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Lyon 2019

25 septembre 2019.

Quid des processus participatifs dans la gestion des rivières ?

Échos des 4e Doctoriales en sciences sociales de l’eau
Lyon, 5-6 septembre 2019 - DOSSIER [3/6]

Cette 4e édition des Doctoriales en sciences sociales de l’eau étaient placées, entre autres, sous la thématique des processus participatifs dans le domaine des aménagements des cours d’eau. C’est à Olivier Ejderyan, géographe et chercheur au département des sciences de l’environnement de l’École polytechnique fédérale de Zurich, qu’il appartenait d’ouvrir ces deux journées par un état des lieux de la participation telle qu’elle est pratiquée en Suisse. Interview.

Olivier Ejderyan : "En Suisse, les processus participatifs dans le domaine de la gestion des cours d’eau sont devenus une sorte de procédure standard. C’est quelque chose qui se fait de manière générale dans tous les types de projets. On peut avancer à cela diverses explications. D’abord, les autorités fédérales en ont fait la promotion et l’ont présentée comme un moyen de réaliser de meilleurs aménagements de rivières. Mais il était relativement clair que la participation permettrait aussi d’éviter certains contretemps liés au système suisse de démocratie directe, tels les possibles référendums lancés par des groupes d’intérêts ou des recours formels de la part de la population.

Ce qui a également joué un rôle, c’est qu’à partir de 2007 des subventions publiques, correspondant à 2% du montant global du projet, ont pu être attribuées au financement d’aménagements qui faisaient place à une démarche participative selon des critères définis par l’Office fédéral de l’environnement. Dans certains cantons où la participation a été faite de manière proactive pour des revitalisations de rivières, à Genève par exemple, et où elle a été mise en scène avec beaucoup de communication et de publicité, le retour d’expérience s’est révélé très positif pour ne pas dire original."

 aqueduc.info : pourquoi faudrait-il promouvoir la participation dans un pays qui, comme la Suisse, a déjà des outils démocratiques bien rodés ?

 "Initialement la participation a d’abord été voulue à la base par des associations plutôt orientées écologie et par des praticiens de l’aménagement des cours d’eau spécialistes en génie biologique. Jusque-là les pratiques traditionnelles d’aménagement étaient la plupart du temps dirigées par des ingénieurs civils. La participation était donc un moyen d’ouvrir l’expertise au débat public.

Ce genre d’initiative a été assez rapidement récupéré par les administrations publiques fédérales et cantonales qui ont vu là un moyen de continuer à contrôler la planification de leurs projets. Si un référendum est lancé contre un projet de renaturation ou si un recours est déposé en justice, cela pose pas mal de problèmes en termes de délais : on ne sait pas quand la décision va tomber et on ne sait pas non plus quelle sera la décision finale. Le service en charge de l’aménagement n’est plus le maître du dossier, mais si par le biais d’un processus participatif il l’ouvre à différentes parties prenantes qui peuvent alors faire valoir leur point de vue avec plus ou moins de succès, il gardera la mainmise sur le projet, et cela d’autant plus facilement qu’il a souvent une forte maîtrise de l’expertise.

 Dans votre communication aux Doctoriales, vous avez mis le doigt sur des mécanismes de dépolitisation de ces processus participatifs. À quoi pensez-vous plus précisément ?

 "La participation, en principe, signifie une plus grande ouverture à des points de vue et à des intérêts différents, mais c’est quelque chose qui prend du temps. De plus, si la discussion est ouverte, le projet peut prendre une toute autre forme que celle que l’administration aimerait faire valoir. Pour garder un certain contrôle sur l’objectif final, on voit alors apparaître certains mécanismes plus ou moins conscients qui consistent à réduire l’espace de dialogue : par exemple on sélectionne les participants et on ne garde que les acteurs qui ont des connaissances approfondies des dossiers et dont on pense qu’ils devraient dans une certaine mesure s’aligner sur le point de vue de l’administration. Il arrive aussi parfois que l’on disqualifie les compétences locales jugées trop profanes. Ou alors on sélectionne les acteurs en fonction d’intérêts clairement identifiables et on les cantonne dans ce positionnement : on invite des associations écologistes mais elles ne peuvent se prononcer que sur des questions environnementales, ou des agriculteurs qui n’auront le droit de parole que sur des problématiques agricoles sans aucune possibilité de participer à la discussion d’ensemble du projet en tant que projet de société."

Un historien chez les ingénieurs

Denis Cœur est historien et dirige actuellement à Grenoble un bureau d’études (ACTHYS-Diffusion) spécialisé dans l’analyse historique de l’environnement, et plus particulièrement des questions liées au cycle de l’eau, à l’aménagement du territoire et aux risques naturels.

Mon activité, dit-il, est "une médiation entre deux mondes". Entre le monde des sciences humaines et sociales et celui des acteurs publics (administrations, collectivités territoriales, opérateurs de réseaux et autres syndicats d’aménagement) qui ont véritablement des besoins d’histoire.

Les ingénieurs ont leurs propres questionnements. Aujourd’hui, les cartographies spatiales ne leur suffisent plus, ils cherchent aussi des repères temporels de manière à pouvoir les intégrer dans leurs modèles techniques. D’où le recours à l’historien-conseil qui se met à leur service mais qui pour cela doit quelque peu sortir de son registre habituel.

Les hydrologues, par exemple, s’interrogent sur la récurrence des phénomènes naturels extrêmes. Mais les données qu’ils ont à leur disposition sont souvent trop courtes et ne remontent pas suffisamment loin dans le temps. Il revient alors à l’historien de reconstituer les chroniques des crues sur plusieurs siècles, ce qui l’amène à travailler avec des météorologues, géologues et autres experts des sciences de la terre.

Autre exemple : lorsqu’ils doivent poser des diagnostics sur des ouvrages hydrauliques, les ingénieurs ont besoin, au-delà des dossiers techniques, de comprendre comment ces aménagements ont pu modifier le territoire, l’environnement et les rapports sociaux. Besoin aussi de revisiter l’histoire des politiques qui ont opté pour la construction de ces ouvrages, de manière à ce que les pouvoirs publics s’en inspirent pour les décisions qu’ils doivent prendre aujourd’hui.
L’historien, explique Denis Cœur, doit alors exercer ce qu’il appelle "une fonction critique et de mise en concordance des faits et des temps". Et, au-delà de l’expertise, trouver sinon inventer aussi les formes d’un récit audible de la part d’un auditoire qui attend de lui autre chose qu’une expertise académique.

Texte et interview : Bernard Weissbrodt
Photos : © UMR 56000–EVS/Thierry Egger



Infos complémentaires

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L’eau crée du lien, dans la recherche aussi [1]
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Quelques sujets de thèse, parmi d’autres [4]
Des canaux parisiens aux toits du Caire [5]
L’eau : poétique, politique, théâtrale, … [6]

Tous les textes de ce dossier sont intégralement repris
dans un Cahier aqueduc.info (12 pages) en format pdf
téléchargeable ici.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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