AccueilInfosDossiersLa débâcle du Giétro 1818-2018

13 juillet 2018.

Glaciologie, climat et risques naturels

Giétro 1818-2018 - Dossier [6/8]

La catastrophe de 1818 dans le Val de Bagnes s’explique en partie par une perturbation climatique venue d’ailleurs ; l’évolution actuelle des glaciers démontre, plus rapidement que tout autre indice, la réalité de changements climatiques dans lesquels l’homme porte une part de responsabilité ; la fonte des glaciers engendre de nouveaux risques naturels dont il faut se protéger efficacement et sans attendre : voilà quelques-unes des affirmations, argumentées et commentées, qui ont ponctué pendant deux jours et demi le colloque scientifique organisé dans le cadre des commémorations de la débâcle du Giétro. Les quelques notes qui suivent reviennent de façon ponctuelle et succincte sur l’une ou l’autre des questions abordées durant ces deux journées, apportant un éclairage particulier sur des problématiques souvent capitales, parfois pleines encore d’incertitudes.

1816, une année sans été

On sait, d’après les analyses de température, qu’après une brève période de réchauffement, le début du 19e siècle a connu en Europe une période froide marquée, entre autres, par une nouvelle avancée des glaciers. Ce que l’on sait moins, c’est que l’une des raisons de ce brusque refroidissement est à chercher dans une série d’éruptions volcaniques, dont celle du Tambora en Indonésie.

Cette éruption survenue en avril 1815, explique Stefan Brönnimann, climatologue à l’Université de Berne [1], est l’une des plus violentes de l’histoire. Elle a non seulement dévasté l’île de Sumbawa et ses voisines, mais elle a projeté dans l’atmosphère une telle quantité de particules, physiques et chimiques, qu’elle a obscurci le ciel durant plusieurs mois et sur plusieurs continents : c’est que les grands dérèglements climatiques ne connaissent pas de frontières. 1816 sera une "année sans été", avec de terribles conséquences (la Suisse ne sera pas épargnée) dues à une saison froide et pluvieuse : maladies, mauvaises récoltes, montée des prix, famines, émeutes même. Au bilan plus de 100’000 morts à travers le monde. Partout dans les Alpes, ce refroidissement renforce l’avancée des glaciers, dont celui de Giétro.

La débâcle du Giétro était-elle évitable ?

Pour répondre à cette question, Martin Funk et ses collègues glaciologues de l’École polytechnique fédérale de Zurich ont reproduit la vidange du lac glaciaire au moyen d’une simulation numérique. La barre générée par les débris du glacier, de près de 100 m de haut à son point le plus élevé, s’était formée en cinq ans. En 1818 son volume avoisinait les 10 millions de m³ et celui du lac qu’elle retenait était de quelque 30 millions de m³. Si l’ingénieur Venetz n’avait pas creusé de tunnel, ce lac aurait sans aucun doute atteint la limite de flottaison de la barre et la crue aurait été bien plus dévastatrice encore. Grâce à cette galerie, 13 millions de m³ ont pu être lentement évacués entre le 13 et le 16 juin. Cet écoulement a cependant érodé peu à peu la masse de glace, créant une cascade et entraînant la rupture de ce barrage naturel : 20 millions de m³ se sont alors brutalement déversés en une demi-heure dans la vallée. Selon les glaciologues, la catastrophe aurait probablement pu être évitée (pure hypothèse) si le tunnel avait été construit 35 mètres plus bas, ce qui aurait plus que doublé sa longueur (500m au lieu de 200m), et si on avait commencé à le creuser dès la fin mars. Mais à cette date-là, les Bagnards n’avaient même pas encore découvert la menace qui s’accumulait dans le haut de leur vallée !

Les blocs erratiques et la théorie glaciaire

Les naturalistes de jadis se posaient deux genres de questions à propos des gros rochers qu’ils voyaient dans les vallées alpines, en aval des glaciers, et qui ne semblaient guère issus de leur environnement naturel immédiat : d’où venaient-ils donc et comment étaient-ils arrivés jusque-là ? Emmanuel Reynard, géographe et président du colloque, rappelle volontiers qu’à cette époque circulaient diverses hypothèses comme celles d’un déluge universel, de radeaux de glace, d’éruptions de gaz, de torrents de boue, etc. Celle d’un transport par les glaciers qui ont avancé et reculé au cours des âges géologiques ne s’imposera que dans la première moitié du 19e siècle.

Jean-Pierre Perraudin aura sans aucun doute joué un rôle important dans le développement de la glaciologie, mais il n’était "ni le seul ni le premier". C’est finalement le Neuchâtelois Louis Agassiz, inspiré par Venetz et de Charpentier, qui convaincra les scientifiques du bien-fondé de cette théorie glaciaire. En 1840, il publie ses "Études sur les glaciers" [2] dans lesquelles il apporte "les preuves de l’existence de grandes nappes de glace en dehors de l’enceinte des Alpes" : les blocs erratiques trouvés dans la chaîne du Jura ont bel et bien, eux aussi, été déposés là par une ancienne mer de glace ayant son origine dans les Alpes. Il faudra toutefois attendre 1889 pour que les scientifiques ne commencent à mesurer les glaciers de manière systématique.

