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20 septembre 2022.

Ces nouveaux outils qui nous disent la qualité des lacs et des rivières

Échos de la Journée d’information Eawag 2022

Quoi de neuf ? Ce genre de question passe-partout relève souvent de la salutation rituelle : généralement on ne s’attend guère à de surprenantes réponses. Sauf si, par exemple, elle est posée à un panel de chercheurs rassemblés pour partager leurs savoir-faire, leurs méthodes de travail et leurs résultats. Ce qui fut le cas, à la mi-septembre à Lausanne, lors de la journée d’information de l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau.

Dédié cette fois-ci aux "nouveaux outils" et aux "nouvelles opportunités" dans le domaine de la surveillance des eaux de surface, ce rendez-vous annuel - organisé comme en 2015 sur le campus de l’EPFL - avait pour ambition de dresser une sorte d’inventaire succinct de quelques-unes des technologies récemment développées pour mesurer et analyser l’évolution des systèmes aquatiques. Avec la conviction que ces outils permettront de relever les défis actuels et futurs de la gestion des lacs et des cours d’eau exposés au réchauffement climatique, aux pollutions ou aux prélèvements excessifs.

Et cette autre conviction aussi que les avancées dans ce domaine ne se feront que si les chercheurs échangent leurs connaissances en toute transparence et les rendent publiquement et gratuitement accessibles. On trouvera ci-dessous une brève description de quelques-uns de ces outils présentés lors de cette journée Eawag. [1]

Physicien à l’Eawag et l’un des concepteurs de cette journée, Damien Bouffard pose d’emblée le décor : “On a besoin d’une vision globale, intégrée et dynamique des systèmes aquatiques pour comprendre leur évolution et pour évaluer les conséquences des changements qui surviennent localement”. Mais cela tient du puzzle puisqu’il faut entrecroiser, analyser, interpréter des données qui non seulement proviennent de différentes disciplines (hydrologie, glaciologie, biologie, chimie, etc.), mais qui sont acquises aussi selon différentes méthodes et techniques qui vont de l’observation directe et la prise d’échantillons sur le terrain à la télédétection par drones ou satellites.

À quoi s’ajoute le fait que les mesures sont souvent effectuées à des fréquences variables (hebdomadaires, quotidiennes, horaires, l’idéal étant qu’elles soient faites en continu et transmises en temps réel) et sur des échelles cartographiques fort diverses. Le partage des données entre scientifiques, aussi indispensable soit-il, est de toute évidence une tâche extrêmement complexe mais pleine de promesses. D’où le grand intérêt de suivre par exemple des projets comme le laboratoire LéxPLORE et la plateforme Datalakes (voir ci-dessous).

Damien Bouffard croit en tout cas qu’il sera possible, d’ici quelques années, d’avoir une vision d’ensemble de la dynamique de l’eau dans les bassins versants. Dans le magazine spécial publié par l’Eawag, il dit aussi son espoir que les scientifiques, dans leurs analyses et la compréhension des processus, arrivent un jour à prendre en compte la dimension sociale et le facteur humain : “Cette perspective sociologique est indispensable pour mieux comprendre comment l’humain influe sur les systèmes et identifier les solutions durables qui peuvent fonctionner à long terme. C’est une question urgente mais aussi un véritable défi.”

LéXPLORE, laboratoire flottant

Depuis 2019, les limnologues (la limnologie est l’étude scientifique des lacs) disposent sur le Léman, à 570 m des rives au large de Pully, d’une structure de recherche unique au monde. Gérée par cinq institutions académiques (Eawag, EPFL, universités de Genève et de Lausanne, et un centre de recherche français basé à Thonon-les-Bains), cette plateforme d’une centaine de mètres carrés a notamment pour buts de promouvoir des recherches interdisciplinaires avec des technologies de pointe (capteurs high-tech, sondes allant jusqu’à 110 m de profondeur, etc.), d’acquérir automatiquement des données en continu, 24 heures sur 24, de les transmettre en temps réel sur un site public, et d’informer le public sur les problèmes liés à la qualité de l’eau du lac. En comparant les observations de ce laboratoire flottant avec des données satellitaires, il a été possible par exemple de suivre l’efflorescence des algues bleues, ces cyanobactéries qui se développent très rapidement. Cela permet d’alerter plus rapidement les riverains sur les risques sanitaires liés à ce type de prolifération.
 Lien vers le site lexplore.info
 Visite virtuelle de la plateforme

