Géraldine Pflieger : « Cet accord porte prioritairement sur des thèmes liés à la gouvernance de l’eau. Mais il se veut suffisamment large pour qu’ensuite, au fil des opportunités, il ouvre des voies de collaboration avec d’autres programmes de recherche européens ou autres, et puisse répondre à des requêtes émanant d’acteurs politiques ou d’organisations internationales. L’enjeu principal de ce rapprochement, c’est de pouvoir travailler ensemble à la fois sur la recherche et sur l’enseignement. Par exemple en développant des modules communs de formation continue, voire des cours conjoints de master. Ce ne sont pas les pistes qui manquent.
Il n’est pas utopique d’espérer que progressivement d’autres unités de recherche bénéficient elles aussi de cet accord ou en reçoivent des stimulations pour mettre en place d’autres collaborations croisées. Ce pourrait être le cas, du côté de Genève, en matière d’hydrologie, de biologie aquatique, d’impacts des changements climatiques sur l’eau, et à Delft, dans les domaines des sciences naturelles ou de l’ingénierie. »
aqueduc.info : Comment ces deux partenaires comprennent-ils leurs complémentarités ? Que peuvent-ils s’offrir mutuellement qui soit vraiment original ?
– « Le premier atout de l’Université de Genève, c’est sa proximité avec des organisations internationales et des ONG installées dans l’espace genevois et actives d’une manière ou d’une autre dans le domaine de l’eau. Elle a donc la possibilité de développer des liens plus étroits avec ces institutions et d’amener ce réseau dans son partenariat académique. Son deuxième atout, c’est le fait qu’elle dispose de chercheurs travaillant sur l’eau avec des perspectives disciplinaires relativement larges, par exemple dans le domaine de la gouvernance ou dans celui du droit international, voire même en économie.
L’Unesco-IHE n’a pas de compétences particulières dans ces domaines-là, mais elle apporte dans le partenariat son propre et vaste réseau composé de chercheurs, de praticiens et d’acteurs politiques. C’est une institution originale qui tient lieu à la fois de centre de formation, de centre de recherche et de laboratoire d’idées. De plus, elle a une dimension mondiale que Genève aimerait aussi cultiver et emprunter pour rejoindre la planète eau. »
– Trois mots - synergies, interdisciplinarité, multiculturel - reviennent souvent dans vos propos. En quoi traduisent-ils des objectifs désormais essentiels au travail des chercheurs ?
– « À Genève, le groupe Politique, Environnement, Territoires de l’Institut des sciences de l’environnement a développé toute une série de synergies, entre autres le projet GouvRhône où pour la première fois une recherche a été menée en partenariat direct avec les acteurs franco-suisses de la gouvernance du fleuve, à savoir : des hydroélectriciens, des experts en écologie de l’eau, des élus et des administrateurs.
Ce projet a trouvé un prolongement dans divers partenariats, notamment avec la Commission économique de l’ONU pour l’Europe, pour mener une réflexion sur la méthodologie de la gouvernance et de la gestion intégrée de l’eau par bassins. Notre groupe s’est pour ainsi dire peu à peu spécialisé dans la recherche-action, c’est-à-dire la capacité de développer des recherches approfondies, reconnues aux plans théoriques et académiques, et qui en même temps font sens pour les praticiens.
L’interdisciplinarité consiste avant tout à ne pas mettre de frontières entre les sciences dites naturelles ou dures et les sciences dites sociales, même si ces univers sont complexes et qu’on n’en perçoit pas toujours exactement les limites. Il n’existe de par le monde que très peu de centres académiques capables de faire cohabiter dans une même institution et sur un même pied d’égalité les disciplines conjointes capables d’appréhender l’eau comme un phénomène complexe. Mais c’est une ambition que l’on partage à Genève comme à Delft.
Quant à l’approche multiculturelle, c’est le fait de pouvoir prendre en compte la diversité des relations que chaque individu entretient avec l’eau en fonction de sa religion, de son origine sociale ou de son environnement immédiat. La nature de ces rapports personnels avec l’eau, qui ne sont évidemment pas les mêmes en Afrique subsaharienne, au nord de l’Europe ou aux États-Unis, influe forcément sur la gouvernance et sur la manière de gérer les ressources hydriques.
Cultiver le goût pour la comparaison et l’ouverture multiculturelle, ce n’est pas viser à tout prix l’harmonisation des pratiques mais veiller à bien comprendre et à valoriser la diversité quasi biologique des liens entre les êtres humains et l’eau. Cela veut dire, concrètement, que nous ne voulons pas rester cantonnés dans notre région et que nous tenons à aller beaucoup plus loin que notre propre zone de vie. »
– La signature de ce protocole d’accord marque aussi une étape importante pour l’Université de Genève dans la perspective de sa candidature à l’obtention d’une Chaire UNESCO en hydropolitique. Où en est-on aujourd’hui ?
– « Le souhait de l’Université de Genève est d’obtenir une Chaire UNESCO non seulement pour la gouvernance de l’eau, mais aussi pour la globalité des relations politiques - locales, internationales, régionales - autour des ressources en eau. Une telle initiative serait tout à fait novatrice car actuellement aucune Chaire UNESCO ne se consacre spécifiquement à la géopolitique de l‘eau. C’est pourtant un sujet d’une grande actualité : certes les conflits entre États autour de l’eau sont très médiatisés, mais il existe aussi de nombreux micro-conflits entre des individus, des collectivités ou des régions. On a sans doute beaucoup de leçons à tirer des analyses des situations à petite échelle pour comprendre ce qui se passe sur des zones plus vastes, et réciproquement.
Une Chaire UNESCO, c’est un label d’excellence qui peut nous apporter beaucoup en termes de visibilité et de reconnaissance, mais qui nous stimulera et nous obligera aussi à travailler toujours mieux et à trouver les ressources humaines et financières qui nous permettront de lancer de nouveaux projets de recherche. La décision finale appartient à l’UNESCO. L’Université de Genève déposera son dossier de candidature en avril prochain et comme la procédure prévoit une année d’instruction, il faudra attendre 2016 pour connaître une réponse que chacun ici souhaite évidemment positive. »
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt