Le jeune Gruérien plonge son outil dans l’eau, l’en retire plein de sable et de gravier, sort de sa poche un petit tube dont il extrait quatre ou cinq minuscules grains d’or qu’il sème aussitôt sur son assiette d’alluvions. On se dit alors qu’il paraît bien imprudent de gaspiller ainsi sa fortune. Mais quelques minutes plus tard, après avoir agité sa batée en tous sens – tantôt comme le vanneur, tantôt comme le « talerschwinger » appenzellois qui fait tourner ses thunes dans l’écuelle – le voilà, tel un prestidigitateur, qui met le plus naturellement du monde le doigt sur ses paillettes jaunes retrouvées.
« La première chose à faire, explique-t-il, c’est de bien secouer la batée pour que l’or descende au fond. Comme il a une densité à peu près vingt fois plus lourde que l’eau, cela se fera naturellement. Ensuite, petit à petit, on élimine les éléments plus légers, les petites pierres et le sable, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les plus denses, l’or, le fer, le platine… Un jour, un copain qui s’entraînait à l’orpaillage dans une rivière proche de chez lui a trouvé un diamant taillé, provenant d’une bague perdue… »
Un petit goût d’aventure et de liberté...
Bastien Brodard repose sa batée, visiblement satisfait de sa démonstration. Derrière son sourire, on devine que l’orpaillage est davantage qu’un hobby. La quête des minéraux en tous genres est une passion que lui a transmise son grand-père montagnard, grand amoureux de fossiles et de cristaux. « Tout gamin, je me suis intéressé à la minéralogie. Puis, alors que j’avais douze ans, j’ai passé des vacances en Auvergne. Quelqu’un y organisait des activités pour les touristes et il y avait l’orpaillage au programme. J’y suis allé… » Aussi simple que cela !
Pour être chercheur d’or, pas besoin toutefois de quitter le pays. Il y a en Suisse quelques coins réputés : la vallée du Rhin, du côté de Disentis ; le massif du Napf, entre Berne et Lucerne ; ou encore les rives genevoises de l’Arve et de l’Allondon.
« En général, en Suisse, il n’y a pas besoin de permis spécial, sauf par exemple dans quelques communes des Grisons qui imposent des patentes. On peut donc chercher de l’or assez librement. Mais il y a des périodes à respecter, entre avril et octobre, pour ne pas perturber l’équilibre des poissons. Jadis, dans certains cantons comme Lucerne, on devait aussi déclarer l’or qu’on trouvait. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »
...mais aussi un vrai travail
Heureusement, car il est rare que Bastien Brodard passe une journée en rivière sans trouver quelques paillettes du précieux métal. « Sur une année, c’est-à-dire environ 180 jours, on peut espérer récolter au total entre 180 et 250 grammes, à condition de travailler huit heures par jour, sans s’arrêter, et sans avoir mal au dos… »
C’est que le travail de chercheur d’or n’est pas de tout repos : « il faut toujours chercher sous les grosses pierres, parfois déplacer des rochers, et ça demande pas mal d’efforts, il faut aussi creuser, descendre plus bas que le niveau de la rivière, ce qui fait qu’on a souvent de l’eau jusqu’à la taille… »
Tout cela simplement pour le plaisir ? En fait, Bastien Brodard ne cherche pas à faire fortune. « Moi je garde tout l’or que je trouve. Je le collectionne. Je fais des classifications par rivières, vu que chaque cours d’eau a ses spécificités. Et ça m’intéresse de faire des comparaisons entre l’or ramené de Disentis, de Genève ou de Bâle. C’est tout de même un beau métal !... »
« Et si on peut ramener quelques grammes d’or à la fin d’une journée passée en pleine nature avec des copains, ça permet ensuite de se souvenir des bons moments passés ensemble. »
Propos recueillis par Bernard Weissbrodt
Photo © aqueduc.info