Il pleut beaucoup en ce moment au Bénin et ce n’est pas Dame Nature qui va s’en plaindre. Les mois de juillet à septembre font coïncider les pluies dans tout le pays, telle une synchronisation de réseaux. Alors tous les cours d’eau, lacs et rivières gonflent. Bernard Capo-Chichi s’est rendu à Sagon dans le département du Zou, à 120 kilomètres de Porto-Novo, voir les crues à la confluence du fleuve Ouémé et de son principal affluent le Zou, qui a donné naissance au Lac Sré.
Les crues ici sont spectaculaires et constituent une véritable attraction à tous points de vue : physique, chimique et biologique. En effet, le mélange-brassage des eaux entraîne leur renouvellement dans le lac, ainsi que leur réoxygénation. Cela illustre bien toute la question de la gestion durable des écosystèmes aquatiques et de leurs bassins versants au Bénin. Plus de la moitié d’entre eux se retrouvent sous les eaux pour une période de trois mois. À Sagon, crues et décrues rythment la vie sociale et économique de tous les habitants.
Des milieux dont on ignore la fragilité
Le problème, c’est que ces bassins versants reçoivent des pollutions de toutes natures et origines. Il faut savoir qu’ici les eaux usées ne sont pas traitées, que les déchets solides et liquides ne sont pas correctement enlevés dans les ménages, ou encore que les habitations ne disposent pas de toilettes. Et c’est un véritable cocktail de polluants qui est charrié par les eaux de ruissellement : il nuit fortement à l’évolution des lacs décrits aujourd’hui comme "suralimentés", il déséquilibre les écosystèmes aquatiques qu’il transforme en "poubelles à ciel ouvert" et porte préjudice à la qualité de la faune et de la flore.
C’est une certitude : les activités humaines dans les bassins versants ne tiennent pas compte de la nature fragile et vulnérable des milieux aquatiques dont la qualité se dégrade. Un certain nombre de cultures - comme le coton ou le riz - sont très exigeantes en eau et en intrants agricoles qui vont plus tard polluer les sols et les milieux aquatiques. La transformation du manioc en farine ou en tapioca est gourmande en eau de qualité proche de l’eau potable et génère ensuite beaucoup d’eaux usées très corrosives si elles ne sont pas traitées.
Les moments de crues sont des instants uniques que l’on devrait mettre à profit pour relever diverses données qui renseignent sur l’état écologique et biologique des milieux aquatiques. Malheureusement Sagon ne dispose d’aucune station d’observation et d’enregistrement de ces données.
De plus, les cours d’eau et les plans d’eau ne sont pas protégés, gens et bêtes peuvent y accéder très facilement, "librement et gratuitement". Sur leurs berges on ne trouve ni barrières de protection, ni panneaux signalétiques qui permettraient d’identifier la ressource sur une carte de géographie, ni aucune indication pouvant donner un minimum d’informations aux riverains comme aux touristes sur l’état de santé du milieu naturel. Comment dès lors suivre l’évolution de ces trésors à léguer aux générations futures ?
Et qui donc s’en préoccupe ?
Autrefois, la police de l’eau était bien assurée par les "tovoudounon", dignitaires traditionnels des couvents vaudoun et gestionnaires des génies de l’eau qui dictaient des interdits bien respectés. Aujourd’hui, un peu partout, cette autorité coutumière sur la gestion des eaux leur est de plus en plus contestée. Officiellement, c’est l’État par le biais de ses décentralisations qui est gestionnaire des eaux et forêts. Mais, sur le terrain, il brille par son absence. Et les questions relatives à la gestion des eaux et à l’assainissement des bassins versants restent sans réponse.
Hélas, Sagon n’est pas un cas isolé. La remarque peut s’appliquer à tous les autres milieux aquatiques du Benin. A quoi cela est-il dû ? Négligence, ignorance ou quoi d’autre ? Les milieux aquatiques sont des espaces naturels bien vivants d’une importance inestimable, dont on a intérêt à suivre l’évolution.
Les milieux aquatiques paraissent totalement abandonnés, victimes de la "tragédie des biens communs" et de ce constat vieux comme le monde qui veut que "ce qui appartient à tout le monde, n’appartient à personne en particulier", qu’on peut donc le détruire même si tout le monde doit en subir les conséquences. Une gestion de proximité, concertée, intégrée s’impose qui implique tous les acteurs de l’eau : les autorités administratives et religieuses, les familles, les agriculteurs et les éleveurs pour n’en citer que quelques-uns. L’autorité responsable sur place des écosystèmes aquatiques devrait pouvoir être aisément identifiée et dotée des moyens humains, matériels et financiers nécessaires à sa fonction.
Texte et photos :
Bernard Capo-Chichi,
Porto-Novo, Bénin.
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