On assiste alors à la naissance et au développement fulgurant d’un véritable mythe d’une civilisation lacustre dont les Suisses seraient les héritiers directs. L’imaginaire collectif s’en empare, alimenté en cela par les dessinateurs et les peintres, mais aussi par les pouvoirs politiques en quête de symboles forts : l’État fédéral est jeune et l’image du village lacustre arrive à point nommé pour forger une identité nationale encore fragile.
C’est ce 150e anniversaire qui a poussé le Musée national suisse à monter une exposition temporaire consacrée aux "Lacustres", qui tente à la fois d’expliquer le comment et le pourquoi de la fascination des Suisses pour cette "fiction préhistorique" et de dresser l’état des lieux des connaissances scientifiques en matière d’habitats humains en milieu humide.
Aujourd’hui, grâce aux nouvelles techniques archéologiques et à la conjugaison des recherches historiques et des sciences de l’environnement, on sait qu’il n’y a jamais eu de peuple lacustre. Les scientifiques sont là-dessus catégoriques mais apportent des explications "circonstanciées" et "multiples". Les réponses aux questions que posent les habitats "palaffitiques" (aménagés sur des pieux) doivent en effet prendre en considération la diversité des époques et des lieux où ils ont été construits.
C’est aussi la double ambition de l’étude publiée par Marc-Antoine Kaeser, archéologue et conservateur au Musée national suisse de Zurich, que de remettre le mythe national dans ses perspectives historiques, compte tenu de la situation politique et des outils scientifiques de l’époque. Et d’expliquer comment les archéologues ont au fil des décennies réussi à se dégager de "l’illusion d’un modèle de reconstitution unique" de villages prétendus lacustres. Tout en avouant que "l’archéologie ne peut prétendre réformer l’imaginaire collectif". (bw)