entend par bassin versant).
De l’avis des chercheurs du PNR 61, ces mesures – dont nombre d’entre elles, soit dit en passant, seront profitables quelle que soit l’évolution du climat (ce que les scientifiques appellent des "no regrets options") - devraient permettre d’atteindre l’un ou l’autre, voire plusieurs des sept objectifs fondamentaux d’une gestion durable des eaux urbaines (voir ci-dessous). Ces objectifs, peut-on lire, "reflètent des exigences différentes, parfois contradictoires, pour parvenir a une gestion durable des eaux urbaines. Ces exigences peuvent entraîner des conflits d’intérêts, par exemple entre protection et exploitation ou entre approvisionnement fiable en eau et évacuation sûre des eaux usées. S’il n’existe aucune solution simple pour résoudre ces conflits, il existe des manières de les minimiser." (bw)

aqueduc.info
:: Les sept objectifs
d’une gestion durable
des eaux urbaines
La synthèse thématique 3 du PNR 61 reprend à son compte les objectifs d’une gestion durable des eaux urbaines formulés dans le projet de recherche sur la planification à long terme des infrastructures durables de distribution et de traitement de l’eau. L’importance qu’il convient d’accorder à chacun d’eux est "laissée à la libre appréciation du lecteur" et nul ordre de priorité n’est proposé. Les voici donc, en vrac :
- Equité intergénérationnelle élevée : léguer aux générations futures une charge de réhabilitation aussi faible que possible ;
- Bonne protection des eaux : préserver le bon état naturel des cours d’eau tout en maintenant un régime équilibré des eaux souterraines.
- Bon approvisionnement en eau : fournir, pour les différents usages, une eau répondant aux normes de qualité requises par chacun d’eux ;
- Evacuation sûre des eaux usées : garantir une fiabilité élevée du système d’évacuation des eaux et leur bon renouvellement ;
- Acceptabilité sociale élevée : limiter les infrastructures inutiles, veiller à l’implication de la population dans les processus de décision et garantir l’autonomie de la gestion des ressources en eau ;
- Faibles coûts : garantir de faibles coûts annuels et limiter leur augmentation ;
- Exploitation efficace des ressources : garantir la récupération de substances nutritives à partir des eaux usées et une utilisation efficace de l’énergie.
(*) PNR 61, Synthèse thématique 3, "Approvisionnement en eau et assainissement des eaux usées durables en Suisse – Défis et mesures possibles", rédigée par Sabine Hoffmann, Daniel Hunkeler et Max Maurer. Ce document, dont s’inspire largement le présent article, est disponible en téléchargement sur le site pnr61.ch