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septembre 2014.

Participation des usagers dans l’aménagement des cours d’eau en Suisse : premiers résultats d’une enquête nationale

Comment, en Suisse, les services cantonaux d’aménagement des (...)

Comment, en Suisse, les services cantonaux d’aménagement des cours d’eau s’y prennent-ils pour impliquer le public dans leurs projets ? Peut-on établir une typologie de ces démarches participatives et en dresser une sorte de panorama au plan national, plus particulièrement dans les projets de protection contre les crues ? Ces questions sont au cœur d’une recherche initiée par l’Office fédéral de l’environnement et conduite au sein des universités de Lausanne et Fribourg. On trouvera ici les principales conclusions du premier volet de cette étude réalisée sous forme d’enquête auprès d’une vingtaine de responsables cantonaux.


Stephan Utz

   Université de Lausanne,

   Institut de géographie et durabilité
Nora Buletti

   Université de Fribourg,

   Département des géosciences


Un projet d’aménagement de cours d’eau peut viser divers objectifs : sécuritaires, économiques, environnementaux, récréatifs. Leur définition ne dépend pas uniquement de critères techniques et législatifs, mais également d’enjeux sociaux. Il ne s’agit pas simplement de maîtriser techniquement des flux d’eau, mais aussi de répondre aux attentes des acteurs concernés et du public. C’est ce qui permet, au bout du compte, de mesurer le degré de réussite d’un projet.

En Suisse, l’exiguïté du territoire accentue la proximité entre les cours d’eau et les activités de la population. Des intérêts concurrents sont souvent concentrés dans ces espaces sensibles : production hydroélectrique, exploitation de surfaces agricoles, développement de zones à bâtir, protection de l’environnement, etc. De nombreuses controverses rendent dès lors souvent difficile la recherche de compromis autour des projets d’aménagement.

Comme le système démocratique donne aux citoyens de ce pays la possibilité de remettre en question certaines décisions prises par les autorités, il importe – si l’on veut garantir une bonne acceptation des projets – d’associer à leur élaboration les milieux directement concernés et le grand public au travers d’un processus de planification participative.

En Suisse, l’aménagement des cours d’eau est du ressort des cantons qui peuvent ensuite déléguer cette responsabilité aux communes. Pour sa part, la Confédération joue essentiellement un rôle de supervision : elle propose des lignes directrices et des recommandations, et elle subventionne certains projets. Du côté de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), on estime que la planification participative permet d’améliorer la qualité des projets en incluant les savoir-faire locaux et de favoriser leur acceptation grâce à une plus forte identification des acteurs à ces plans d’aménagement.

Pour encourager de tels processus participatifs dans les projets de protection contre les crues, la Confédération peut accorder des prestations complémentaires à une hauteur de 2%. Mais les critères qui déterminent leur attribution sont relativement larges et les maîtres d’œuvre bénéficient d’une assez grande marge de manœuvre quant à la forme de participation qu’ils mettent en place.

De la théorie à la pratique

Dans le cadre du projet ESPPACE – Évaluation et suivi des processus participatifs dans l’aménagement des cours d’eau en Suisse – mené conjointement par les universités de Lausanne et de Fribourg et financé par l’OFEV, vingt-deux responsables cantonaux de l’aménagement des cours d’eau ont été associés à une enquête par questionnaire afin de mieux comprendre les pratiques actuelles en matière de participation dans ce genre de projets. À noter que cette enquête porte uniquement sur les projets de protection contre les crues et qu’elle n’a pas pris en compte les renaturations de rivières.

Il ressort de cette enquête que, d’une manière générale, les principes de base concernant les processus participatifs sont relativement bien intégrés par les responsables de l’aménagement des cours d’eau. Mais, de toute évidence, de nombreuses contraintes pratiques en compliquent singulièrement la mise en oeuvre. Elles sont principalement liées d’un côté aux efforts en temps et en argent que réclament ces processus de participation et, d’un autre côté, aux difficultés inhérentes à la diversité des acteurs concernés et à la multiplicité des intérêts qu’il faut concilier.

L’analyse des avis fournis par cette enquête a finalement permis de dégager cinq approches différentes, mais non exclusives, de ces processus participatifs tels qu’ils sont perçus par les responsables cantonaux, à savoir :

 la participation est limitée pour l’essentiel aux autorités, c’est-à-dire au sein des institutions cantonales ou communales ;
 l’information du public est considérée comme une forme de participation et comme un moyen de le persuader de l’utilité des projets ;
 la participation est perçue comme une manière d’inclure dans les processus de décision des individus représentant les intérêts des différents milieux concernés (associations, groupes économiques, etc., plus rarement le public ou les usagers)
 la participation du public aux décisions est une question de principe et une manière de mettre en pratique les idéaux démocratiques ;
 la participation est perçue comme un processus qui permet d’améliorer les projets en faisant appel aux savoir-faire locaux.

Les principales raisons avancées pour justifier la mise en place de ces processus de participation insistent d’abord sur la nécessité que les projets soient finalement acceptés par le public : il importe donc de s’assurer son soutien. Ces projets peuvent aussi s’en trouver améliorés par des discussions ouvertes sur d’éventuelles variantes ou solutions nouvelles. Mais, sur le fond, ce n’est pas forcément la prise en compte des intérêts du public dans le développement du projet qui, au sein des services cantonaux, paraît motiver la mise en place de processus participatifs comme le montre le diagramme ci-dessous.

