Je suis dans la commune de Ouidah, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Cotonou sur la route qui mène vers le Togo. C’est l’une des portes océanes de l’Afrique Occidentale bien connue pour avoir servi au Bénin de porte d’entrée aux navigateurs portugais et autres missionnaires français, mais aussi de portail de déportation des esclaves vers le nouveau monde.
Plus précisément, je me trouve dans l’arrondissement de Djègbadji - littéralement : sur le gisement de sel - pour parler de l’accès à l’eau potable. Le cas mérite attention. D’ailleurs, et à mon humble avis, l’accès à l’eau potable devrait être, partout et immédiatement, une priorité des autorités, à tous les niveaux. Je trouve insupportable qu’on en fasse un enjeu politique, pour ne pas dire un chantage.
La pêche marine et lagunaire est la principale activité économique de la région : les prises sont maigres et n’arrivent plus à nourrir les populations.
L’arrondissement de Djègbadji occupe une superficie de quelque 65 km2 sur laquelle sont répartis sept villages pour une population de 8000 habitants. La principale activité économique est la pêche maritime et lagunaire, ainsi que l’extraction du sel de la lagune de Djessin, navigable sur plusieurs kilomètres de distance et principale voie de communication de la région.
Arrondissement paradisiaque de par ses nombreux atouts touristiques et environnementaux, Dlègbadji possède cinq écoles primaires, trois centres de santé et trois écoles maternelles mais ne dispose ni d’eau potable, ni d’installations sanitaires, ni d’électricité. On n’y trouve que de l’eau saumâtre, d’une salinité très proche de celle de l’eau de mer et donc disqualifiée pour l’essentiel des usages domestiques.
Cette situation difficile et paradoxale, Denis Ahouandjinou, chef d’arrondissement, la déplore d’une phrase : "Nous sommes entourés de plans d’eau et nous ne disposons pas d’eau potable". La suite est facile à deviner : les jeunes s’en vont et ceux qui restent végètent dans la pauvreté et l’alcoolisme.
Les fonctionnaires qui y sont affectés se font d’abord "tirer les oreilles" avant de rejoindre leur poste. La "maison des enseignants" sensée les accueillir pendant leur séjour ne les attire guère davantage. Et pour cause : la précarité de l’eau les décourage et les rebute. Voilà qui confirme l’adage fon – "sin wè gni gbèto" – qui rappelle littéralement que "c’est l’eau qui humanise l’homme", qui lui confère vie et dignité. Qui n’a pas accès à l’eau potable est condamné.
Les pouvoirs publics ont fait quelques efforts et installé trois bornes fontaines dans trois villages dont celui d’Aïdo-Plage. Mais cela reste bien insuffisant. "Une goutte d’eau sur la pierre chaude". La distribution de l’eau y est souvent discontinue : lorsque la borne fontaine fonctionne, son débit est faible. On y passe presque toute la journée et parfois la nuit aussi pour espérer obtenir la précieuse ressource. Et comme si cela ne suffisait pas, cette eau qui ne satisfait d’ailleurs pas à toutes les normes de potabilité y est au moins trois fois plus chère qu’ailleurs : 1000 francs CFA le m3 d’eau au lieu des 300 officiels (1000 CFA = 1,5 euro).
La grande majorité des habitants de Djègbadji n’a donc pas le choix. Elle consomme l’eau des puits domestiques ou celle de la lagune, voire l’eau des mares avec toutes les conséquences sanitaires, économiques que cela suppose. Faut-il préciser que l’arrondissement ne dispose pas non plus d’installations sanitaires et que les ordures ménagères et les excréments d’animaux jonchent le sol ?
Marais salant à Djegbadji : cette activité occupe plutôt les femmes. Mais à voir les lambeaux de la mangrove de palétuviers, c’est une activité qui dégrade le milieu naturel.
On sait ce qu’il faudrait faire : récolter les eaux de pluies qui tombent en abondance, les stocker et les traiter pour les distribuer ; dessaler l’eau de la mer ou celle de la lagune ; amener l’eau potable produite dans le chef-lieu communal par le biais de canalisations.
Tout cela suppose beaucoup d’argent et de la haute technologie. Mais ne rien faire coûtera encore plus cher à la collectivité en termes de santé et en vies humaines. Il est largement prouvé que toute amélioration apportée à l’accès à l’eau potable et à un assainissement adéquat représente un bon investissement social et économique qui réduit les inégalités et libère les forces productrices.
Denis Ahouandjinou, qui rêve de lui fournir de l’eau potable, opte quant à lui pour le principe de la canalisation et pour un branchement qui pourrait desservir tous les villages et les hameaux de Djègbadji, au moindre coût et de façon durable. Il demande aide et assistance à toutes les bonnes volontés éprises de paix et de justice sociale afin que dans son arrondissement l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène soit enfin reconnu comme un véritable droit humain.
Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi