AccueilInfosDossiersLa débâcle du Giétro 1818-2018

13 juillet 2018.

Autres débâcles, ailleurs

Giétro 1818-2018 - Dossier [7/8]

Le réchauffement climatique annonce-t-il une plus grande fréquence des débâcles glaciaires ? Il n’existe pas vraiment de statistiques probantes à ce sujet, mais l’augmentation du nombre de recherches scientifiques sur ce type de phénomènes pourrait le laisser penser. Un récent inventaire bibliographique portant sur quelque 900 études publiées dans les années 1979 à 2016, à défaut de recenser les événements glaciaires eux-mêmes, livre cependant quelques indications utiles sur les centres d’intérêt des glaciologues. Ils portent principalement sur une dizaine de régions névralgiques : en Asie (Asie centrale, Himalaya, Karakoram), en Europe (Alpes, Scandinavie, Islande), au Groenland et en Amérique du Nord (Alaska, Cordillère nord-américaine) et en Amérique du Sud (Andes centrales et Cordillère de Patagonie). Le pays qui jusqu’ici a fait l’objet du plus grand nombre de recherches est l’Islande et les débâcles glaciaires les plus étudiées sont celles du Lac Missoula, dans l’État de Washington (nord-ouest des États-Unis), à la fin de la dernière glaciation. Trois cas, situés hors de Suisse, ont été plus particulièrement abordés dans le cadre du colloque sur le Giétro.

Gros dangers dans la Cordillère des Andes

La Cordillère Blanche, dans les Andes péruviennes, est la plus importante chaîne de montagnes glaciaires tropicales du monde. Elle est particulièrement tributaire du réchauffement climatique : on estime qu’au cours des trois dernières décennies elle aurait perdu quelque 40 % de sa masse de glace. D’innombrables lacs glaciaires sont en train de naître et ceux qui existent se remplissent dangereusement. On peut craindre le pire. Mais, rappelle Christian Huggel, climatologue à l’Université de Zurich, le Pérou a déjà connu une débâcle catastrophique : en décembre 1941, un effondrement de moraine dans le lac Palcacocha provoque un raz-de-marée de glace et de boue dans la vallée, dévastant entre autres la ville de Huaraz et coûtant la vie à au moins 5000 personnes. La même région est encore ravagée en 1970 par un tremblement de terre extrêmement meurtrier (plusieurs dizaines de milliers de morts). Huaraz, qui a été alors reconstruite et compte désormais plus de 100’000 habitants, reste aujourd’hui de toute évidence à la merci d’inondations qui pourraient être causées par un nouveau débordement du lac Palcacocha.

Alerte au glacier
de Tête Rousse
(Mont-Blanc)

Le 11 juillet 1892, une grande quantité d’eau qui s’était accumulée à l’intérieur du glacier de Tête Rousse, en Haute-Savoie, s’était déversée soudaine-ment sur la station thermale de Saint-Gervais, faisant 175 morts. Dès 2007, à la demande des autorités publiques qui s’interrogent sur les risques d’une nouvelle catastrophe du même genre, une équipe de scientifiques emmenée par Christian Vincent, glaciologue à l’Institut des Géosciences de l’Environnement de Grenoble, entreprend un certain nombre de vérifications. Ayant constaté une zone d’anomalies, les chercheurs n’écartent pas l’hypothèse de la formation d’une nouvelle poche d’eau.

Ayant constaté une zone d’anomalies, les chercheurs n’écartent pas l’hypothèse de la formation d’une nouvelle poche d’eau. La poursuite des mesures à l’aide d’instruments de résonance magnétique nucléaire confirme leurs craintes : le glacier, relativement petit, renferme effectivement une poche d’eau évaluée à quelque 65’000 mètres cubes. Il y a urgence : il existe un risque de vidange naturelle brutale de ce gros volume d’eau. Des pompes sont aussitôt installées à plus de 3000 mètres d’altitude pour drainer la cavité sous-glaciaire. Ces drainages seront répétés les deux années suivantes car le lac s’est reformé pendant les étés successifs. Des études ultérieures ont mis en évidence des différences de température entre le haut du glacier, plutôt tempéré, et le bas où l’eau se trouve piégée par la glace, ainsi que l’existence d’un autre réservoir sous-glaciaire qui laisse ruisseler de l’eau tout au long de l’année. De quoi justifier que le glacier de Tête Rousse soit constamment sous surveillance.

Menaces de crues glaciaires au Népal

La chaîne de l’Himalaya, ce château d’eau qui en saison sèche approvisionne 1,3 milliard d’Asiatiques de divers pays, compte quelque 54’000 glaciers correspondant à une superficie d’environ 60’000 kilomètres carrés (une fois et demi l’équivalent du territoire suisse). Au Né-pal, 3252 glaciers et 2323 lacs glaciaires ont été recensés. Monique Fort, géomorphologue à l’Université Paris Diderot, fait remarquer que l’augmentation des eaux de fonte représente certes une aubaine pour la production d’hydroélectricité, pour l’irrigation, pour le tourisme et pour le développement local en général. Mais il y a le revers de la médaille : une vingtaine de ces glaciers sont jugés potentiellement dangereux.

La chute de séracs ou de rochers dans les lacs glaciaires peut générer des vagues d’eau en-traînant la rupture du barrage naturel. C’est ce qui s’est passé par exemple en 1985 dans la région du Khumbu lorsque le lac Dig Tsho, au pied du glacier de Langmoche, s’est subitement déversé dans la vallée, faisant plusieurs victimes, détruisant des maisons, des ponts et une centrale électrique, et dévastant des terres agricoles. Plus récemment, c’est un autre lac, alimenté par le glacier d’Imja, qui a suscité de fortes craintes : les autorités népalaises ont alors décidé de procéder à un drainage pour baisser son niveau d’eau de 3 mètres. La prévention ne s’arrête pas là : les habitants de la vallée ont été informés des risques qu’ils encouraient et invités aussi à reconsidérer les emplacements de certains de leurs bâtiments et infrastructures.

Dossier rédigé par
Bernard Weissbrodt




Infos complémentaires

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 Les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier spécial aqueduc.info téléchargeable ici (19 pages).

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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