Ce fut le cas par exemple de la journée technique organisée par l’association des Distributeurs d’eau romands et dédiée à la gestion et à la distribution de l’eau potable. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le système politique suisse laisse une large autonomie aux cantons et aux communes. Non sans de nombreux avantages. Mais l’accroissement de population, la pression sur les ressources, la concurrence entre les différents usages de l’eau, le changement climatique sont aujourd’hui autant de défis que les responsables de l’approvisionnement en eau doivent relever. D’où leurs interrogations : en suivant quels modèles et pour quels objectifs ? Éléments de réponse avec Philippe Collet, animateur de cette journée, et par ailleurs homme de grande expérience en la matière.
– aqueduc.info : Si l’on reprend les questions que vous avez vous-même formulées à l’enseigne de cette journée, la première porte sur l’échelle pertinente de la réflexion : locale ? régionale ? par bassin versant ?
Philippe Collet : "Tout dépend du contexte local, des ressources à disposition, de la compétence et de la volonté politique locale. Il n’y a pas de solution toute faite applicable partout. Si vous prenez le cas d’un centre urbain disposant de personnel qualifié, c’est souvent lui qui aura tendance à reprendre l’ensemble des activités d’approvisionnement en eau des collectivités environnantes. Mais dans un environnement rural où les distributeurs sont de tailles ou de forces plus ou moins équivalentes, on choisira plutôt une formule de type associatif et intercommunal. Quoi qu’il en soit, les petites collectivités ont toujours peur de se "faire manger" par les grandes et de perdre leur autonomie et leur marge de manœuvre.
Quant au bassin versant, c’est un modèle dont on ne parle guère en Suisse. Il y a bien eu ici et là quelques tentatives, mais cela a posé beaucoup de problèmes, compte tenu des découpages politiques et administratifs du pays. Il arrive aussi que les regroupements pour l’eau potable ne coïncident pas avec les réseaux mis en place pour l’assainissement."
– Comment les différents distributeurs peuvent-ils
mettre leurs forces en commun ?
– "Ce qu’il faut d’abord mettre en commun, ce sont les ressources, les infrastructures et le personnel. Pour les petites communes en particulier, se regrouper permet de professionnaliser l’exploitation. Souvent elles ont recours à des "mercenaires", c’est-à-dire des personnes qui ont une autre activité et qui accessoirement s’occupent, ou ne s’occupent pas, du réseau d’eau.
L’autre avantage des regroupements, en plus de pouvoir engager un professionnel, c’est d’avoir moins besoin de sous-traiter auprès d’entreprises prestataires de service. Garder son ancrage local, c’est quelque chose de très précieux pour la municipalité. Si elle doit déléguer des tâches à un bureau d’ingénieur ou à une entité voisine, elle risque de perdre définitivement tout ou partie de la connaissance de ses installations."
– Faut-il comprendre par là que les communes rurales
manquent de personnes compétentes ?
– "Elles manquent de qualifications. Pendant longtemps, la politique a consisté à dire que tant que l’eau coulait au robinet il n’y avait pas besoin de s’en occuper. Mais à présent, avec les contraintes légales et techniques de plus en plus exigeantes, il faut aussi élever le niveau des intervenants. C’est également important d’avoir du personnel bien formé qui peut discuter d’égal à égal avec des prestataires de services ou des fournisseurs d’équipements. De même que ceux-ci apprécient d’avoir des partenaires qui comprennent les problèmes et ne s’inquiètent pas seulement du montant final de la facture."
– Comment intégrer les différents acteurs dans la réflexion ? Qu’en est-il par exemple des agriculteurs pour qui l’eau est une ressource essentielle et qui ces temps-ci sont particulièrement visés par les défenseurs de l’environnement ?
– "Vus sous l’angle global du cycle de l’eau, les agriculteurs sont effectivement sous pression, accusés de souiller la ressource, tout comme les industriels d’ailleurs. Ils voudraient avoir l’eau la moins chère possible pour irriguer leurs cultures et utiliser des engrais pour leur production, alors que les distributeurs d’eau veulent une ressource qui soit de la meilleure qualité possible sans avoir besoin de la traiter. Il faut donc trouver un compromis acceptable pour chacun.
La loi sur la protection des eaux permet aux distributeurs qui le souhaitent de soutenir financièrement des agriculteurs pour qu’ils pratiquent une agriculture plus raisonnable en matière de pesticides. La baisse de rendement et le manque à gagner qui résultent alors d’une agriculture moins polluante pour les nappes souterraines peuvent être compensés financièrement par les distributeurs d’eau qui n’ont plus besoin de la traiter avant de la servir dans leurs réseaux.
On a un bel exemple de ce type de gestion à Morges, dans le canton de Vaud : la municipalité subventionne des agriculteurs qui ont des terres dans la zone de captage. C’est une agriculture respectueuse de l’environnement. Et pour le distributeur, il est moins coûteux de payer un paysan pour qu’il ne souille pas l’eau plutôt que d’investir dans une usine de traitement. C’est bon aussi pour l’image de marque du service de l’eau qui distribue la ressource telle qu’il l’a captée."
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt
– Site officiel du salon : www.aquaprogaz.ch
– Sur le salon aqua pro gaz 2018, voir aussi l’article aqueduc.info :
Calculer le prix de l’eau, c’est plus qu’un problème de robinets
– Voir aussi les Clins d’eau : Objets d’eau de salon