Comment développer l’espace urbain genevois et en même temps revaloriser les berges du Rhône ? aqueduc.info consacre un dossier à trois projets conçus par des étudiants de la filière urbanisme du Master en sciences de l’environnement de l’Université de Genève. Trois propositions inédites qui répondent à de vrais besoins d’équipement des Genevois, imaginent des points d’articulation originaux entre la ville et le fleuve et ouvrent des perspectives pour des usages renouvelés du Rhône tout en respectant son environnement naturel.
Flurbanisation. Le néologisme inventé par l’historien français Bernard Le Sueur n’est sans doute guère élégant. Mais, faisant écho à la ’rurbanisation’ des années soixante et à la quête d’espaces campagnards par les gens des villes, il a tout de même le mérite de dire d’un seul tenant l’ambition toute récente des grandes cités fluviales de revaloriser les voies d’eau qui les traversent et de réconcilier leurs habitants avec des berges dont bon gré mal gré ils avaient été dépossédés.
Ici des équipements portuaires et des quais à l’usage des chalands et autres bateliers, là des installations hydroélectriques et des sites industriels : les villes fluviales, au fil du temps, avaient abandonné leurs rives aux activités économiques, coupant les riverains de leur environnement naturel.
Aujourd’hui ce paysage économique a changé. Les dynamismes d’antan ont peu à peu laissé la place à d’informes bâtisses et à des terrains vagues. Et l’on se dit, ici et là, qu’il faudrait faire preuve d’imagination, non pour ressusciter la nostalgie des vieilles cartes postales, mais pour réinvestir des territoires dont on a peut-être oublié qu’ils font partie de l’histoire et de l’identité des cités auxquelles les fleuves, précisément, ont jadis donné le droit de vivre et de grandir.
"Espace identitaire, écrit Gabriele Lechner, historienne de l’architecture, le fleuve constitue un élément de mémoire du lieu, un bien transmis, qu’il est question aujourd’hui à la fois de révéler, de rendre accessible et utilisable pour le plus grand nombre. Il s’agit de lui inventer un nouveau destin, de nouveaux usages, afin de le mettre en accord avec les aspirations et nécessités de l’époque." (1)
De nombreuses villes de par le monde se mettent désormais à créer, aux abords de leurs fleuves, des lieux conviviaux et font fleurir les slogans qui, pour le meilleur et pour le pire, sentent la nature et le farniente : chaque été, les bords de Seine parisiens alignent palmiers, hamacs et parasols et se changent en plages de sable, tandis que Lyon, en toutes saisons, invite à "vivre la ville d’une autre manière" : piétons, amateurs de vélos, rollers et autres amateurs de mobilité douce s’en donnent à cœur joie sur l’interminable voie verte qui longe la rive gauche du Rhône. Sans parler, à Lyon toujours, du projet assez pharaonique de reconversion de son bout de presqu’île, justement baptisé Confluence, entre Rhône et Saône, pour en faire un quartier moderne hors normes (2).
Quand l’imagination prend le pouvoir, tout semble possible. Les habitants de Sion, en Valais, ont découvert l’été dernier un projet (3) qui leur suggère d’amener leur ville au fleuve, le Rhône encore lui, relégué dans l’arrière-décor. Il faut dire que le contexte se prête à de telles audaces virtuelles : ce canton s’est lancé dans un vaste et long chantier de correction du fleuve, la troisième de l’histoire. Pareille occasion de repenser les liens tangibles entre la ville et l’eau ne se représentera pas de sitôt : des étudiants de l’École Polytechnique Fédérale de Zürich l’ont bien compris, redessinant un nouveau paysage rhodanien et une ville où en son milieu coulerait un fleuve…
Que des étudiants, futurs paysagistes, ingénieurs, architectes ou autres, planchent sur les espaces riverains des villes fluviales est plutôt encourageant pour qui cherche à leur redonner vie. À l’image par exemple de ceux qui œuvrent en France dans l’Atelier permanent fleuve-paysage, coordonné par la Maison du fleuve Rhône à Givors (4). Il importe que des jeunes, dans leurs disciplines de recherche, aient la possibilité, sans préjugés ni aucune sorte de frein aux idées, de faire valoir leur vision novatrice de ce que pourraient être les cadres de vie de demain. Quitte ensuite à faire affiner leurs propositions par d’autres experts.
La démarche menée par Géraldine Pflieger, Jérôme Chenal et Maria Isabel Haroon avec une quinzaine d’étudiants de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève nous paraît relever de la même dynamique (5). Qu’il s’agisse de revivifier l’espace où le Rhône genevois et l’Arve mêlent leurs eaux, de revaloriser les rives industrielles du fleuve ou de retisser les liens d’une collectivité avec son cadre fluvial, l’enjeu qui stimule leurs travaux ne peut qu’être pris au sérieux : il est grand temps de jeter un regard neuf sur les traversées urbaines de ces fleuves qui, aujourd’hui, semblent prendre leur revanche sur la peur ou l’indifférence avec lesquelles les citadins les ont longtemps regardés.
Bernard Weissbrodt
Notes
(1) Gabriele Lechner, "Le fleuve dans la ville - La valorisation des berges en milieu urbain", 2006. Dossier disponible sur le site du Centre français de documentation de l’urbanisme
(2) Voir le site Lyon Confluence
(3) Voir dans aqueduc.info : "Sion-sur-Rhône, ou comment amener la ville au fleuve"
(4) Lien vers l’Atelier permanent fleuve-paysage. Voir aussi le site ’Des rives et des rêves’
(5) Géraldine Pflieger est Maître d’enseignement et de recherche (UNIGE), Jérôme Chenal, chercheur à University College London et Maria Isabel Haroon, chargée d’enseignement (UNIGE). Voir le dossier aqueduc.info : Atelier La Ville et le Rhône