AccueilInfosDossiersRapport mondial sur le développement humain 2006

9 novembre 2006.

Pourquoi les plus pauvres paient-ils l’eau au prix fort ?

À Barranquilla, en Colombie, le prix moyen de l’eau fournie par (...)

À Barranquilla, en Colombie, le prix moyen de l’eau fournie par les services collectifs est d’un demi dollar par mètre cube, contre 5 dollars et demi pour celle des sociétés qui la distribuent par camions-citernes aux familles non raccordées. De même, dans les bidonvilles d’Accra, au Ghana, et de Nairobi, au Kenya, la population achète son eau auprès de vendeurs qui pratiquent des prix au litre généralement huit fois plus élevés que celui de l’eau courante fournie à domicile par les services collectifs.

Le dernier Rapport mondial sur le développement mondial met le doigt sur une flagrante situation d’injustice, à savoir que les prestataires de services publics, bien trop souvent, fournissent une eau bon marché aux familles à hauts revenus et un service de piètre qualité – voire aucun service du tout – aux populations pauvres.

Il y a certes une inégalité de départ : les ménages pauvres, parce qu’ils n’en ont pas les moyens financiers, ou plus simplement encore parce qu’ils vivent en dehors des réseaux de distribution, ont peu de chance d’avoir accès à une source d’eau potable. Le revers de la médaille est encore moins reluisant : des millions de gens parmi les plus pauvres paient leur eau à un prix parmi les plus hauts.

Pour en comprendre le pourquoi, il faut d’abord regarder où ces populations démunies vont chercher leur eau et comment les structures du marché leur rendent la vie extrêmement difficile. Tant il n’est pas simple pour elles, si l’on s’en tient aux normes minimales de qualité, de quantité et de proximité, d’avoir « au moins 20 litres par jour d’eau salubre provenant d’une source située à moins d’un kilomètre du domicile ».

De l’eau à sources multiples

Avoir accès à l’eau dans un pays pauvre n’a pas grand-chose à voir avec les robinets des habitations en pays riches où chaque immeuble est raccordé à un réseau de distribution géré par un prestataire de service.

Du point de vue de la qualité, raccordements privés, bornes-fontaines, pompes et puits protégés peuvent être considérés comme des accès à l’eau potable. Mais ce n’est pas le cas pour l’eau achetée à des revendeurs et à des camions-citernes, et encore moins pour l’eau puisée dans les cours d’eau et les puits non protégés.

Dans la réalité quotidienne, les usages de l’eau sont beaucoup plus variés – et dynamiques – que l’image simplifiée qu’on en a dans les pays du Nord. Des millions de familles doivent constamment modifier leur quête de l’eau pour répondre à leurs préoccupations immédiates (disponibilité, qualité, prix, etc.) si bien que la frontière entre eau potable et non potable a quelque chose d’un peu illusoire. On boit l’eau du robinet public, mais on puise l’eau des puits non protégés pour l’hygiène personnelle et la lessive.

De plus, il faut tenir compte des facteurs saisonniers : lorsque la pression est trop faible dans les fontaines ou que l’arrivée d’eau est trop irrégulière, il faut se tourner vers des sources de remplacement, y compris les cours d’eau, avec les conséquences faciles à imaginer quant aux risques de contamination et au nombre d’heures supplémentaires passées à s’approvisionner.

Le puzzle de l’offre

Si on regarde l’accès à l’eau du point de vue des distributeurs, les images se multiplient tout autant. Alors que les usagers des pays industrialisés s’approvisionnent généralement auprès d’un seul et unique prestataire de services, les familles pauvres des pays en développement se voient proposer « un éventail déconcertant » de vendeurs d’eau.

Faute de robinet privé, ce sont les bornes-fontaines qui représentent le point de contact privilégié, et le plus répandu, avec le réseau collectif de distribution. Ces points de distribution et de revente d’eau à un prix minimum sont souvent gérés par des comités de quartier, des associations locales ou des particuliers sous contrat avec le service municipal.

Ce n’est pourtant que la partie visible du système de distribution. Car, dans de nombreuses villes, ces bornes-fontaines ne sont de loin pas disponibles – ou en état de marche - dans tous les quartiers, surtout dans les zones plus éloignées. Et là où elles existent, l’approvisionnement peut être insuffisant, voire rationné en saison sèche.

L’eau marchandise

Les familles doivent alors s’adresser à des vendeurs d’eau. Certains en font le commerce dans des « kiosques » après l’avoir acquise auprès de propriétaires de camions-citernes qui ont accès, ailleurs, à des points d’eau du service collectif. D’autres s’en vont la vendre dans la rue en jerrycans ou bonbonnes, sur leurs vélos ou sur des charrettes attelées à des ânes. Ces revendeurs d’eau représentent un plus indéniable. Ils agrandissent en quelque sorte le réseau d’eau et proposent un service qui génère d’importants avantages pour les familles. Mais c’est un service qui a un prix (voir dans la colonne de droite), proportionnel à la distance qui les sépare du service collectif et au nombre d’intermédiaires entre le réseau et le consommateur final.

Autrement dit, et pour reprendre les termes mêmes du Rapport mondial sur le développement humain, « des millions de gens parmi les plus pauvres et les plus vulnérables au monde dépendent déjà de marchés qui traitent l’eau comme une marchandise et distordent les prix à leur détriment ». Pour bon nombre de ménages, le marché privé de l’eau est quoi qu’on en dise une réalité quotidienne. Qu’ils paient au prix fort et souvent pour un « produit » de piètre qualité. (bw)


Ces informations sont toutes extraites du Rapport mondial sur le développement humain 2006 (PNUD)

Lire aussi, sur ce même rapport :
 Le robinet et le cadenas (édito)
 Crise mondiale de l’eau : trop de paroles, trop peu d’actes
 L’assainissement, cette urgence que le monde ne veut pas voir
 Accès à l’eau des petits agriculteurs : un ciel chargé de menaces




Infos complémentaires

:: Le cercle vicieux du prix de l’eau des pauvres


 Plus l’eau coule le long de la chaîne de commercialisation, plus son prix augmente. L’eau livrée par les vendeurs de rue est souvent 10 à 20 fois plus chère que celle du réseau collectif.

 Certaines grandes sociétés de livraison d’eau par camions-citernes ou les gérants des kiosques importants peuvent engranger des profits considérables.

 Le prix de revente augmente aussi avec la distance : les frais de transport vers les bidonvilles et les zones d’habitat informel sont élevés.

 Les politiques de tarification par tranches progressives (le prix augmente en fonction du volume) ont été conçues pour faciliter l’accès de l’eau aux plus pauvres, mais c’est le résultat inverse qui se produit : les intermédiaires achètent l’eau en grosses quantités et dans les tranches de prix supérieures.

 Pour la même raison, si des familles démunies veulent se regrouper pour partager un raccordement avec un compteur commun, leur niveau de consommation collectif les fera passer dans la tranche de prix supérieure.

 Les frais de raccordement sont souvent prohibitifs et représentent un obstacle infranchissable puisqu’ ils équivalent parfois à plusieurs mois de salaire.

 Bien des services collectifs de distribution refusent de fournir de l’eau aux ménages qui n’ont pas de titre officiel de propriété, ce qui est le cas de millions de familles installées à la périphérie des villes dans des périmètres non autorisés.

(Source : Rapport mondial sur le développement humain 2006)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


Contact Lettre d'information