Sauf pour celles et ceux qui y sont directement confrontés au quotidien, les pénuries d’eau et d’énergie sont si fréquentes dans les villes africaines qu’elles semblent quasiment se résumer à de simples faits divers. Quand bien même ses effets sur les populations se révèlent désastreux, ce genre d’événement ne recueillerait-il donc que de l’indifférence ?
Elles sont peu nombreuses, fussent-elles des capitales ou de grands pôles économiques, les cités africaines qui échappent à ce phénomène largement partagé sur le continent. De Lagos à Brazzaville, en passant par Cotonou, Lomé, Conakry, Bamako et bien d’autres, les pénuries d’eau potable et les pannes de courant électrique battent des records de durée et engendrent la raillerie plus que la colère. Mieux vaut en rire, dit-on.
La preuve avec ces anecdotes qui ont fait le tour du continent et qui illustrent par l’absurde le malaise des usagers rongés par la fatalité. Au Nigéria, la National Electric Power Authority, en charge de la distribution d’électricité ne répond que très rarement à la demande des consommateurs qui ont alors vite fait de tourner son sigle NEPA en dérision et de le réinterpréter en "Never Expect Power Again" : "ne t’attends plus jamais à recevoir d’énergie électrique" !
Du côté de Conakry, on avait jadis l’habitude d’y montrer du doigt les trois "généraux" de la République : le Général de la Coupure d’eau et de la Coupure d’Électricité, en plus du Général Lansana Conté, chef de l’État. Celui-ci a disparu, les deux autres lui ont survécu. L’eau courante et l’électricité continuent d’être là-bas denrées rares. Trêve cependant de plaisanteries. Car, la plupart du temps, les causes de ces pénuries techniques trouvent leur explication dans la négligence, l’incurie et la corruption.
Les États africains ont certes entrepris des efforts louables en matière d’approvisionnement des grandes villes en eau potable, appuyés en cela par des institutions internationales et des organismes de coopération. Hélas, ces initiatives sont souvent bien vite anéanties par des gestions à la petite semaine et un manque flagrant de professionnalisme.
Les prétendues améliorations du taux de couverture en eau potable dont rendent compte de nombreux rapports font hélas sourire. On y oublie généralement de mentionner les énormes pertes subies pour cause d’équipements défaillants. Quoi qu’on en dise, l’accès à l’eau potable sur le continent noir reste un vœu pieux.
Les 18 jours de la "crise du tuyau" et de la pénurie d’eau qui s’en est suivi au grand dam de la moitié de la population de Dakar révèlent le niveau de faiblesse et d’insuffisances de la gestion de l’eau potable tant au Sénégal que sur le continent africain tout entier.
L’intervention salutaire de la France auprès de l’État sénégalais (à la demande expresse du président Macky Sall) qui paraissait se débattre seul au milieu de l’indifférence générale de ses États voisins et amis, soulève néanmoins son lot de questions. Pourquoi le Sénégal ne dispose-t-il pas de l’expertise requise pour résoudre le problème posé par une rupture de conduite d’eau ? Pourquoi les autres États africains – en particulier les géants nigérians et sud-africains - ont-ils brillé par leur silence ? Pourquoi ne pas avoir fait appel à de proches pays connus pour leur maîtrise du domaine de l’eau, tel le Maroc ?
Nous autres Africains ferions donc bien de nous préoccuper vraiment de la fragilité et de la précarité de nos États respectifs face aux défis de l’eau et de l’énergie. Ou alors y renoncerons-nous pour laisser à la France ou à la Chine le soin de nous mettre à l’abri des pannes et des pénuries ? Que fait-on de cet adage africain qui dit que lorsque brûle la case de son voisin, il faut s’en préoccuper ?
La crise de l’eau à Dakar – et ce qu’elle suscite en nous comme sentiments de honte, de dégoût et de révolte - nous rappelle en tout cas que cette ressource ne peut pas et ne doit pas être gérée comme n’importe quel produit de rente, coton, cacao, arachide ou autre. Mais s’occuper de l’eau autrement qu’on ne le fait aujourd’hui implique de revoir les comportements, les connaissances et les savoir-faire, dans sa maison et à l’école, au marché comme sur son lieu de travail. Et, surtout, il importe de former des hommes et des femmes à tous les métiers de l’eau pour dire non à la négligence, non à l’improvisation, non à la résignation. Sans quoi l’avenir risque de nous réserver de fort désagréables surprises, peut-être fatales.
Bernard Capo-Chichi
Porto-Novo, Bénin