Datalakes, le « couteau suisse » des limnologues

Pour partager les données recueillies par LéXPLORE, les institutions académiques déjà citées, auxquelles s’est joint le Swiss Data Science Center, ont initié une plateforme en ligne qui, librement et gratuitement, offre un accès à des données physicochimiques et biologiques (température de l’eau, vitesses des courants, teneur en oxygène, etc.) mesurées dans les eaux de surface du Léman et d’une vingtaine de lacs suisses. Cette interface scientifique, baptisé Datalakes, a été conçue de manière à ce que chaque utilisateur, en fonction de ses propres besoins, puisse visualiser et extraire rapidement de la masse d’informations disponibles celles qu’il recherche précisément sans avoir à les collecter lui-même. Plus encore : si on met en relation les mesures effectuées dans les milieux aquatiques, les observations faites par télédétection et les modélisations réalisées en laboratoire, il devient aussi possible, à l’instar de la plateforme Meteolakes, de prévoir l’évolution à court terme (4 à 5 jours) de l’état biophysique des lacs suisses.
 Lien vers le site datalakes-eawag.ch
 Lien vers le site meteolakes.ch
 Voir aussi des exemples concrets et actualisés de la mesure des températures de l’eau de quelques lacs suisses sur le site de l’Office fédéral de l’environnement

Dépister le coronavirus dans les eaux usées

“Je n’avais jamais travaillé sur un sujet qui suscite autant d’intérêt”, raconte Tamar Kohn, professeure à l’EPFL où elle étudie le comportement des virus pathogènes dans l’environnement. En 2020, dès l’apparition du SARS-CoV-2 en Suisse, elle et son équipe de chercheurs ont pris l’initiative de prélever des échantillons d’eaux usées pour y dépister le virus. “Nous avions déjà toutes les compétences au laboratoire et nous savions comment détecter les virus (...) Le problème a plutôt été de « vendre » l’idée aux spécialistes de santé publique”. Un an plus tard, finalement convaincu du bien-fondé de cette méthode, l’Office fédéral de la santé financera un projet de surveillance dans six stations d’épuration puis l’étendra à une centaine d’autres, au moins jusqu’à la fin 2022. L’intérêt de ce type de contrôle, mené parallèlement aux tests individuels de dépistage, est de vérifier localement l’évolution de la pandémie et, dans la mesure du possible, de détecter suffisamment tôt l’apparition de nouveaux variants. À l’avenir, vu que la logistique a été mise en place, il n’est pas impossible non plus que d’autres maladies, la grippe par exemple, soient également suivies selon cette méthode de traçage dans les eaux usées.
 Différents tableaux de bord (dashboards) du suivi de la pandémie
peuvent être consultés sur le site de l’Eawag

« Fish on chips », comment épargner les poissons

Les poissons sont de précieux indicateurs de la qualité des eaux de surface. Pendant longtemps, la seule façon de mener des tests de toxicité sur ces animaux consistait à les exposer progressivement à des substances chimiques, ce qui revenait à sacrifier chaque année des millions d’individus dans des expérimentations. La biologiste Kristin Schirmer, jugeant cette pratique peu conforme à l’éthique environnementale, entreprit alors de développer une méthode utilisant des lignées cellulaires de poisson plutôt que les poissons eux-mêmes. Ces cellules, provenant d’un tissu biologique spécifique (par exemple les branchies), sont cultivées en laboratoire sur des puces munies d’électrodes puis analysées afin de mesurer leur résistance et donc leur vitalité. Avec d’autres spécialistes, Kristin Schirmer a ensuite fondé aQuaTox-Solutions, une société dédiée à la diffusion de méthodes d’expérimentations qui ne mettent pas de vies animales en danger. Ce test a obtenu deux grands labels internationaux de qualité (norme ISO et reconnaissance des tests par l’OCDE).
 Lien vers le site aquatox-solutions.ch

Repérer les polluants dans les sédiments

Les sédiments, ces matières qui se déposent au fond des rivières et des lacs, jouent un rôle primordial dans les écosystèmes car ils offrent un milieu propice à la vie de nombreux organismes aquatiques. Mais, côté négatif, ils emmagasinent aussi des substances nuisibles d’origines très diverses (métaux lourds comme le mercure, pesticides, antibiotiques et nombre de substances difficilement dégradables, etc.). En Suisse, l’étendue et la gravité de ces contaminations sont d’autant moins connues que pendant longtemps on ne disposait ni de méthode standard de surveillance ni d’outils adéquats pour l’étude de la toxicité des sédiments et des risques de contamination tout au long de la chaîne alimentaire. Depuis une dizaine d’années, le Centre Ecotox, spécialisé dans l’écotoxicologie appliquée, travaille sur ces questions et a publié en 2021 une stratégie d’évaluation de la toxicité des sédiments, défini des critères de qualité et recommandé de surveiller 20 substances particulièrement problématiques. Ce n’est qu’un début, la méthode est actuellement testée dans l’Aar et les premiers résultats devraient être publiés eu printemps prochain.
 Lien vers le site centreecotox.ch