De quelques freins au dialogue
entre public et responsables de projets

 La responsabilité de la participation du public dans les projets d’aménagement des cours d’eau revient généralement aux chefs de projet. Cela peut se révéler problématique dans la mesure où ces derniers portent une double casquette : celle d’expert technique et celle de modérateur du dialogue. Il n’est pas toujours aisé pour les partenaires des projets de bien différencier ces rôles. L’engagement d’un médiateur externe, souvent réservé aux réalisations de grande envergure, pourrait peut-être améliorer le suivi de la participation.

 Les thèmes que les responsables cantonaux estiment importants de soumettre au public correspondent-ils à ceux que le public lui-même souhaiterait voir traités ? Les chefs de projet mettent la priorité sur les objectifs et sur les éventuelles variantes et s’efforcent autant que possible d’éviter les sujets controversés. Quant au public, il préfère plutôt soulever les problèmes liés à l’utilisation du sol : les agriculteurs y sont particulièrement sensibles puisqu’ils sont directement concernés par les questions d’expropriation et de compensation. Conscients de la difficulté, les chefs de projet tentent alors de favoriser des discussions en tête-à-tête avec les acteurs réellement concernés plutôt que de le faire en public.

 Le coût financier des projets est un autre sujet de polémique sur lequel la population interpelle souvent les responsables. Ceux-ci pourtant ne le mettent pas en tête des priorités du débat car ils estiment que l’implication du public ne permet généralement pas de réaliser de véritables changements en la matière : ils préfèrent donc ne pas l’aborder directement dans les processus participatifs.

 La protection de l’environnement fait aussi régulièrement partie des thématiques abordées par le public ; or, elle n’est jamais traitée de manière spécifique lors de la présentation des projets. Ce constat découle peut-être du fait que les questionnaires soumis aux responsables cantonaux se focalisaient sur des projets de protection contre les crues, un domaine où la protection de l’environnement ne figure pas au premier plan des préoccupations.

Procédures et méthodes participatives

S’agissant de la mise en œuvre pratique de la participation dans le cadre de projets d’aménagement des cours d’eau, l’enquête démontre qu’il n’existe pas de procédures préétablies strictement appliquées par les chefs de projet. Ceux-ci s’inspirent assez librement des différentes recommandations émises notamment par l’OFEV, mais ils adaptent ensuite les procédures au contexte institutionnel et aux caractéristiques de chaque projet. Cela signifie que la mise en œuvre de processus participatifs est donc tributaire de leur expérience professionnelle.

Par contre, on notera que les chefs de projet veillent à remplir les différents critères qui conditionnent l’obtention de la prestation complémentaire de la Confédération en faveur de la planification participative : même s’il ne s’agit pas de leur motivation première, ils considèrent cette prestation comme un bonus qui leur permet de compenser en partie les efforts consentis pour la mise en place des processus de participation.

Les méthodes participatives ne varient pas beaucoup entre les cantons. Elles relèvent surtout de techniques de communication mais n’entraînent pas véritablement d’échanges bidirectionnels entre les chefs de projets et les acteurs et usagers directement concernés. On recourt essentiellement à des séances d’information et des documents distribués à tous les ménages lorsqu’il s’agit d’impliquer le grand public dans le projet, ou encore à des ateliers et des groupes de travail quand on cherche à intégrer directement des acteurs d’un domaine particulier.

À souligner enfin que les acteurs institutionnels sont généralement les premiers intégrés dans ces processus participatifs alors que les acteurs privés et le public ne les rejoignent souvent que dans une seconde phase. Ce décalage trouve peut-être son explication dans le fait que les chefs de projet préfèrent généralement établir un projet solide avant de le soumettre au public pour validation. Cette façon de faire renforce l’idée, déjà mise en évidence, que la première et principale préoccupation des responsables de projets est de s’assurer l’adhésion du public et d’obtenir un consensus définitif sur les objectifs du projet et ses moyens de mise en œuvre.


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Infos complémentaires

Travaux d’aménagement sur le cours de l’Aire,
dans le canton de Genève
(photo aqueduc.info)


Projet ESPPACE :
une vue d’ensemble
qui doit être approfondie

De manière générale, on peut conclure de l’enquête menée dans le cadre de ce projet d’évaluation et de suivi des processus participatifs dans l’aménagement des cours d’eau (ESPPACE) que des processus participatifs sont effectivement mis en place dans la plupart des cantons suisses et pour l’ensemble des grands projets d’aménagement des cours d’eau visant une meilleure protection contre les crues. Il existe cependant, dans leur application pratique, des différences qui dépendent essentiellement des contextes institutionnels cantonaux et des caractéristiques spécifiques des projets.

À partir de cette enquête qui lui fournit les premières données de base, le projet de recherche ESPPACE prévoit dans une deuxième étape d’analyser plus en profondeur plusieurs cas d’étude et d’évaluer concrètement l’apport des procédures de participation dans la réalisation de projets d’aménagement de cours d’eau et dans des contextes institutionnels différents.

La mise en commun des conclusions de ces diverses analyses devrait permettre, dans une troisième phase, de dégager les principes d’une mise en œuvre efficace de la participation dans l’aménagement des cours d’eau.


 Le texte original et complet de cette contribution est disponible ici
en format PDF.

aqueduc.info - S.Utz et N.Buletti - Participation des usagers

 Le cahier spécial de la Lettre aqueduc.info n° 100 dont cet article est extrait est disponible ici en format PDF.


Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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