Les auteurs du rapport 2015 de la Cour des Comptes n’y vont pas par quatre chemins : les recettes fiscales perçues par les Agences de l’Eau "doivent avant tout servir les objectifs prioritaires de la politique de l’eau définis au plan national, et non les intérêts de certaines catégories d’usagers du bassin". Et au vu des déficiences relevées dans leur fonctionnement et du recul de l’application du principe pollueur-payeur, il convient de s’interroger "sur la pertinence d’un dispositif qui repose sur des redevances très majoritairement prélevées auprès des usagers domestiques alors que ceux dont l’activité est à l’origine de pollutions graves ne sont pas sanctionnés en proportion des dégâts qu’ils provoquent." On ne peut être plus clair.
Voici, plus précisément et en bref, quelques-uns des griefs émis par la Cour des Comptes :
– Les comités de bassin : ces "parlements de l’eau" sont composés de membres répartis en trois collèges, à savoir : 40 % représentant les collectivités locales, 40 % les usagers et 20 % l’État. Malgré une récente réforme, la représentativité du collège des usagers n’a guère été améliorée et se caractérise encore et toujours par une forte proportion des usagers professionnels (industriels et agricoles).
– Les aides financières : d’une manière générale, leur attribution est jugée insuffisamment transparente, seules quelques agences rendent publique la liste des bénéficiaires et les montants versés. Il est souhaité que toutes les agences appliquent ces bonnes pratiques "afin d’éviter tout soupçon de favoritisme ou de conflit d’intérêt, et de permettre aux citoyens de s’assurer de la bonne utilisation de l’argent public".
– Le principe pollueur-payeur : il appartient aux agences de l’eau de percevoir à ce titre des redevances dont le montant a été sensiblement accru ces dernières années afin de financer la forte augmentation des dépenses découlant de la mise aux normes des stations d’épuration. Les chiffres révèlent que ces redevances sont essentiellement supportées par les usagers domestiques (87 %, contre 7 % par l’industrie et 6 % par l’agriculture) et que les pollueurs sont donc insuffisamment taxés : la Cour des Comptes estime que du fait des nouvelles lois les redevances acquittées par l’agriculture sont peu incitatives et celles payées par l’industrie diminuent.
– Gestion : sous ce chapitre la Cour des Comptes déplore "une gestion favorable aux redevables", des activités de contrôle parfois insuffisantes dans certaines agences, des concours insuffisamment sélectifs, des modalités discutables d’attribution des aides, des règles d’attribution inégalement respectées, le soutien à des actions éloignées des objectifs prioritaires de la politique de l’eau, des financements accordés en lieu et place d’autres acteurs publics ou encore des aides aux industriels parfois attribuées sans garantie suffisante.
– Coopération internationale : les Agences de l’eau ont la possibilité légale de consacrer jusqu’à 1 % de leurs ressources à des actions internationales. La Cour des Comptes se dit peu convaincue de la pertinence de l’appui à des projets qui échappent au pilotage de l’aide publique au développement, dont le suivi et le contrôle d’efficacité sont malaisés et qui peut-être se font au détriment d’actions davantage prioritaires.
Dans ses conclusions, la Cour des Comptes avance un certain nombre de recommandations pour améliorer le fonctionnement des agences. Cela passe aussi selon elle par le renforcement du rôle de l’État pour encadrer leurs pratiques et par une meilleure coordination inter-agences. (bw)
– En savoir plus sur le site de la Cour des Comptes
(*) Les agences de l’eau françaises
Créées en 1964, d’abord sous le nom d’agences de bassin, les six agences de l’eau sont des établissements publics placés sous la tutelle du ministère en charge du développement durable. Elles ont pour missions essentielles de contribuer à réduire les pollutions de toutes origines et à protéger les ressources en eau et les milieux aquatiques.
Si elles n’ont pas de pouvoir réglementaire, lequel est de la compétence exclusive de l’État, elles disposent par contre de moyens économiques sous la forme notamment de redevances perçues auprès des usagers de l’eau (en 2013, elles ont collecté 2,2 milliards d’euros de redevances et distribué 1,9 sous forme d’aides). Ces recettes fiscales leur permettent de financer des projets publics ou privés d’intérêt commun visant au bon état des eaux tel que défini par l’Union européenne. En termes de postes de travail, les agences comptaient en 2013 plus de 1700 équivalents plein temps.
Les stratégies des agences en vue de garantir la durabilité des ressources en eau sont fixées par des comités de bassin – sortes de parlements de l’eau à l’échelle des grands bassins hydrographiques – dans des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) régulièrement remis à jour et déclinés dans des planifications locales (SAGE).