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31 janvier 2021.

Genève dresse le bilan de 20 ans de renaturation de ses cours d’eau

En deux décennies, le Canton de Genève a investi plus de 200 (...)

En deux décennies, le Canton de Genève a investi plus de 200 millions de francs pour réaliser une bonne centaine de travaux de renaturation de cours d’eau, de zones marécageuses et de sites lacustres. D’autres projets sont en chantier ou en cours d’étude et de financement. À chaque fois, il s’agit non seulement de protéger les biens et les personnes contre les inondations, mais aussi de renforcer la biodiversité et de proposer à la population de véritables lieux de vie et de ressourcement. Dans un ouvrage fort documenté et superbement illustré, le Service genevois du lac, de la renaturation des cours d’eau et de la pêche dresse un bilan de ces 20 années de travaux et de la prise de conscience qui les a suscités. « Il y avait urgence, écrit Alexandre Wisard, directeur de ce Service cantonal, car les rivières genevoises étaient en train de crever et tout le monde regardait le corbillard passer sans grande émotion ni réaction. » [1]

Aujourd’hui, la quasi-totalité du territoire cantonal est à l’abri de crues centennales, la faune et la flore locales ont retrouvé leur place sur plus de 40 kilomètres de rivière redonnés à la nature, et les Genevois bénéficient d’un meilleur accès à des espaces de détente au bord de l’eau. Mais tout cela ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique.

« Il a fallu rien moins qu’un changement profond des mentalités » note Antonio Hodgers, l’actuel Conseiller d’État en charge du Département du territoire, dans la préface de l’ouvrage : « Il a fallu réapprendre, par l’observation et l’expérimentation, à rétablir une relation plus modeste et mesurée avec les milieux aquatiques. Expliquer et partager avec les nombreux acteurs impliqués, qui tous devaient renoncer à des habitudes qu’ils pensaient immuables. Tâtonner et investir beaucoup, pour enfin entrevoir les premiers effets de cette mutation, en deviner les vertus et en récolter les fruits. »

Il y a 20 ans, les premiers grands travaux de renaturation avaient été entrepris sur le site des Teppes, à l’aval du barrage de Verbois. Là où un milieu alluvial avait été perturbé par la canalisation du Rhône et par des équipements industriels, là où il avait même été question d’installer une centrale nucléaire, on trouve aujourd’hui une vaste réserve naturelle et plusieurs zones humides, un espace de loisirs et un étang de pêche.

Dans la bonne centaine de projets globalement répartis sur une vingtaine de cours d’eau et sur les rives du Léman, il a fallu ensuite répondre à une grande diversité de situations et de nécessités, entre autres : protéger la population et les biens contre les crues et les inondations mais aussi favoriser la cohabitation entre milieux aquatiques et riverains, redonner un espace de liberté aux rivières, remettre certaines d’entre elles à ciel ouvert ou enlever leurs corsets de béton, réapprovisionner en eau des marais asséchés, réaménager des embouchures et reconstituer des roselières lacustres, préserver la biodiversité et favoriser la réinstallation d’espèces aquatiques, sans oublier pour cela de renforcer la collaboration transfrontalière absolument indispensable dans un canton quasiment enclavé dans le territoire français.

La Seymaz, l’Aire et la Plage des Eaux-Vives

Trois exemples illustrent bien quelques-unes de ces ambitions devenues réalités, à commencer par La Seymaz, la seule rivière qui coule entièrement sur sol genevois. Pour l’ancien Conseiller d’État Robert Cramer qui fut le principal initiateur du programme cantonal de renaturation des cours d’eau et qui apporte son bref témoignage dans le livre, cette rivière a pour ainsi dire servi de laboratoire : « Nous avons découvert que renaturer un cours d’eau, c’est d’abord prendre beaucoup de temps pour être à l’écoute et apprendre des riverains qui savent comment améliorer les projets. Nous savons désormais que le savoir-faire des hydrauliciens et des biologistes est précieux, mais celui des urbanistes et des paysagistes l’est peut-être plus encore. »

Cette belle conjonction de compétences techniques et scientifiques, publiques et privées, explique le caractère exemplaire du plus connu des projets genevois de renaturation, celui de l’Aire. Voilà une rivière qui avait été canalisée pour protéger des espaces maraîchers mais qui n’avait pas pour autant modéré ses crues. Elle avait même été interdite à la pêche, à la baignade et aux prélèvements agricoles parce qu’elle était fortement polluée en amont par des rejets de stations d’épuration. Sa revitalisation sur pas moins de 4 kilomètres (entamée en 2002, elle n’est pas encore entièrement achevée) est aujourd’hui un modèle du genre au point que ses concepteurs se sont vus décerner le Prix du paysage 2020 du Conseil de l’Europe. Il faut dire que le collectif qui l’a redessiné s’était donné entre autres objectifs de garder la mémoire de l’ancien canal et de faire en sorte que la nouvelle rivière puisse naturellement décider elle-même de son nouveau tracé.

Quant à la nouvelle Plage des Eaux-Vives, très proche du centre-ville, avec sa grève et sa pelouse arborée, son jardin d’eau et sa roselière, sa base dédiée aux pêcheurs professionnels et son nouveau port de plaisance, elle témoigne à sa manière de l’attention que Genève, non sans difficultés et lenteurs, accorde désormais à la qualité de ses rives lacustres et à leur accès public. La rade bientôt vidée de ses embarcations privées et ses quais débarrassés de leurs encombrements en tous genres, riverains et touristes pourront enfin regarder le lac les yeux dans les eaux. Renaturer un espace aquatique, ce n’est pas seulement redonner place à l’eau et à la nature, mais également donner aux humains la capacité de s’y ressourcer.

Et demain ?

Il reste évidemment beaucoup à faire. L’actuel programme genevois de renaturation des cours d’eau qui couvre la période 2019-2023 vise notamment à encourager les revitalisations, garantir une exploitation extensive des espaces réservés aux eaux de surface et réduire les effets nuisibles des installations hydroélectriques, ce qui suppose aussi des financements à la hauteur des projets [2]. Il est aussi d’autres défis à relever comme celui de la densification de la population sur un territoire relativement restreint ou comme les impacts du réchauffement climatique de plus en plus visibles dans les rivières durant les mois d’été. Il faudra donc aussi – et c’est la conclusion du livre – « travailler sur la gestion de la ressource, à l’échelle du bassin versant franco-suisse, pour garantir une bonne qualité, et surtout une quantité suffisante d’eau toute l’année ».




Notes

[1"20 ans de renaturation des cours d’eau à Genève", brochure de 175 pages, éditée en 2020 par le Canton de Genève (Département du territoire, Office cantonal de l’eau, Service du lac, de la renaturation des cours d’eau et de la pêche). Cette publication à tirage limité est disponible et téléchargeable sous forme de document PDF sur le site de l’État de Genève.
 Un précédent bilan portant sur les 10 premières années des travaux de renaturation des cours d’eau dans le canton de Genève (de 1998 à 2008) peut être également consulté sur une autre page du même site.

[2Depuis 2002, Genève dispose d’un Fonds cantonal de renaturation essentiellement alimenté par des redevances hydrauliques, des taxes de pompages, des subventions fédérales et des contributions de tiers sous forme de dons. La réglementation en cours stipule que le montant annuel alloué pour la renaturation des cours d’eau est d’au moins 10 millions de francs.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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