Hasard du calendrier : des instances suisses et françaises ont livré presque simultanément leurs visions sur la façon de garantir à terme, qui l’approvisionnement en eau, qui l’amélioration de la qualité des ressources en eau. Les deux préoccupations vont de pair et sont confrontées aujourd’hui à un défi identique : s’adapter aux changements climatiques.
Côté suisse, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a publié début juillet l’étude qu’il avait demandée à un groupe d’experts sur les mesures à prendre afin de "garantir l’approvisionnement en eau à l’horizon 2025". L’enjeu ici ne s’énonce pas d’abord en termes de pénurie "mais en capacités de répartition et de gestion des ressources". Le document n’a pas de valeur contraignante puisque la gouvernance des ressources aquatiques relève de la compétence des États cantonaux qui le plus souvent la répercutent ensuite sur les communes et leurs services de distribution. Mais tous ou presque attendaient de l’instance fédérale qu’elle émette des priorités claires et des recommandations applicables à l’échelle nationale. C’est maintenant chose faite.
Côté français, le Comité de bassin Rhône-Méditerranée, qui – à l’instar des comités des autres grands bassins hydrographiques du pays – balise la politique de protection et de gestion des ressources en eau, a donné son feu vert à mi-septembre au Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour les années 2016 à 2021 : cet outil de planification, dont le projet doit être encore soumis à consultation publique au cours des prochains mois, servira comme ceux des exercices pluriannuels précédents de cadre légal et incontournable à tous les acteurs du bassin.
Ces deux documents s’inscrivent certes dans des contextes politiques et administratifs fort différents et divergent également quant à leurs finalités propres. Mais, outre le fait qu’ils concernent tous les deux des territoires partiellement tributaires des écosystèmes aquatiques particuliers des montagnes de l’arc alpin, ils participent de la même démarche, à savoir qu’on ne peut pas dissocier approvisionnement durable en eau de qualité et gestion optimale de la ressource sous toutes ses formes.
Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les thèmes-clés que déclinent l’un et l’autre de ces deux textes. Dans le document suisse, il est question non seulement de protéger et d’exploiter les ressources en eau, à commencer par les plus vulnérables, "de manière à garantir leur disponibilité en tout lieu et en tout temps", mais aussi de rendre l’approvisionnement efficient et rentable à moindres coûts, de maintenir les infrastructures en bon état et de planifier correctement celles dont on a absolument besoin, ou encore d’améliorer la concertation et la coordination voire la mise en réseau des distributeurs d’eau.
Le projet de SDAGE Rhône-Méditerranée déroule quant à lui une série d’orientations fondamentales basées entre autres sur le principe de non dégradation des milieux aquatiques et de lutte contre toutes formes de pollution, de gestion durable des services publics d’eau et d’assainissement, de cohérence entre aménagement du territoire et gestion de l’eau, et d’amélioration du partage de la ressource sans oublier une meilleure prévention des risques d’inondation "en tenant compte du fonctionnement naturel des milieux aquatiques".
S’il est un registre dans lequel les deux documents sont au même diapason, c’est bien celui des changements climatiques. "La canicule de l’été 2003 a prouvé que notre pays n’échappe pas à la nécessité de gérer ses ressources en eau de façon réfléchie et prospective, lit-on dès les premières lignes de l’étude publiée en Suisse. Cela d’autant plus que les différents scénarios étudiés annoncent tous des changements climatiques plus ou moins importants : "Il faut donc s’attendre dans chacun d’eux à des sécheresses persistantes, à une mise en danger des installations due aux événements naturels et à une contamination microbiologique suite à une élévation des températures de l’eau".
Le document avalisé par le Comité de bassin Rhône-Méditerranée va plus loin : l’adaptation aux effets du changement climatique y figure en préambule (n° zéro) de la liste des orientations fondamentales, comme une sorte d’impératif transversal à prendre en compte dans la plupart des décisions. "Le changement climatique passera par l’eau, expliquent ses auteurs. Le SDAGE se saisit du sujet pour éviter une ruée non gérée vers l’eau, un aggravement des crues par la faute de l’homme et une ’mal-adaptation’ si l’action n’était pas guidée."
La première des bonnes adaptations à initier sans plus attendre et avant qu’il ne soit trop tard – a-t-on entendu aux tout récents États généraux de l’eau en montagne à Megève (Haute-Savoie) – c’est de faire la chasse aux gaspillages et d’inscrire les économies d’eau dans les budgets d’investissements afin par exemple de soutenir efficacement la réfection des réseaux qui fuient de partout ou d’encourager la modernisation des méthodes d’arrosage et d’irrigation.
On ne manquera pas d’eau si on en prend soin et si on l’utilise "avec discernement", disent les experts suisses en conclusion de leur rapport. "Sauvons l’eau !" clame de son côté un programme d’actions en cours dans le périmètre de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. On aimerait croire que les analyses, les stratégies et les incitations des uns et des autres ne finiront ni dans des lits de rivières asséchées ni emportées par des crues non maîtrisées.
Bernard Weissbrodt
– "Garantir l’approvisionnement en eau à l’horizon 2025 - Objectifs et mesures recommandées" – Brochure éditée par l’Office fédéral de l’environnement (8 pages, 2014) :
voir >
– En savoir plus sur le SDAGE 2016-2021 adopté le 9 septembre 2014 par le Comité de bassin Rhône-Méditerranée
– États généraux de l’eau en montagne – Megève, 8-10 octobre 2014