De l’utilité des caméras de surveillance
en cas de pluies torrentielles

Les pluies torrentielles font désormais partie des risques liés au changement climatique : plus fréquentes et plus intenses, souvent très localisées, elles surviennent à l’improviste, dévastent les centres-villes comme les villages, transforment les rues en rivières et entraînent des dégâts considérables, sans parler des possibles pertes humaines. Peut-on anticiper ce genre d’événement ? Il existe déjà, à l’échelle nationale, une carte de l’aléa ruissellement [2] mais peut-on affiner davantage ces prévisions ? João P. Leitão, ingénieur en gestion des eaux urbaines, s’est dit qu’il devrait être possible d’utiliser les caméras installées dans l’espace public. Avec la collaboration de la société Photrack AG, spécialisée dans la mesure des flux à partir d’images, lui et son équipe de chercheurs ont mis au point une méthode qui permet d’estimer le niveau et la vitesse des crues en prenant comme référence des personnes ou des objets visibles sur les vidéos (des voitures ou des bâtiments par exemple) dont la taille est à peu près connue. L’outil a ensuite été développé pour fonctionner à partir de vidéos prises par téléphone portable et disponibles sur Internet. Le résultat ? “Notre système entièrement automatisé de traitement des images permet maintenant aux services de sauvetage de disposer de films de résolution suffisante pour prendre des mesures au bon endroit et pour avertir la population de manière précoce”.
 En savoir plus sur le site de l’Eawag

Drones et satellites

Ces outils modernes occupent aujourd’hui une place importante dans le domaine de la surveillance des eaux de surface. Stuart Lane, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, est de ceux qui font régulièrement appel aux drones dans leurs recherches, entre autres pour détecter les changements intervenant sur les glaciers ou pour suivre les flux de sédiments à l’aval des barrages hydroélectriques, ce qui permet alors en aval de mieux comprendre les dynamiques de l’eau et d’améliorer la gestion des bassins versants. Avec les drones, il est devenu beaucoup moins coûteux d’acquérir des images aériennes et c’est donc désormais un outil très intéressant pour la gestion des rivières.

L’utilisation des satellites pour l’acquisition de données relatives à l’eau (douce ou salée) a déjà quant à elle une très longue histoire. Mais aujourd’hui la qualité des images qu’ils captent et transmettent aux laboratoires est sans comparaison avec ce qui se faisait il y a quelques années : désormais il est possible de bénéficier d’images prises quotidiennement, avec de hautes résolutions spatiales et quasiment transmises en temps réel. Pour ses travaux, l’Eawag peut ainsi compter sur le programme européen Copernicus qui depuis 2014 collecte des données satellites qu’il met gratuitement à la disposition de la recherche sur l’environnement. C’est grâce à de telles images que l’on peut par exemple observer l’évolution du phytoplancton et des algues bleues dans le Léman.

Bernard Weissbrodt




Notes

[1À travers ses recherches, l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau (Eawag) a pour objectif "une meilleure conciliation de l’utilisation des ressources et milieux aquatiques par l’homme et de la préservation d’écosystèmes aquatiques viables et robustes". Il mise pour cela sur l’interdisciplinarité et le transfert des savoirs vers les pouvoirs publics, la société civile et les acteurs socio-économiques. Basé à Dübendorf, dans le canton de Zurich, il compte 40 enseignant(e)s et plus de 300 collaboratrices et collaborateurs scientifiques. Il encadre chaque année de très nombreux travaux de masters, bachelors et doctorats. Une fois par an, il organise aussi sur un thème particulier une journée d’information. L’édition 2022, intitulée "Dynamique de l’eau : nouveaux outils, nouvelles opportunités" a été organisée le 15 septembre au SwissTech Convention Center de l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

 Pour en savoir plus sur cette journée et télécharger ou commander le magazine spécial qui lui est consacré (et dont sont extraites quelques citations rapportées dans le présent article), consulter le site de l’Eawag.

 Au cours de cette journée, il a également été question (voir sur le site de l’Eawag de l’amélioration de la gestion de réseaux d’assainissement par le biais de jumeaux numériques (doublons virtuels de systèmes réels) utiles dans le domaine de l’automatisation. Mais en Suisse il n’existe pour le moment que très peu d’applications effectives de cette nouvelle technologie.
Sur le même thème des nouveaux outils de surveillance des eaux de surface, voir aussi l’article aqueduc.info : Un puissant outil mobile pour mesurer les polluants dans un cours d’eau (3 décembre 2020), une innovation qui a également fait l’objet d’une présentation lors de cette journée.

[2Voir l’article aqueduc.info : Une nouvelle carte pour prévenir les inondations
(3 juillet 2018).

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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