C’est un processus on ne peut plus naturel, mais de toute évidence, hormis quelques exceptions notoires, on n’y prête pas généralement toute l’attention requise : on parle ici des immenses quantités de sédiments (sables, graviers, limons, etc.) charriés par les cours d’eau et qui s’accumulent au fil des ans en amont des barrages. Cela réduit considérablement le volume utile de ces retenues et si l’on en croit une étude que vient de publier l’Université des Nations Unies, les grands barrages vont d’ici 2050 probablement perdre à l’échelle mondiale un quart de leur capacité de stockage. Les conséquences en matière d’approvisionnement en eau, d’irrigation, de production électrique ou de gestion des risques d’inondations ne seront pas anodines.
Pour mener à bien leur étude publiée par la revue Sustainability [1], des chercheurs de l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé de l’Université des Nations Unies (UNU-INWEH), basé à Hamilton (Canada) [2], ont analysé les données de plus de 47’000 grands barrages (d’une hauteur d’au moins 15 m ou retenant plus de 3 millions de m3 d’eau) disséminés sur la planète et dont on connaît la capacité de stockage initiale et l’année de construction.
Ils sont arrivés à la conclusion que leurs retenues ont d’ores et déjà perdu entre 13 et 19 % de leur volume utile et que les pertes totales atteindront 23 à 28 % d’ici 2050, soit en moyenne une perte annuelle d’environ 0,36 % des capacités initiales. D’ici le milieu du siècle, le volume des sédiments qui seront piégés derrière ces barrages sera de l’ordre de 1650 milliards de m3, soit à peu près l’équivalent de la consommation d’eau annuelle de l’Inde, de la Chine, de l’Indonésie, de la France et du Canada réunis. Les chercheurs mettent toutefois un bémol à ces taux de sédimentation qui peuvent varier considérablement d’un site à l’autre.
"La diminution de la capacité de stockage disponible d’ici 2050 dans tous les pays et régions remettra en question de nombreux aspects des économies nationales, notamment l’irrigation, la production d’électricité et l’approvisionnement en eau", commente Duminda Perera, l’un des co-auteurs de cette étude, qui précise que "les nouveaux barrages prévus ou en cours de construction ne compenseront pas les pertes de capacités de stockage dues à la sédimentation".
Selon cette étude qui dresse des classements continent par continent, ce sont le Royaume-Uni, le Panama, l’Irlande, le Japon et les Seychelles qui devraient enregistrer les pertes de stockage d’eau les plus importantes d’ici au milieu du siècle (entre 35 et 50 % de leurs capacités initiales). Les cinq pays les moins touchés - Bhoutan, Cambodge, Éthiopie, Guinée et Niger – n’en perdraient que 15 % environ. La Suisse, quant à elle, figure au 8e rang des pays européens les plus concernés : ses lacs de barrage ont déjà perdu quelque 23% de leur capacité initiale, un taux qui pourrait monter vers 33 % en 2050.
Que faire ?
Selon les auteurs de cette étude de l’UNU-INWEH, les estimations qu’ils avancent pourraient être affinées par une meilleure surveillance du transport des sédiments à l’échelle des bassins versants et par des mesures plus fréquentes des profondeurs des lacs d’accumulation. Ils notent que les dragages peuvent se révéler onéreux et qu’un rinçage des sédiments, plus intéressant financièrement parlant, peut entraîner de fâcheuses conséquences en aval des barrages.
Une autre solution est de détourner le débit des cours d’eau vers l’aval par le biais d’une dérivation lorsque surviennent des crues pendant lesquelles la concentration de sédiments est particulièrement élevée. Quant aux élévations de barrages, elles ne devraient être réalisées qu’après s’être assuré de leur résistance structurelle et avoir évalué leurs conséquences sociales (déplacement des populations riveraines) et écologiques (protection des habitats des espèces végétales et animales).
Reste enfin à supprimer les barrages devenus inutiles, y compris quand ils sont remplis de sédiments, de renaturer les cours d’eau et rétablir le charriage naturel des cours d’eau. Cela implique alors que l’on traite et élimine les matériaux accumulés au fil des ans et pouvant contenir des métaux lourds et autres substances toxiques. (Source : UNU-INWEH)