Concrètement, les producteurs et distributeurs d’eau potable ont la possibilité de recourir à la chloration à trois moments différents : d’abord au stade du traitement primaire, comme l’un des procédés successifs que l’on fait subir à l’eau pour la rendre potable et la débarrasser de ses éventuels composants pathogènes ; ensuite comme désinfectant après un traitement à l’ozone et au charbon actif ; enfin comme “désinfectant résiduel” dans les réseaux.
Car, entre la station de traitement et le robinet de l’usager, de nombreux facteurs ou événements peuvent modifier la qualité de l’eau potable. Peut-être faut-il rappeler qu’à la sortie de l’usine de production, l’eau n’est pas stérile. Elle est certes passée, le cas échéant, par toutes sortes de processus de désinfection (1), mais elle contient toujours une grande quantité de micro-organismes qui, en soi, ne présentent aucun danger pour la santé.
Pourtant les conduites par lesquelles cette eau va ensuite être acheminée vers les usagers ne sont pas à l’abri de possibles perturbations - corrosions, fuites, ruptures ou autres incidents - qui pourraient favoriser l’intrusion ou le développement de microbes, bactéries, virus ou autres matières vivantes indésirables. D’autres paramètres doivent être aussi surveillés - comme la variation de la température de l’eau ou de son degré de turbidité, sa vitesse d’écoulement et la durée de son séjour dans le réseau, l’accumulation de sédiments ou de substances résultant de l’usure des canalisations, etc. - car tous ces éléments peuvent avoir une influence sur le comportement des micro-organismes.
C’est pour toutes ces raisons que les distributeurs, qui doivent garantir une parfaite qualité de l’eau jusqu’au consommateur, recourent à différents moyens pour empêcher qu’elle ne soit contaminée durant son transport. L’une des méthodes les plus classiques consiste donc, juste avant son entrée dans le réseau, à injecter dans l’eau potable une ultime dose de chlore ou de composé de chlore qui empêchera le plus longtemps possible toute régénération bactérienne.
Les atouts et les défauts de la chloration
La chloration a depuis plus d’un siècle démontré son efficacité : elle a un effet rémanent dans les réservoirs et les réseaux, sa technologie peu coûteuse et relativement simple a largement fait ses preuves, et on peut y faire appel très rapidement en cas d’alerte. Mais, note Eric Raetz, inspecteur cantonal vaudois des eaux, la chloration n’est pas sans inconvénients : elle reste sans effets sur certains micro-organismes, elle peut générer des sous-produits potentiellement néfastes (entre autres des trihalométhanes, dont le chloroforme, potentiellement cancérigènes) et - ce qui est la conséquence la plus connue et la moins appréciée du grand public - elle confère à l’eau un goût et une odeur qui ne sont pas des plus agréables, ce qui nuit forcément à l’image de marque du distributeur d’eau ainsi relégué malgré lui dans le secteur de la production chimique.
On l’a bien compris à Zurich où les autorités municipales, dès 1993 déjà, ont décidé de se passer de tout ajout chloré dans le réseau de distribution, hormis quelques très rares et brèves exceptions (la ville tire 70% de son eau du lac). Comme ce sera également le cas à Bâle un peu plus tard, ce passage vers un système sans chloration s’est déroulé de manière progressive et a pris plusieurs années. Les responsables des services d’eau zurichois expliquent d’ailleurs que cela implique qu’un certain nombre de conditions soient strictement remplies, entre autres : un traitement qui garantisse une élimination ou une inactivation de tous les micro-organismes pathogènes, un contrôle soutenu de la qualité de l’eau et une multiplication des analyses en laboratoire, un réseau en parfait état et une surveillance minutieuse des fuites possibles, une hygiène irréprochable lorsqu’il faut intervenir sur les canalisations, un suivi régulier des zones de stagnation, etc.
Situation fort différente entre autres dans le canton de Neuchâtel, en particulier dans sa partie montagneuse : la cité horlogère de La Chaux-de-Fonds par exemple pompe son eau dans les gorges de l’Areuse, dans le bas du canton, et l’achemine jusque chez elle via un système de conduites ascensionnelles, de tunnels et d’écoulements gravitaires. Et la distribue ensuite jusque vers des hameaux et des fermes isolées situées aux extrémités de réseaux très longs et de faible débit, ce qui accroît d’autant les risques de contamination durant son transport.
