Les paysans qui se sont jadis installés à Dosquebradas assuraient leur approvisionnement en eau par leurs propres moyens. C’est encore le cas des habitants de la plupart des quartiers périurbains pauvres. Dès 1920, ils ont construit leurs propres aqueducs et infrastructures de distribution d’eau.
Pour gérer leurs réseaux, ils se sont organisés en associations communautaires (on en compte aujourd’hui 57), ce qui, pour près d’un tiers de la population pauvre de l’agglomération, constitue le seul et unique moyen d’accès durable à l’eau potable. Ces associations détiennent la propriété collective des infrastructures qui comprennent le captage, le traitement et la distribution de l’eau. Ce modèle technologique à petite échelle réduit le risque de pénurie et augmente les chances de durabilité de l’économie locale.
Gestion bénévole et participative
À Dosquebradas, la gestion collective des aqueducs communautaires repose principalement sur la composition et la coopération des associations : leurs dirigeants s’engagent bénévolement et doivent être disponibles en permanence pour la coordination des travaux de construction et d’entretien ; les usagers, quant à eux, recherchent les fonds nécessaires à l’achat du matériel, notamment par le biais de ventes de produits alimentaires ou de tombolas, mais ils prêtent également main-forte aux tâches communautaires via la pratique dite du convite (voir ci-contre).
Côté revenus, les systèmes d’aqueducs communautaires peuvent compter sur les montants d’adhésion, les taxes mensuelles de consommation, les cotisations extraordinaires, les aides et les dons éventuels. Grâce aux travaux effectués bénévolement et bien que la politique de tarification ne corresponde pas à une véritable étude des coûts et des investissements, les usagers ne paient qu’une faible facture de consommation d’eau. Comparées aux entreprises étatiques et privées de distribution d’eau, les associations d’aqueducs communautaires proposent le tarif le meilleur marché pour une consommation de base. Par ailleurs, ces associations, qui ne perçoivent aucune subvention de la municipalité, n’offrent leurs services qu’à la population appartenant aux couches sociales les plus défavorisées.
Refus étatique des modèles alternatifs
Contre toute attente, l’État colombien a ignoré ce modèle de gestion communautaire de l’eau. Il a, dans ce secteur, opté pour une politique de privatisation à tous les niveaux, du local au national. Dans un contexte de marchandisation des services, il considère les modèles alternatifs comme une concurrence et un obstacle à la rentabilité économique. Depuis 1936, et surtout à partir des années 1990, il a justifié la nécessité de changer les structures institutionnelles en raison des exigences des organismes internationaux de financement, en contrepartie des dettes qu’il a contractées.
Depuis 2007, avec l’entrée en vigueur des Plans départementaux de l’eau (Planes Departamentales del Agua) financés par des crédits de la Banque mondiale, l’objectif du gouvernement colombien dans le secteur de la distribution d’eau et de l’assainissement est de promouvoir la gestion d’entreprise. Et il entend élargir la participation du secteur privé dans les villes moyennes, comme Dosquebradas, par la conclusion d’accords de gestion avec des opérateurs disposant de ressources économiques appropriées. Avec pour conséquence de marginaliser totalement les modèles alternatifs de gestion de l’eau par des associations d’aqueducs communautaires.
Texte et photos :
Ana Patricia Quintana Ramírez
(*) Ana Patricia Quintana Ramírez, originaire de Colombie, docteur en anthropologie sociale et culturelle, membre du Groupe d’investigation en gestion culturelle et en éducation environnementale de l’Université technologique de Pereira (Colombie), chercheure post-doctorante en écologie politique à l’Université de Fribourg (Suisse).