Les eaux usées, pourquoi les gaspiller ? C’est le thème choisi par la coordination ONU-Eau pour la Journée mondiale de l’eau du 22 mars avec un impératif aussitôt précisé : tentons de moins les polluer et de mieux les réutiliser ! Autrement dit : il faut considérer les eaux usées comme une véritable ressource davantage que comme un fardeau qu’on ne veut plus voir. C’est d’ailleurs l’une des cibles des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies pour 2030 que d’augmenter sensiblement le recyclage et la réutilisation de ces eaux en toute sécurité, à l’échelle mondiale [1]. Encore faut-il en maîtriser les risques. Est-ce vraiment le cas ?
C’est un constat à la portée de tout un chacun : le monde produit de plus en plus de déchets et pollue toujours davantage les eaux dont il a besoin pour assurer son développement économique et faire face à sa croissance démographique comme à son urbanisation galopante.
De gros efforts sont certes faits pour gérer au mieux le cycle de l’eau depuis son prélèvement jusqu’à son rejet dans la nature. Mais, si l’on en croit les statistiques mondiales, plus de 80% des eaux usées générées par la société retournent dans l’écosystème sans être traitées ni réutilisées.
Non seulement on s’en occupe très mal, mais on occulte aussi presque entièrement le fait qu’elles représentent, rappellent les instances onusiennes [2], une "source potentiellement accessible et durable d’eau, d’énergie, de nutriments et d’autres matières valorisables".
La thématique retenue pour cette journée du 22 mars 2017 devrait donc attirer l’attention du public sur le bon usage qui peut être fait des eaux usées et l’inciter à les considérer comme une véritable ressource à exploiter plutôt que comme une charge dont on doit à tout prix se débarrasser. Cela permettrait sans doute de mieux faire face aux situations de déficit hydrique, d’atténuer les rivalités dans l’accès à l’eau, de diminuer ses prélèvements dans l’environnement, d’encourager ses usages successifs, de réduire les coûts qui leur sont liés, voire de faire des économies d’énergie.
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L’eau recyclée
Depuis des centaines de millions d’années, l’eau circule entre les océans, l’atmosphère, la surface des terres et leur sous-sol, et cela sans aucune perte : la quantité d’eau de la planète est constante. Ce cycle permanent de l’eau fonctionne grâce notamment à des phénomènes comme l’évaporation, la condensation, la précipitation, le ruissellement et l’infiltration. L’eau est donc un élément naturellement recyclable.
Mais quand on parle aujourd’hui d’eau recyclée, on entre dans un autre circuit, aménagé par l’homme pour faire différents usages de cette ressource prélevée en surface ou dans le sous-sol et si possible la réutiliser une ou plusieurs fois avant qu’elle ne soit reversée dans le cycle naturel.
Il s’agit donc de récupérer des eaux altérées par des activités humaines (domestiques ou urbaines, industrielles ou agricoles), de les traiter et de les épurer par toutes sortes de procédés techniques d’assainissement en fonction des conditions de leur utilisation précédente, et de les rendre compatibles avec d’autres usages qui par la suite ne nécessitent pas d’eaux potables mais qui peuvent être envisagés sans nouveaux prélèvements dans les réserves d’eau douce.
Les technologies de valorisation des eaux usées et autres ressources hydriques non conventionnelles sont aujourd’hui en plein développement. Certes elles ne suscitent que fort peu d’intérêt dans des pays qui, comme la Suisse, bénéficient actuellement de ressources hydriques abondantes. Mais elles sont d’une importance quasi vitale dans des pays confrontés à des situations de pénuries, qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays industrialisés (tels Israël, l’Australie, l’Espagne ou certains États américains) qui font figure de pionniers en la matière.
Le recyclage des eaux usées (ReUse dans le jargon des experts) pose, on s’en sera douté, des questions essentielles de santé publique car il ne va pas sans risques de contamination. L’Organisation mondiale de la santé s’en préoccupe : en 2012, elle a publié des directives détaillées pour garantir que l’utilisation des eaux usées soit accompagnée de toutes les mesures nécessaires de surveillance et protection contre les impacts sanitaires potentiels. [3] Cela suppose aussi des normes légales adéquates, car il en va aussi de la protection de l’environnement. La Commission européenne, par exemple [4], a mis à l’étude un projet sur les exigences minimales pour la réutilisation de l’eau dans l’irrigation et la recharge des aquifères. On s’en inquiète aussi chez les scientifiques, entre autres dans le plan d’action Nereus de la plateforme COST (European Cooperation in Science and Technology) qui s’est donné pour objectif de développer un réseau pluridisciplinaire pour l’étude des défis posés par la réutilisation des eaux usées.