Ainsi, lorsque la température augmente dans les conduites, explique Paul-Etienne Montandon, responsable du laboratoire de la société Viteos SA (issue de la fusion des Services industriels de Neuchâtel et des Montagnes neuchâteloises), on observe un développement de germes et un traitement chloré s’impose. Le problème, dans ce cas, est d’assurer un minimum de teneur de désinfectant jusqu’aux extrémités des réseaux tout en respectant un taux supportable chez les consommateurs situés en tête de réseau (2). Plutôt que d’en injecter une dose unique, il a donc été jugé préférable de répartir les injections de chlore en différents points du réseau et, si nécessaire, de le purger localement.
La référence néerlandaise
Dans les années 1970, suite à la découverte de trihalométhanes dans des réseaux de distribution, les Pays-Bas ont décidé de renoncer aux procédés de chloration. Pour leur approvisionnement, commente Fereidoun Khajehnouri, responsable de la division Contrôle de l’eau à eauservice Lausanne, lors de sa présentation des résultats de l’enquête FOWA (voir ci-contre), les Néerlandais donnent la priorité à des eaux souterraines microbiologiquement sûres, à la filtration des eaux de surface à travers les dunes ou le recours à des traitements de désinfection par rayons ultra-violets ou ozonation. Et pour prévenir des contaminations ultérieures dans les réseaux, ils s’efforcent de distribuer ce que les spécialistes appellent une eau “biologiquement stable” (exempte autant que possible de matières organiques biodégradables et facilement assimilables par les bactéries), en utilisant des matériaux de production et de distribution adéquats et en pratiquant une surveillance qui permette de détecter rapidement toute anomalie.
C’est d’ailleurs la principale des leçons que l’on retiendra des différentes interventions de cette journée technique. Il y a en tout cas consensus sur ce que Eric Raetz définit comme “concept des barrières multiples” : la production d’eau potable ressemble aujourd’hui à une course d’obstacles qu’il est impératif de franchir dans leur intégralité si l’on ne veut pas s’exposer à des risques sanitaires.
Ce long parcours va de la protection de toutes les ressources en eau et des écosystèmes aquatiques, de manière à garantir la meilleure qualité possible de l’eau brute, jusqu’à la protection du réseau de distribution, en passant par toute une série de prétraitements, de filtrations et de désinfections. Mais, s’agissant de la gestion de l’eau, qu’elle soit destinée à l’alimentation ou à d’autres usages, on sait qu’il n’y a pas de solutions toutes faites et qu’il appartient à chaque collectivité, compte tenu de ses paramètres hydrologiques et autres (3), de définir sa propre stratégie et d’appliquer ses propres solutions. À condition de s’intéresser aussi à ce qui se pratique ailleurs, ce qui était aussi le but de ce rendez-vous technique organisé par les Distributeurs d’eau romands. Et dont la forte participation a prouvé que le sujet répondait à une réelle préoccupation des professionnels de l’eau potable.
Bernard Weissbrodt
Notes
(1) Les traitements de potabilisation dépendent d’abord de la qualité de l’eau brute disponible (compte tenu de sa provenance et des substances qu’elle contient) mais aussi des normes légales relatives aux eaux de boisson. En Suisse, la liste des procédés de potabilisation autorisés comprend la floculation et la précipitation, la sédimentation, la filtration (lente sur sable, rapide ou membranaire), la chloration, le dioxyde de chlore, l’ozonation, le rayonnement UV, le charbon actif, l’échange d’ions, la désacidification et l’adoucissement, ainsi que l’oxydation avancée. Chacun de ces procédés vise un but d’utilisation spécifique (élimination de substances, désinfection ou autres).
(2) Le seuil de tolérance pour la teneur de chlore résiduel est généralement fixé à 0,1 mg/l (un dixième de milligramme par litre). Dans ses normes relatives à l’eau potable, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe de 2 à 3mg/l la quantité totale de chlore nécessaire à une désinfection et une concentration résiduelle satisfaisantes.
(3) En France, la loi Vigipirate stipule qu’en cas d’alerte antiterroriste la concentration minimale en chlore libre résiduel doit être de 0,3 mg/l en sortie des réservoirs et de 0,1 mg/l en tout point du réseau de distribution.
Liens
– Distributeurs d’eau romands
– L’eau potable sur le site de l’Office fédéral de la santé publique
– Fonds de recherche pour l’eau (FOWA)
– Pages eau du site Viteos
– Service des eaux de la ville de Zurich (en allemand) Voir >
– Site eau potable de la Société suisse des l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE)