Pollués, endigués, canalisés voire enterrés, les cours d’eau genevois ont été malmenés pendant plusieurs décennies jusqu’au jour où s’est imposée la nécessité de préserver les ressources en eau du canton. En 1997, Genève adopte dans sa législation le principe de la renaturation des cours d’eau et de son financement par le biais d’un fonds spécial de quelque 6 millions de francs par an.
Dix ans plus tard, les responsables du service de renaturation dressent en une centaine de pages le bilan d’une quarantaine d’actions qui tendent à prouver, comme le dit en préface Robert Cramer,
Conseiller d’Etat en charge du Département du territoire, que « lorsque les moyens financiers sont conjugués à une volonté politique claire, il est possible d’entreprendre des projets ambitieux en faveur de l’environnement naturel ».
Dans ses conclusions de synthèse, le rapport présente une analyse de l’impact de ces diverses réalisations sous l’angle des trois axes environnementaux, sociaux et économiques d’un véritable développement durable.
Un grand plus pour la biodiversité
Au chapitre environnemental, qui était l’un des enjeux essentiels du programme de renaturation, le bilan affiche un constat « très satisfaisant » : en 10 ans, les sites renaturés ont évolué très favorablement notamment dans leur biodiversité, avec le retour ou l’augmentation de population de castors, d’écrevisses à pattes blanches, de divers batraciens, etc.
Certains de ces sites, par ailleurs très précieux pour la végétation palustre, sont devenus des escales de choix pour les oiseaux migrateurs. Quant à la suppression systématique des obstacles à la migration des poissons et à l’amélioration de la qualité des cours d’eau, elles ont permis de maintenir et de développer des souches de poissons adaptées aux rivières genevoises.
Le rapport note aussi que la plupart des sites renaturés ont gagné « une plus-value paysagère remarquable » : des nants enterrés ont été remis à ciel ouvert, des ouvrages de protection devenus inutiles ont été supprimés, de nouveaux plans d’eau ont été aménagés.
Plus d’espaces ouverts au public
Le bilan social est jugé également positif. Une dizaine de nouveaux espaces de loisirs et de promenade ont été créés, et le public a un accès plus aisé aux cours d’eau. L’augmentation de la densité des salmonidés dans certaines rivières a eu un impact encourageant sur la pêche sportive.
Le monde agricole a joué le jeu
Sur le plan économique enfin, le rapport genevois conclut sur de bonnes notes : les actions de renaturation ont permis de réduire les dangers de crues et d’inondations dans des zones sensibles, les personnes et les biens sont mieux protégés même si l’on s’accorde à dire que certains problèmes subsistent ici et là (notamment à Lully où les projets en cours devraient bientôt réduire les risques).
L’impact de la renaturation sur les activités agricoles a été limité au maximum et des compensations ont été trouvées pour garantir la pérennité des exploitations rurales. Le bilan souligne « l’ouverture d’esprit » du monde agricole car c’est partiellement sur leurs terres que s’est fait l’essentiel de la renaturation des cours d’eau. À cette occasion, des entreprises et des bureaux d’ingénieurs ont développé « un savoir-faire remarquable » en la matière.
La renaturation, un concept dynamique
Dix ans d’expériences permettent de tirer quelques enseignements-clés :
– Les actions de renaturation ne sont pas et ne doivent pas être perçues comme définitives, mais évolutives. Une rivière est quelque chose de vivant et son comportement n’est de loin pas toujours prévisible. En fin de compte, c’est elle qui décide de sa propre évolution. D’où l’importance de prendre le temps de l’observer et d’intervenir à nouveau lorsque les objectifs ne sont pas atteints.
– L’efficacité des actions de renaturation dépend aussi de la façon dont sont gérés les autres problèmes qui touchent à la quantité et à la qualité des eaux de rivière : pollutions, crues, étiages, etc. Ce qui, à Genève, implique une importante concertation transfrontalière.
– De ce constat en découle un autre, à savoir la nécessité d’une gestion intégrée des eaux par bassin versant. Il existe pour cela, en Suisse comme en France voisine, des outils régionaux de planification pour une meilleure gestion par exemple des eaux pluviales des agglomérations. Le canton de Genève s’est également doté d’un outil spécifique de coordination (SPAGE : schéma de protection, d’aménagement et de gestion des eaux) qui intègre des problématiques encore plus larges, tels que les usages de l’eau, la protection contre les crues, l’assainissement, les pratiques agricoles ou encore la protection des cours d’eau.
Beaucoup a été fait. Restent cependant quelques chantiers phares importants, entre autres : l’achèvement des travaux de renaturation de l’Aire et de la Seymaz, la revitalisation des embouchures de l’Hermance et de la Versoix dans le Léman, et bien d’autres projets ponctuels et plus modestes. (bw)