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23 octobre 2021.

Ces femmes autochtones qui marchent pour guérir les eaux

Depuis plusieurs années, des femmes autochtones nord-américaines (...)

Depuis plusieurs années, des femmes autochtones nord-américaines multiplient régulièrement des marches pour l’eau et se relaient le long de fleuves comme le Missouri, l’Ohio, le Wisconsin et autres pour leur rendre hommage. Elles recueillent de l’eau à leur source et se relaient pour aller la reverser dans leur embouchure, parfois à des centaines de kilomètres plus loin, « dans l’espoir que les générations futures puissent bénéficier d’une eau propre et pure ». L’évocation de ces « Nibi Walks » - le mot nibi désigne l’eau dans la langue des Anishinaabeg, un peuple autochtone de la région des Grands Lacs - figure en bonne place dans l’exposition temporaire « Injustice environnementale – Alternatives autochtones » proposée jusqu’en août 2022 par le Musée d’Ethnographie de Genève (MEG). [1]

Tirant parti de leurs expériences et s’inspirant de rituels de l’eau pratiqués dans leurs communautés, les animatrices de ces marches pour l’eau - parmi elles de nombreuses grand-mères - ont rédigé une sorte de protocole qui définit les règles et les modalités de ces pèlerinages pas comme les autres. [2]

Les Nibi Walks, d’abord, sont réservées aux femmes qui dans leurs traditions ancestrales sont les gardiennes de l’eau car elles aussi donnent la vie. Comme il s’agit de véritables cérémonies quasi religieuses accompagnées de chants, de prières et d’incantations, elles sont vêtues de jupes longues, ce qui pour elles est une façon de vénérer la Terre-Mère et tous les vivants qui l’habitent et d’afficher leur propre dignité. Des hommes peuvent certes les accompagner, mais ils n’ont pas le droit de porter l’eau, seulement un bâton orné de plumes d’aigle, symbole entre autres du respect dû à la Création.

Lorsque les femmes anishinaabe estiment qu’une rivière est menacée de pollution, elles vont à sa source et recueillent de l’eau dans un petit récipient en cuivre recouvert d’un tissu pour ne pas en perdre en chemin. Elles la portent à tour de rôle sur une distance relativement courte (de l’ordre d’un mile) et se la transmettent les unes aux autres sans rompre le mouvement, comme dans un relais sportif. Celle qui la donne et celle qui la reçoit déclament alors une phrase quasi rituelle : « Ngah izitchigay nibi ohnjay », c’est-à-dire : « Je le fais pour l’eau". [3]

Les Nibi Walks suivent des routes ou des chemins situés au plus près des rivières, les femmes y avancent au rythme de l’eau qui s’y écoule, sans interruption durant toute la journée. Elles ont avec elles une sorte de tabac sacré qu’elles offrent non seulement aux cours d’eau qu’elles traversent mais aussi aux animaux qu’elles rencontrent. Et la marche se poursuit ainsi jour après jour jusqu’au confluent d’un cours d’eau plus important, voire un lac ou l’océan, pour signifier que l’eau d’aval doit être aussi pure et aussi propre que l’eau de la source.

« Le temps du soin et de la réparation,
Le temps des responsabilités réciproques »

Il faut parcourir l’intégralité de l’exposition temporaire du Musée d’ethnographie de Genève (MEG) pour comprendre et remettre dans son contexte l’initiative prise par les femmes anishinaabe et leurs marches pour l’eau. Au fil des textes et des témoignages, des objets et des images, des ambiances sonores et des installations artistiques qui ont été spécialement conçues pour cet événement, le visiteur pénètre au cœur de la lutte des peuples autochtones - c’est-à-dire quelque 500 millions de personnes disséminées aux quatre coins du monde – pour une vraie justice environnementale.

L’exposition rappelle que pendant longtemps ces peuples ont été les garants de relations équitables et durables entre l’humain et son environnement. Mais aussi, vu leur étroite dépendance au milieu naturel pour leur subsistance et leur bien-être, qu’ils sont particulièrement vulnérables aux dégradations environnementales, davantage sans doute que bien d’autres populations du globe. En même temps, ils cherchent à mettre en valeur leurs savoirs et leurs savoir-faire ancestraux pour proposer des solutions innovantes, alternatives et efficaces en matière de protection des sols, de l’eau et de la biodiversité.

C’est aujourd’hui une certitude : les peuples autochtones jouent par leur engagement un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique mondial en luttant notamment contre la déforestation et pour la sauvegarde des écosystèmes. Au-delà de cette reconnaissance, cette exposition transmet un autre message-clé qu’illustrent parfaitement les marches des femmes pour l’eau : il est grand temps pour les humains d’adopter un autre modèle de relation avec leur environnement, c’est-à-dire avec les animaux, les plantes, les rivières, les montagnes, bref avec tous les éléments concrets et interdépendants de la nature dans laquelle ils vivent. C’est tous ensemble, et tous ensemble seulement, qu’ils pourront tisser « un futur commun fondé sur les valeurs du soin, de la réparation et de la responsabilité à l’égard de toutes les formes du vivant. » (bw)



Notes

[1« Injustice environnementale - Alternatives autochtones ». Exposition temporaire du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), du 24 septembre 2021 au 21 août 2022. L’exposition présente quelques-unes des réponses apportées par diverses communautés autochtones disséminées sur tous les continents aux changements climatiques et aux dégradations de l’environnement à travers une éthique du soin et une culture de la réparation. Le parcours expose la manière dont ces peuples s’appuient sur leurs droits fondamentaux pour résister à l’injustice environnementale, protéger leurs territoires et transmettre leurs connaissances aux jeunes générations.
 En savoir plus (ouverture, accès, tarifs, etc.) sur le site du Musée >
 Pour l’essentiel, le présent article s’inspire des textes qui jalonnent cette exposition et des documents disponibles sur le site de l’organisation Nibi Walks (voir ci-dessous).

[2L’organisation Nibi Walks se présente comme « la face spirituelle » des mouvements qui militent sur le terrain pour la protection des ressources en eau. « Les marches pour l’eau sont centrées et mises en œuvre dans la foi : foi dans les esprits de l’eau, foi dans la terre, foi dans l’humanité et foi dans le pouvoir de l’amour. Aucune somme d’argent n’est plus puissante que ces forces. Lorsque nous passons du temps à respecter et à remercier l’eau qui nous maintient en vie, il devient impossible d’en abuser. »

[3Voir la brève vidéo proposée par Nibi Walks qui illustre comment les marcheuses maintiennent l’eau en mouvement tout le temps, même pendant un relais, et qui explique comment prononcer la phrase rituelle « Ngah izitchigay nibi ohnjay ».

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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