Reste également à convaincre les consommateurs qui, pour des motifs culturels ou psychologiques, doutent du bien-fondé de ces recyclages. Comme dit un expert, "l’eau usée est d’abord considérée comme sale, avant d’être perçue comme une ressource en eau, ce qui rend sa réutilisation inconcevable" [5].
Un vrai défi pour les villes
D’ici 2030, dit l’ONU, la demande mondiale en eau va augmenter de moitié et la majeure partie de cette demande viendra des villes qui vont donc devoir faire preuve d’innovation pour améliorer leur approvisionnement en eau de qualité en quantité suffisante comme pour collecter et gérer leurs eaux usées. Celles-ci, une fois épurées, peuvent aider à relever d’autres défis. Les exemples ne manquent pas et celui fourni par les autorités de Singapour est particulièrement parlant (voir dans les infos complémentaires ci-dessous).
L’eau des villes peut être recyclée pour toutes sortes d’usages : le nettoyage des voiries et l’arrosage des espaces verts, la préservation d’écosystèmes aquatiques et la recharge des nappes souterraines, le maraîchage, l’artisanat et la petite industrie, la production d’énergie hydraulique dans des microcentrales, etc. Depuis 1977, la ville américaine de St. Petersburg, en Floride, dispose d’un système séparé de distribution d’eau recyclée aux résidences privées pour des usages qui ne requièrent pas d’eau potable comme le jardinage ou le lavage de voitures. L’aéroport d’Amsterdam, aux Pays-Bas, a sa propre usine de traitement des eaux usées générées par les passagers, les activités des entreprises au sol et les déchets générés dans les avions.
L’industrie y trouve son intérêt
Depuis quelques années, nombre de sociétés industrielles s’efforcent de réduire non seulement leurs prélèvements et consommations d’eau mais aussi leurs eaux usées qu’elles traitent avant leur rejet dans les cours d’eau. Plus encore : certaines de ces entreprises, parce qu’elles y trouvent des avantages économiques et financiers, ont fait le choix, à l’interne ou en coopération avec des industries voisines, de les récupérer pour divers autres usages.
ONU-Eau en donne deux exemples. À Kalundborg au Danemark, une centrale électrique et une raffinerie d’hydrocarbures gèrent ensemble les eaux usées qu’elles traitent et qu’elles utilisent ensuite pour les réseaux de refroidissement ou pour l’alimentation des chaudières ; les économies réalisées sur les ressources en eau locales sont considérables, soit quelque 4 millions de mètres cubes par an. Dans la petite ville sud-africaine d’Emalahleni, une société minière a construit une usine de dessalement pour retraiter l’eau industrielle et convertir l’eau de la mine en eau potable, ce dont profite une partie de la population ; le procédé de traitement permet également de séparer le gypse de l’eau et de le récupérer comme matériau de construction.
Un atout pour l’agriculture
Selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture [6], seule une faible proportion des eaux usées traitées est aujourd’hui utilisée pour l’irrigation agricole. Et pour cause : cela n’est guère possible qu’à proximité des villes, là où ces eaux sont disponibles en toute sécurité, gratuites ou bon marché, et là où les produits agricoles peuvent être écoulés rapidement. On notera aussi que si les agriculteurs s’intéressent aux eaux usées, ce n’est pas seulement parce qu’elles pallient la pénurie d’eau douce, c’est aussi parce qu’elles sont riches en éléments nutritifs, ce qui en fait un engrais efficace. Et un atout pour la sécurité alimentaire.
Confrontés depuis longtemps à la pénurie, les Israéliens ont tout mis en œuvre pour développer plusieurs moyens d’utiliser chaque goutte d’eau disponible, parmi eux la réutilisation des eaux usées épurées dont dépend aujourd’hui près de la moitié des systèmes d’irrigation des vergers et des cultures non vivrières. La Jordanie, qui fait de même dans la vallée du Jourdain, est l’un des pays les plus avancés du monde arabe dans ce genre de pratiques. En Egypte et en Tunisie, les eaux usées sont également utilisées dans des projets agro-forestiers pour produire du bois et pour lutter contre la désertification. [7]
- Site de la Journée mondiale de l’eau : (en anglais seulement)
www.worldwaterday.org - Voir aussi dans aqueduc.info, l’édito
"Eau usée recyclée, ressource fiable ?", août 2012.