Mais encore convient-il, avant d’en tourner systématiquement les pages ou d’y retrouver ses propres questions, de s’interroger sur ce qu’est un lac. Dans son avant-propos, Bernard Montuelle, directeur de l’INRA CARRTEL à Thonon (Haute-Savoie) et coordinateur de cet ouvrage collectif avec Anne Clemens, suggère d’avoir constamment à l’esprit d’une part que ces masses d’eau abritent une importante biodiversité et qu’ils sont au cœur d’enjeux essentiels à la vie humaine, et d’autre part, compte tenu de la fragilité de leur équilibre et de leur constante évolution, qu’il est absolument nécessaire d’assurer en permanence leur surveillance scientifique et de garantir leur pérennité par le biais de mesures de gestion adaptées.
Les quatre grands lacs alpins avec leur extension historique maximale (en bleu foncé) et leur extension actuelle (en bleu clair). Carte extraite de l’ouvrage, page 14.
Les premières pages de l’ouvrage ont trait à la naissance des lacs et à leurs histoires fort diverses. Ils peuvent naître, entre autres, du mouvement des plaques tectoniques à la surface du globe (tel le Lac Baïkal en Sibérie), d’activités volcaniques (le Lac Pavin dans le Massif Central français), d’éboulis de roches et de terres obstruant une vallée (le Lac des Brenets dans le Jura franco-suisse), etc.
Les grands lacs alpins dont il est question dans cet ouvrage trouvent quant à eux leur origine dans l’érosion des roches par les glaciers qui descendaient des Alpes et atteignaient parfois plusieurs centaines de mètres d’épaisseur (1’200 m du côté de Genève pour le glacier du Rhône). L’évolution des formes lacustres que l’on connait aujourd’hui dans l’Arc alpin résulte essentiellement de la dernière glaciation, dite du Würm (entre -110’000 et -14’000 ans) et de la période post-glaciaire.
Pour connaître l’histoire récente des lacs, les chercheurs étudient de près leurs "archives sédimentaires", c’est-à-dire les différents matériaux qui s’y sont accumulés au fil des siècles en provenance de leurs bassins versants respectifs et qui peuvent être relativement bien datés et documentés. Cela permet de reconstituer l’évolution des paysages autour des plans d’eau et d’en savoir plus sur le fonctionnement des lacs eux-mêmes.
Chaque strate de sédiments a sa propre "signature biogéochimique" qui fournit non seulement de précieuses données sur le passé environnemental des lacs mais aussi d’utiles indications sur les causes de leurs changements actuels. On sait ainsi que le Léman et les lacs d’Annecy et du Bourget ont connu depuis deux siècles environ de fortes modifications qui vont en s’accélérant et qui sont provoquées par diverses activités humaines comme les aménagements des cours d’eau et des paysages, les rejets de substances organiques et les pollutions de toutes sortes, les introductions d’espèces végétales et animales inappropriées, sans oublier les impacts du réchauffement climatique.
Certes, constatent chercheurs et gestionnaires, l’état des grands lacs alpins s’est nettement amélioré ces trente dernières années. Mais tout doit être entrepris pour réduire les apports de nutriments, restaurer les habitats des rives et limiter les contaminations chimiques. Il y va de la préservation durable des lacs et de leur patrimoine naturel.
Ce "tour des grands lacs alpins naturels" a en tout cas le mérite - au-delà des questions clairement posées et des explications très compréhensibles sur leur évolution passée et leur avenir incertain - d’en formuler aussi les principaux enjeux pour les générations à venir et d’esquisser les actions qui devraient permettre d’y apporter des réponses concrètes et efficaces. (bw)
N.B. Du titre de cet ouvrage, on se gardera de déduire que les grands lacs alpins naturels se résument au Léman et aux lacs d’Annecy, du Bourget et d’Aiguebelette, tous inscrits dans le bassin franco-suisse du Rhône. Il existe d’autres grands lacs au nord des Alpes suisses, en particulier le Lac des Quatre-Cantons formé lors du retrait du glacier de la Reuss et ceux de Brienz et de Thoune issus de l’Aar. Au sud des Alpes, les lacs italo-suisses (Lac Majeur et Lac de Lugano) et les lacs italiens de Garde (le plus grand lac du pays), de Côme et d’Iseo ont des histoires géologiques plus complexes qui probablement s’expliquent non seulement par des excavations glaciaires mais aussi par des événements tectoniques et des phénomènes d’érosion fluviale. (bw)