En de nombreux endroits du Plateau suisse, les eaux souterraines contiennent des métabolites du chlorothalonil qui dépassent les normes légales de concentration admise. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) qui vient de révéler les résultats d’une première estimation à large échelle estime que cette pollution, jugée "considérable", ne pourra pas être résorbée avant plusieurs années et qu’elle exigera beaucoup d’attention de la part des distributeurs d’eau potable.
En Suisse, c’est en 2017 que des résidus (métabolites) de chlorothalonil [1] ont été décelés pour la première fois dans des eaux souterraines. Après une réévaluation du risque sanitaire, décision a été prise en décembre 2019 par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) de fixer leur valeur limite à 0,1 microgramme par litre. Il y va selon lui de la qualité de l’eau potable dont les 80 %, en Suisse, proviennent précisément des eaux souterraines : les métabolites de chlorothalonil ne peuvent en être éliminés que moyennant un traitement très sophistiqué.
Des analyses menées en 2017 et en 2018 ont permis de faire une première estimation de la pollution des eaux souterraines. Il en ressort que plusieurs métabolites du chlorothalonil y dépassent la valeur limite. Près de la moitié des cantons sont concernés par ces pollutions, notamment : Argovie, Berne, Fribourg, Genève, Lucerne, Schaffhouse, Soleure, Thurgovie, Tessin, Vaud, Zoug et Zurich.
Étant donné que les eaux souterraines ne se renouvellent que très lentement et que les métabolites du chlorothalonil sont particulièrement persistants, il faut partir du principe que ces substances porteront fortement atteinte à la qualité des eaux souterraines à large échelle pendant des années encore.
Aussi dans l’eau du lac de Neuchâtel
Une information dans ce sens a été mise en ligne fin mai 2020 sur le site de la commune d’Avenches (VD), qui tire un tiers de son eau du lac de Neuchâtel. On y apprend que des analyses menées par le Service cantonal de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires dans les installations de soutirage d’eau du lac de l’Association intercommunale pour l’alimentation en eau des communes vaudoises et fribourgeoises de la Broye et du Vully (ABV) ont mis en évidence une teneur moyenne de 0.2 µg/l en métabolites du chlorothalonil R471811, soit environ deux fois la valeur autorisée. Le communiqué de la commune d’Avenches précise que ces substances sont sans doute présentes depuis de nombreuses années déjà dans l’eau du lac et de certains captages. Ces métabolites du chlorothalonil ne présentant aucun danger immédiat pour la santé, les consommateurs peuvent continuer à boire l’eau du robinet.
Une députée interpelle le gouvernement fédéral
Dans un postulat [2] déposé le 6 mai 2020 au Conseil des États du Parlement fédéral, l’écologiste vaudoise Adèle Thorens s’inquiète de cette situation et du problème qu’elle pose en termes de santé publique. Elle estime que la Confédération porte une part de responsabilité dans cette pollution car, dit-elle, "elle n’a visiblement pas respecté le principe de précaution" et autorisé l’utilisation du chlorothalonil pendant plusieurs décennies.
Elle demande au gouvernement de fournir un rapport détaillé sur l’étendue de la contamination de l’eau potable par les résidus de ce fongicide et sur les risques qu’elle représente pour la population, sur les mesures que devront prendre les communes et sur le soutien financier que celles-ci sont en droit d’attendre de l’État.
Syngenta fait appel à la justice
L’entreprise agroalimentaire suisse Syngenta, qui produit de grandes quantités de chlorothalonil a pour sa part introduit un recours en justice contre l’interdiction de ce fongicide par l’administration fédérale, une interdiction qu’elle estime "incohérente et disproportionnée" : "Pour les agriculteurs, c’est la perte d’un important fongicide pour les céréales et d’un casseur de résistance des maladies. Pour la Suisse en tant que centre de recherche, cette interdiction constitue un dangereux préjudice. L’interdiction met en péril le cadre sûre de l’industrie agricole basée sur la recherche et la sécurité de la planification pour les agriculteurs qui utilisent des produits phytosanitaires pour assurer leurs récoltes. Cette incertitude compromet la fiabilité du processus d’autorisation en Suisse et entrave l’innovation." [3]
(Sources : OFEV / Parlement fédéral / Syngenta)