Entre 2011 et 2018, l’association Workshop for Water Ethics (W4W) a organisé à Genève cinq colloques interdisciplinaires centrés sur divers questionnements d’actualité directement liés aux ressources en eau. Sous le titre « Éthique de l’eau » et en étroite collaboration avec la Fondation Globethics.net, elle a non seulement publié un ouvrage qui regroupe une trentaine de contributions présentées dans ses rendez-vous, mais elle l’a enrichi d’une sorte de charte éthique destinée à quiconque entend s’engager personnellement ou collectivement pour un usage responsable, équitable et durable de l’eau. Ces deux publications ont fait l’objet d’une présentation officielle le 8 septembre 2020 au Musée d’Histoire des Sciences de Genève. [1]
Au sein de l’association W4W [2], l’approche des problématiques et des enjeux de l’eau se veut résolument interdisciplinaire. Il est fait appel à des compétences reconnues dans des domaines aussi divers, entre autres, que le droit et l’économie, l’hydrologie et la biologie, la gouvernance politique et la théologie. Mais en même temps, insiste Evelyne Fiechter-Widemann, auteure d’une thèse de doctorat sur le droit à l’eau [3] et cheville ouvrière de cette association, il importe de rester attentif aux actions concrètes menées sur le terrain et de les mettre au cœur de nos réflexions. Et de citer, à titre d’exemple, les solutions mises en place au Sénégal qui permettent de manière durable l’accès à l’eau potable et la création d’emplois, ou l’appui apporté à des écoles publiques de trois pays du sud-est asiatique pour la construction de systèmes d’approvisionnement et de stockage d’eau.
« Une sorte d’épaisseur éthique »
À la relecture des communications regroupées dans cet ouvrage dont il est co-auteur, Benoît Girardin, qui dans sa carrière au sein de la coopération et de la diplomatie suisse a pu prendre la mesure des problèmes de différents pays confrontés au stress hydrique, dit avoir compris « que tout le système de l’eau passe par des étapes et qu’à chacune de ces étapes il y a des enjeux éthiques ». Qu’il s’agisse de garantir politiquement et techniquement à tout être humain un accès équitable à l’eau potable sans faire l’impasse sur les questions économiques, de prévenir les conflits possibles entre usagers et entre riverains d’amont et d’aval, de préserver la ressource contre le gaspillage et la surexploitation, d’opter pour des modes de tarification qui font appel à la responsabilité personnelle des usagers, ou encore de reconnaître que les ressources en eau sont limitées, il y a là « une sorte d’épaisseur éthique » qui doit être absolument prise en considération. On est donc loin de l’époque où les décisions en matière de gestion de l’eau relevaient souvent de la seule compétence technique des ingénieurs.
Du côté de la Fondation Globethics.net [4], qui a repris à son compte les principes et les lignes directrices de l’association W4W, il a été décidé d’en assurer la plus large diffusion possible à la fois sous forme de livre et dans des formats téléchargeables gratuitement sur son site web. « Éthique de l’eau » existe d’ores et déjà dans trois éditions (français, anglais, espagnol) et il est probable que d’autres traductions suivront. Pour le responsable des publications de la Fondation, Ignace Haaz, diffuser les valeurs qui sous-tendent les problématiques de l’eau est une démarche essentielle : la meilleure façon d’attirer l’attention du public sur ces questions, « c’est de lui rappeler les raisons pour lesquelles ces valeurs méritent un certain respect : derrière tout cela, il y a des personnes, il en va de la valeur intrinsèque de la vie humaine ».
« L’eau est un sujet de justice »
Laissons la conclusion à Amélé Ekué, Doyenne de l’Académie Globethics.net. Pour cette théologienne protestante originaire du Togo, l’eau nous apparaît, à nous qui n’en manquons pas, comme la source de toute vie, omniprésente au quotidien, « mais c’est une impression étriquée : ailleurs dans le monde, l’eau est avant tout une source de survie ». C’est également une ressource fragile, surexploitée, mal gérée, mal distribuée : « Si on regarde au-delà de nos zones de confort, on voit bien que l’eau est un sujet de justice. Ce bien commun devrait donc être au cœur d’une éthique engagée, celle qui nous incite à prendre nos responsabilités pour la sauvegarde, la bonne gestion et le recyclage de l’eau. »
Bernard Weissbrodt