Yann Olivaux : “En France, les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) qui englobent l’eau du robinet, les eaux de source embouteillées et l’eau des industries alimentaires, sont régies par des normes. Celles-ci fixent des limites de qualité, définies par une soixantaine de paramètres physico-chimiques et bactériologiques, avec des valeurs seuils en-deçà desquelles une eau peut être considérée comme potable. Ces définitions réglementaires, qui impliquent des analyses où les polluants sont quantifiés un à un, sont certes tout à fait nécessaires, mais elles sont totalement insuffisantes pour apprécier le degré de toxicité d’une eau.
En effet, elles ne prennent en compte, ni l’effet “cocktail”, c’est-à-dire la synergie entre les polluants, ni l’impact des faibles doses, à l’exemple des perturbateurs endocriniens comme le Bisphénol A, ni la longue cohorte des produits de dégradation des polluants, ni pour finir le fait que les eaux brutes ou du robinet contiennent des bactéries certes non pathogènes mais porteuses de gènes résistant aux antibiotiques et, chaque année dans les hôpitaux français, à l’origine de plusieurs milliers de morts par maladies nosocomiales.”
aqueduc.info : Selon vous, il faut donc repenser la manière qu’ont les services de l’eau, publics ou privés, de contrôler la qualité de l’eau qu’ils distribuent et qu’ils se doivent d’appliquer d’autres méthodes d’analyse pour mieux protéger la santé des consommateurs.
Yann Olivaux : “Nous devons changer de modèle et de paradigme pour évaluer la qualité d’une eau alimentaire. Fondamentalement, il y a la nécessité de passer d’une vision analytique et partielle reposant sur des tests physicochimiques à une conception globale via des tests biologiques qui, seuls, permettent de mesurer la toxicité de l’eau. En effet, l’eau est destinée à être en contact avec le vivant - humain, animal, végétal, bactérien - et il est donc logique et plus pertinent de donner la priorité à la mesure de son impact biologique plutôt que de quantifier des polluants.
Sans entrer dans les détails techniques, il faut savoir qu’il existe notamment le test d’inhibition de la synthèse d’ARN, une molécule qui permet la transcription d’un gène en protéine, sur des cultures cellulaires humaines. Ce test permet de mesurer l’effet de substances toxiques contenues dans l’eau, de manière rapide, fiable et répétée.
Qu’en est-il des résultats escomptés de ce test ? Ou bien les cellules se développent normalement et dans ce cas, on peut alors qualifier cette eau de biocompatible, c’est-à-dire compatible avec le vivant. En revanche, ces cultures peuvent aussi se mettre à proliférer anormalement, ou bien encore péricliter et mourir. Dans ces deux derniers cas de figure, on va utiliser l’analyse physicochimique pour tenter de trouver la ou les substances à l’origine de ces effets biologiques indésirables.”
aqueduc.info : Vous dites aussi que nous n’avons pas vraiment et suffisamment conscience des liens et des interactions entre la qualité des eaux de notre corps et celle des eaux de boisson qui proviennent des eaux brutes de la nature …
Yann Olivaux : “C’est un lien essentiel que nous devons intégrer, car nous sommes des êtres hydriques et l’eau que nous buvons doit donc avoir une grande valeur sanitaire. C’est pourquoi il nous faut demeurer écologiquement très vigilants sur la qualité des eaux naturelles et lutter pour éviter de les souiller. Nous devons le respect à l’eau !
Notre corps contient 60 à 70% d’eau mais ce n’est pas le chiffre le plus important. Les deux tiers de ces 70% d’eau sont de l’eau intracellulaire, le reste est constitué de l’eau extracellulaire, c’est-à-dire de sang et de lymphe. L’eau représente 99% de l’ensemble des substances présentes à l’intérieur de nos cellules ! Cette eau est qualifiée d’“interfaciale” car elle hydrate notamment nos protéines et l’ADN. Ses propriétés diffèrent de celle de l’eau “ordinaire”. Il faut noter que l’importance de cette eau interfaciale est aujourd’hui encore totalement déniée dans la quasi-totalité des manuels de biologie, de biochimie et de médecine.
Je constate, par ailleurs, que les maladies de civilisation - les allergies, les cancers, les maladies neurodégénératives et autres - se multiplient. Et la qualité de l’eau n’aurait rien à voir dans tout cela ? Ce n’est pas sérieux. Et je me dois de m’interroger, en tant que citoyen et scientifique, sur de pareilles questions qui concernent la santé publique.
On me dira que je n’ai aucune preuve pour étayer ce genre de suspicions. Certes, le lien de cause à effet à long terme entre qualité de l’eau et maladies est effectivement difficile à prouver car certaines maladies peuvent "couver" pendant plusieurs dizaines d’années avant de se manifester. Mais qui a la charge de la preuve ? N’est-ce pas d’abord aux distributeurs d’eau de prouver qu’à terme elle n’a pas d’impacts négatifs sur la santé ?”
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt
(*) Lire l’interview de Stephan Ramseier, conseiller scientifique, répondant à la question : “Que faire des micropolluants dans l’eau potable ?”