Pour beaucoup, Rio+20 restera synonyme d’échec. Voire de recul par rapport aux engagements du Sommet de la Terre de 1992. Le manque d’ambition et de volonté politique des États est patent, y compris dans le domaine de l’eau. Dépourvue d’engagements concrets, la déclaration finale regorge de formules creuses et déclamatoires. La preuve par le texte.
Rio de Janeiro, Brésil, 20-22 juin 2012
Résultats de la Conférence des Nations Unies
sur le développement durable (Rio+20)
L’AVENIR QUE NOUS VOULONS
(Extraits)
Chapitre V. Cadre d’action et suivi
A. Domaines thématiques et questions transversales
Eau et assainissement119. Nous savons que l’eau est au coeur du développement durable car elle est liée étroitement à plusieurs problèmes mondiaux clefs. Nous rappelons donc qu’il importe d’intégrer les questions liées à l’eau dans la problématique du développement durable et nous soulignons l’importance capitale de l’eau et de l’assainissement pour les trois dimensions du développement durable.
120. Nous réaffirmons les engagements pris dans le Plan de mise en oeuvre de Johannesburg et la Déclaration du Millénaire, à savoir réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable et aux services d’assainissement de base et élaborer des plans intégrés de gestion et d’utilisation efficace des ressources en eau qui garantissent l’utilisation durable de l’eau. Nous nous engageons à faire en sorte que l’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement de base à un coût abordable devienne progressivement une réalité pour tous, condition nécessaire de l’élimination de la pauvreté, de l’autonomisation des femmes et de la protection de la santé, et à améliorer nettement la mise en oeuvre des plans intégrés de gestion des ressources en eau à tous les niveaux, selon qu’il conviendra. À cet égard, nous rappelons les engagements pris d’appuyer ces efforts, notamment dans l’intérêt des pays en développement, en mobilisant des ressources de toute provenance et grâce au renforcement des capacités et au transfert de technologies.
121. Nous réaffirmons les engagements pris en faveur du droit à l’eau potable et à l’assainissement, qui doit être réalisé progressivement pour nos peuples dans le plein respect de la souveraineté nationale. Nous mettons l’accent également sur l’engagement pris en faveur de la Décennie internationale d’action sur le thème « L’eau, source de vie » (2005-2015).
122. Nous sommes conscients du rôle clef que les écosystèmes jouent dans la préservation de l’eau, que ce soit en quantité ou en qualité, et nous appuyons l’action menée dans les pays pour protéger et mettre en valeur ces écosystèmes de façon durable.
123. Nous soulignons qu’il faut prendre des mesures pour faire face aux inondations, à la sécheresse et à la pénurie d’eau, qui visent à maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande d’eau, y compris, le cas échéant, en ayant recours à des ressources en eau alternatives, et pour mobiliser les ressources financières et l’investissement nécessaires dans l’infrastructure des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement, conformément aux priorités nationales.
124. Nous mettons l’accent sur la nécessité de prendre des mesures visant à réduire nettement la pollution de l’eau et à améliorer la qualité de l’eau, le traitement des eaux usées et l’utilisation efficace de l’eau, et à réduire les pertes en eau. Pour ce faire, nous soulignons que l’assistance et la coopération internationales sont nécessaires.
La Conférence des Nations Unies sur le développement durable - dont on ne retiendra peut-être que le sigle Rio+20 utilisé comme une sorte d’incantation magique - a donc accouché d’une déclaration finale, non seulement assortie d’un titre - "L’avenir que nous voulons" - qui renvoie à la méthode Coué, mais dont le contenu n’a même pas été discuté par les chefs d’État et de gouvernements qui s’étaient déplacés au Brésil, sans parler de ceux, de Washington à Pékin en passant par Berlin, qui avaient fait le choix de bouder un sommet dont visiblement personne, avant même son ouverture, n’attendait plus rien de concret.