Le Giétro aujourd’hui :
le glacier recule, modérément

Si l’on se réfère aux données du réseau suisse de relevés glaciologiques (GLAMOS) collectées depuis 1889, on voit que le glacier du Giétro, après une période de retrait initiée dans les années 1860, a vécu une phase importante d’avancée (d’environ 8 mètres par an) entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1980. Entre 1985 et 2016, il a ensuite continuellement reculé de 17,75 m en moyenne par an (soit un retrait cumulé de 550 mètres. Selon Christophe Lambiel, géomorphologue à l’Université de Lausanne, le Giétro aurait perdu entre le milieu du 19e siècle et aujourd’hui environ 42 % de son volume et 20 % de sa surface. C’est relativement peu, précise-t-il, en comparaison avec d’autres glaciers suisses.

Les glaciers sont-ils plus dangereux aujourd’hui ?

Les débâcles du type Giétro ne sont pas les seuls risques engendrés par les glaciers. Leur recul peut, derrière leurs moraines, donner naissance à de nombreux petits lacs : en cas de danger, il paraît assez aisé de pomper leurs eaux. Cela paraît plus compliqué lorsqu’un lac se crée sur la surface d’un glacier et plus dangereux encore – on l’a vu récemment en Haute-Savoie – lorsqu’il s’agit d’une immense poche d’eau, formée dans la masse glaciaire ou entre elle et le plancher rocheux, invisible et donc difficile à détecter. Comment, dans ces conditions, mettre alors en place des systèmes performants de surveillance et prendre des mesures efficaces de prévention ?

En Valais, on a recensé 80 glaciers potentiellement dangereux, explique Pascal Stoebener, responsable du groupe cantonal de protection contre les dangers naturels : ils sont régulièrement surveillés par le biais d’images satellites, de survols de reconnaissance et d’observations de terrain à l’œil nu. Les risques potentiels sont évalués de la façon la plus objective possible et au besoin des plans d’évacuation sont établis. La dernière grande alerte date de septembre 2017 avec la menace d’effondrement d’une grande partie de la langue du glacier de Trift au-dessus de Saas-Grund. L’installation d’un radar sophistiqué a permis non seulement de calculer la quantité de glace qui serait libérée par le glacier mais aussi de prévoir le moment où la cassure se produirait. Les zones dangereuses ont ainsi été évacuées en toute connaissance de cause et l’effondrement a eu lieu sans dommages.

Les risques liés au réchauffement du pergélisol

Durant l’été 2013, des chercheurs de l’Université de Fribourg ont filmé une lave torrentielle dans une ravine du glacier rocheux de Gugla, dans la vallée de Zermatt. Il suffit de regarder cette vidéo [3] pour comprendre un tant soit peu ce qui a pu se passer le 23 août 2017 dans les Grisons lorsque des centaines de milliers de mètres cubes de roche se sont détachés du Piz Cengalo, ont emporté huit randonneurs et dévasté une partie du village de Bondo. Les zones de pergélisol (ou permafrost), c’est-à-dire ces terrains de haute-montagne gelés en permanence, subissent depuis quelques décennies les contrecoups du réchauffement climatique : elles perdent de leur stabilité et présentent de gros risques d’éboulements, de glissements de terrains et de déclenchements de laves torrentielles. C’est un phénomène qui prend cependant beaucoup de temps, explique Reynald Delaloye, actif au sein de PERMOS, le programme suisse d’observation du permafrost. Ce que l’on voit aujourd’hui résulte d’un processus qui a commencé il y a plusieurs décennies et qui se poursuivra pendant plusieurs autres. Difficile toutefois de prévoir les endroits à risques quand on sait que 5 % environ du territoire national est constitué de pergélisol.

Dossier rédigé par
Bernard Weissbrodt




Notes

[1Brönnimann S, Krämer D., "Tambora and the ’Year Without a Summer’ of 1816. A Perspective on Earth and Human Systems Science." Geographica Bernensia, 2016, 49 pp. Disponible (en anglais seulement) sur le site de l’Université de Berne.

[2Louis Agassiz, Étude sur les glaciers, Neuchâtel, 1840, 346 pp.,
disponible sur e-rara.ch.

[3Lave torrentielle du Gugla Bielzug, le 17 juin 2013.
Vidéo de l’Université de Fribourg (10’22"), sur youtube.com.

Infos complémentaires

Pour en savoir un peu
sur les glaciers en général

 Fiches didactiques sur la géomorphologie de la montagne
(glaciers, pergélisol, etc., y compris une fiche 2.6.2 sur la débâcle du Giétro)
éditées par la Société Suisse de Géomorphologie et disponibles sur www.unifr.ch.
 Site de Sylvain Cutterand, Maître de conférences à l’Université de Savoie Mont Blanc, spécialiste en glaciologie et géomorphologie : www.glaciers-climat.com.
 Réseau suisse de relevés glaciologiques (GLAMOS).


Les autres articles du dossier

 Quatre jours pour se souvenir et comprendre
 L’avàlo, la débâcle
 Solidarités, reconstruction, prévention
 La pérennité des souvenirs
 La convergence de trois pionniers
 Autres débâcles, ailleurs
 1818, le film.

 Les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier spécial aqueduc.info téléchargeable ici (19 pages).

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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