Ne pas disposer de toilettes saines, privées et pratiques, constitue une atteinte quotidienne à la dignité et au bien-être de tout être humain. Séparer les populations et l’eau potable des déchets de l’organisme est également un défi ancestral. Pourtant, le fait que près d’un habitant sur deux des pays en développement n’ait pas accès à un système d’assainissement digne de ce nom n’empêche pas qu’il soit relégué dans l’arrière-boutique de la considération politique. Pour les hautes sphères du pouvoir, que des millions de personnes défèquent dans des sacs, des seaux, des champs ou des caniveaux est une réalité honteuse qu’il faut absolument soustraire à la vue.
Sous cet angle du tabou, on ne peut s’empêcher – ce que fait le Rapport mondial sur le développement humain – de tracer un parallèle avec la pandémie du sida. À son apparition, on a fortement escamoté cette « peste des temps modernes », avec les atermoiements que l’on sait. Plus récemment, face à la menace d’une crise sanitaire de grande envergure causée par la grippe aviaire, le monde s’est mobilisé en toute hâte pour dresser un plan d’action internationale.
Pourquoi la crise de l’eau et de l’assainissement en particulier ne suscite-t-elle que d’infimes réactions isolées et si peu d’énergies ? Pour les rédacteurs du Rapport du PNUD, « l’une des explications possibles est que, contrairement au VIH/SIDA et à la grippe aviaire, la crise de l’eau et de l’assainissement constitue la menace la plus immédiate et directe à l’encontre des personnes défavorisées vivant dans les pays pauvres – groupe dont le poids est insuffisant pour influencer la vision internationale de la sécurité humaine ».
Le sida a frappé toutes les couches de la société, riches et pauvres, du Nord et du Sud, sans distinction de statut social ou économique. La crise de l’assainissement ne touche que les populations pauvres et sans voix, dans les pays en développement. Toute la différence est là, le tabou reste résolument entier.
Les femmes plus concernées que les hommes, mais pas entendues
Une seconde entrave importante au progrès en matière d’assainissement est l’inégalité entre hommes et femmes. Des études menées en Asie du Sud-Est montrent que les femmes attachent une plus grande importance que les hommes à la possibilité d’accès à des équipements sanitaires privés, pour des raisons évidentes de dignité et de sécurité. On a également constaté, notamment en Afrique noire, que près de la moitié des filles, surtout après la puberté, abandonne l’école primaire si celle-ci n’est pas dotée d’installations sanitaires adaptées. Mais, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions budgétaires, même au sein des ménages, la voix des femmes n’a guère de poids.
À ce propos, il faut aussi noter que généralement, les populations des pays en développement accordent moins de priorité à l’assainissement qu’à l’eau. Ce qui s’explique aisément car la carence en eau propre fait peser sur l’existence un risque plus immédiatement perceptible que l’absence de toilettes. Par ailleurs, les bénéfices liés à l’assainissement dépendent fortement du comportement cohérent de la collectivité : « les bienfaits que l’installation de latrines permet d’escompter en termes de santé publique peuvent ne se matérialiser qu’à partir du moment ou d’autres ménages agissent de même ». Des latrines n’offrent aucune protection contre les excréments du voisin.
Enfin, il apparaît que le progrès en matière d’assainissement soit paradoxalement entravé par la surabondance de technologies inadéquates. Il ne sert à rien de proposer des toilettes à chasse d’eau quand on sait que les collectivités n’ont aucune garantie que leurs installations soient régulièrement alimentées en eau. Sans parler de leur coût absolument prohibitif : un milliard et demi de gens sans accès à un système sanitaire vivent avec moins de deux dollars par jour.
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- Source : RDH 2006 (PNUD)
Les initiatives à la base font la différence
Quand bien même les perspectives d’amélioration dans le domaine de l’assainissement soient fortement teintées de pessimisme, il n’en demeure pas moins que le Rapport conclut à « une impressionnante prolifération de réussites au plan local et même national qui contrastent avec le tableau mondial ». Avec deux points communs : la solidarité sociale et les responsabilités partagées.
Le Rapport du PNUD avance des exemples concrets montrant comment des actions menées à la base et combinées à l’engagement des services publics peuvent améliorer la situation des pauvres en matière d’assainissement. Dans le bidonville d’Orangi, dans la capitale pakistanaise de Karachi, la participation quasi-universelle à un projet d’assainissement géré dans les quartiers a contribué à faire chuter le taux de mortalité infantile, le faisant passer, en une vingtaine d’années, de 130 à 40 décès pour 1000 naissances vivantes.
Il y a dix ans, le Bangladesh présentait l’un des plus bas niveaux au monde d’accès à un assainissement adéquat dans les zones rurales. Figurant parmi les pays les plus pauvres au monde, il est néanmoins sur la voie de réaliser une couverture universelle à l’horizon 2010, grâce à une « campagne d’assainissement total » soutenue par les ONG et les autorités locales. Cette campagne fait appel à trois moteurs de changement : la répugnance, l’intérêt personnel et un sentiment de responsabilité individuelle à l’égard du bien-être collectif.
Le Rapport reste cependant prudent dans son analyse. Non seulement parce que les initiatives d’origine communautaire, aussi importantes et efficaces soit-elles, ne remplacent pas l’action gouvernementale. Mais aussi parce que les avancées possibles en matière d’assainissement ne donneront des résultats satisfaisants que si de gros efforts sont menés en parallèle dans le domaine de l’accès à l’eau et dans celui de l’hygiène. Comme les maladies diarrhéiques sont d’origine fécale, la prévention passe par le lavage des mains au savon et à l’eau. De ce point de vue, l’éducation des enfants à l’hygiène personnelle constitue l’un des facteurs les plus puissants de l’amélioration de la santé publique. (bw)
Ces informations sont toutes extraites du Rapport mondial sur le développement humain 2006 (PNUD)
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