Cette déclaration aura été concoctée selon la bonne recette diplomatique qui veut que l’on biffe systématiquement tout ce qui pourrait provoquer la moindre des divergences entre les gouvernements. Pour ne pas heurter les susceptibilités des uns et des autres, le plus simple est donc de répéter ce qui est largement convenu, voire même, au passage, de raboter un tant soit peu ce qui a pu faire problème dans de précédentes décisions.
Au final, on hérite d’un texte forcément insipide : à force de répéter à l’infini les "nous rappelons, nous réaffirmons, nous soulignons, nous mettons l’accent, …", la déclaration s’enfonce dans une litanie de formules creuses dont on comprend que c’est la meilleure manière de n’obliger personne à prendre un quelconque engagement - souveraineté nationale oblige - et, surtout, d’éviter que l’on doive ensuite en rendre publiquement compte.
"L’eau au coeur du développement durable"
La déclaration de Rio+20, après avoir traité de l’élimination de la pauvreté, de la sécurité alimentaire et de l’agriculture durable, consacre au domaine thématique de l’eau et de l’assainissement 6 de ses 283 paragraphes. C’est un minimum, dira-t-on, surtout lorsque le texte commence par affirmer que cette ressource est "au cœur du développement durable".
C’est franchement dérisoire si l’on met ces six bouts de texte en regard du chapitre 18 du fameux Agenda 21 du Sommet de la Terre de 1992, lequel proposait alors différentes approches pour la protection, la mise en valeur, la gestion et l’utilisation des ressources en eau.
Et même si en vingt ans on doit constater une évolution - heureuse ou néfaste selon les cas - de plusieurs aspects des problématiques hydriques, ce texte de base reste une référence dont on peut encore utilement s’inspirer.
À Rio, on s’est en tout cas bien gardé de dresser un bilan sérieux des promesses qui ont été tenues et de celles qui sont restées lettre morte. On a même surtout pris soin de ne pas froisser la quarantaine de pays qui, en 2010, s’étaient abstenus de reconnaître formellement le droit à l’eau comme un droit humain fondamental : on a fait comme si ce vote n’avait jamais eu lieu.
Bluewashing
Plusieurs organisations militantes se sont par ailleurs indignées de l’influence de plus en plus prépondérante qu’exercent de nombreuses sociétés multinationales au sein des agences onusiennes où elles défendent leurs propres intérêts lorsqu’il s’agit par exemple d’élaborer des politiques d’accès à l’eau et à l’assainissement.
On a même vu, peu avant le sommet de Rio, une institution aussi prestigieuse que l’Institut International de l’Eau de Stockholm récompenser la société PepsiCo pour sa gestion de l’eau et son engagement dans la résolution des problèmes liés à cette ressource naturelle. L’ONG américaine ’Food & Water Watch’ n’a pas tardé à pointer du doigt ce genre de distinctions qui légitiment des "pratiques commerciales douteuses" et passent sous silence ce qu’elles représentent en termes de surexploitation des eaux souterraines et de pollution des ressources hydriques communes. Bref, un bel exemple de "bluewashing", ou comment tirer les ficelles du marketing politique pour se fabriquer l’image trompeuse d’une entreprise pleinement responsable de ses usages de l’eau.
Le rendez-vous de Copenhague, en 2009, sur les changements climatiques (3), s’était déjà terminé sur un retentissant fiasco. Ce qui vient de se passer à Rio n’est guère plus encourageant. Même la Suisse officielle, d’ordinaire plutôt avare de commentaires sur les résultats des conférences internationales, admet que ce sommet "n’a pas été à la hauteur des enjeux", que "les mesures préconisées ne sont pas assez percutantes dans leur ensemble pour ramener l’exploitation des ressources naturelles à un niveau supportable", et qu’il incombe désormais à chaque pays "de déterminer la magnitude de son engagement pour les mettre en œuvre".
Bernard Weissbrodt
Références
(1) La déclaration "L’avenir que nous voulons" est disponible en téléchargement sur le site de la Conférence Rio+20
(2) L’agenda 21 est disponible en ligne sur le site du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies
(3) Voir dans aqueduc.info : "Pendant qu’à Copenhague…"