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11 février 2013.

Derrière les robinets : les laboratoires

C’est tellement facile d’ouvrir un robinet, du moins dans nos (...)

C’est tellement facile d’ouvrir un robinet, du moins dans nos contrées, qu’on ne cherche même pas à connaître par quels détours et quels éventuels traitements nous arrive notre eau potable. Depuis quelque temps, les services publics et les distributeurs font de louables efforts - on leur en sait gré - pour lever le voile sur les différents processus qui jalonnent son parcours, des stations de captage ou de pompage jusqu’aux compteurs placés à l’entrée des immeubles. Mais, dans cette longue chaîne technique, il est un maillon essentiel dont on ne parle pas souvent : le laboratoire. C’est-à-dire le service chargé de contrôler la qualité de l’eau potable, en tout temps et à toutes les étapes de sa production et de sa distribution.



 Rencontre avec Fereidoun Khajehnouri, Dr. ingénieur-chimiste et responsable de la division Contrôle de l’eau au Service des eaux de la Ville de Lausanne (eauservice).


- aqueduc.info : parmi les questions de plus en plus fréquentes relatives à la qualité de l’eau, quelle est celle qui aujourd’hui vous préoccupe le plus ?

 Fereidoun Khajehnouri : "les micropolluants, sans aucun doute. Pour nous, cette question n’est certes pas nouvelle. Dans le laboratoire d’eauservice, on a déjà pris des initiatives depuis quelques années pour mieux surveiller les éventuelles traces de ces substances dans nos différentes ressources en eau. Mais nous sommes heureux de constater que les médias se sont emparés du sujet, que le grand public s’y intéresse, et les instances politiques aussi. Nous souhaitons vraiment que tout le monde se rende compte que ce problème ne vient pas d’ailleurs mais qu’il résulte de nos activités quotidiennes."

- Vu qu’on peut répertorier des dizaines de milliers de micropolluants dans toutes sortes de produits, les laboratoires doivent forcément faire des choix dans leurs analyses. Quelles sont vos priorités ?

 "C’est vrai que les micropolluants, dont certains peuvent être toxiques même à de très faibles concentrations, entrent dans la composition de toutes sortes de produits - médicaments, cosmétiques, pesticides, peintures, etc. - et que leurs résidus se retrouvent dans les eaux usées. En ce qui nous concerne, nous avons lancé il y a trois ans - en collaboration avec Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (faculté des géosciences et de l’environnement) - une étude sur les substances phytosanitaires et une autre sur les substances vétérinaires.

Lors de ces études, nous avons pu déterminer celles qui pourraient contaminer nos différentes ressources en eaux de surface et souterraines, et nous avons pu ainsi dresser une liste comprenant une centaine de substances à surveiller. Nous avons également acquis tout récemment de nouveaux appareils (chromatographie en phase gazeuse et phase liquide avec un spectromètre de masse comme détecteur) - soit dit en passant, c’est un investissement relativement onéreux, de l’ordre de quelques centaines de milliers de francs - qui vont nous permettre d’étudier la totalité des substances phytosanitaires de cette liste, ainsi que d’autres, ce que jusque-là nous ne pouvions faire que de manière partielle.

Parallèlement, nous menons aussi, avec l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, un projet d’analyse des produits stupéfiants. De plus, grâce à notre nouvel équipement, nous pourrons mettre en place un programme d’analyse pour environ 50 micropolluants en tous genres définis par l’Office fédéral de l’environnement comme prioritaires au niveau national, dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable comme dans celui de l’assainissement."

- Si l’on quitte le champ des substances chimiques pour s’intéresser à celui des micro-organismes et de la microbiologie, on voit que les laboratoires disposent également de nouveaux outils d’analyse beaucoup plus performants ...

 "Cela faisait en effet une bonne centaine d’années qu’on effectuait les analyses de microbiologie grâce à des méthodes classiques. Désormais, nous pouvons le faire beaucoup plus rapidement (en quelques minutes) et plus finement (100 à 10’000 fois plus de microorganismes peuvent être détectés) en suivant la méthode dite de cytométrie en flux. On ne peut pas vraiment comparer les deux méthodes : la première recense les colonies bactériennes que l’on peut compter à l’œil nu et la seconde fournit des informations sur le nombre de cellules bactériennes dans un échantillon d’eau.

La cytométrie en flux est une technique, et un outil, qui simplifient grandement le travail des laboratoires de microbiologie. Au lieu d’attendre plusieurs dizaines d’heures voire plusieurs jours, on obtient maintenant des résultats au bout d’une douzaine de minutes. L’autre avantage de cette nouvelle méthode, c’est que lorsqu’on connaît l’empreinte digitale de l’eau de son réseau, un écart par rapport à celle-ci est un signal d’alarme annonçant une possible contamination dans les installations de traitement de l’eau ou dans le réseau de distribution. Cela permet donc de prendre très rapidement des mesures correctives dans les processus de traitement de l’eau.

L’Office fédéral de la santé publique vient d’inscrire cette nouvelle méthode qui est plus rapide et plus performante dans le manuel suisse des denrées alimentaires. Cela ne veut pas dire qu’elle remplace les méthodes classiques, mais c’est en tout cas une façon d’encourager les spécialistes à se doter de ce genre d’équipements pour évaluer la qualité microbiologique de l’eau à chacune des étapes de sa production et dans le réseau de distribution."

- Si l’on sort du cadre de votre laboratoire et que l’on s’intéresse globalement aux problèmes liés au maintien de la qualité de l’eau, comment définiriez-vous les grandes priorités du moment ?

 "J’en vois trois. D’abord, mieux sauvegarder nos ressources en eau, surtout les ressources souterraines, mais cela s’applique aussi aux bassins versants et aux eaux de surface. Cela suppose, entre autres, le respect absolu des diverses zones de protection, et la concertation des différents acteurs concernés.

Il faut ensuite améliorer les chaînes de traitement de l’eau potable, c’est-à-dire - là où c’est nécessaire - acquérir les outils qui permettent d’en améliorer la qualité microbiologique et chimique, par exemple : mettre en place des membranes d’ultrafiltration qui font barrage aux bactéries, aux virus et aux protozoaires,voire d’autres procédés d’affinage comme le charbon actif ou l’ozonation afin de réduire ou éliminer les micropolluants présents dans l’eau.

Enfin, il importe de travailler aussi en aval, dans les stations d’épuration : en Suisse, nombre d’entre elles doivent être rénovées pour être en mesure d’améliorer leurs performances et de réduire de 80 % environ les substances références qui représentent différentes catégories de micropolluants (Carbamazépine, Diclofénac, Sulfamétaxazole, Mécroprop et Benzotriazole), c’est-à-dire être plus efficaces qu’aujourd’hui."

Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt


Liens utiles

 eauservice Lausanne
 Loi fédérale sur les denrées alimentaires
 Qualité de l’eau potable en Suisse
 Site Eau potable de la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE)




Infos complémentaires


Le laboratoire eauservice de Lutry a récemment acquis un appareil de chromatographie liquide couplé à un spectromètre de masse
(photo aqueduc.info)


Le rôle des laboratoires


La loi suisse sur les denrées alimentaires fait obligation aux producteurs et aux distributeurs d’eau potable de pratiquer l’autocontrôle, c’est-à-dire de veiller eux-mêmes à sa bonne qualité et au bon fonctionnement de leurs installations.

 Les laboratoires des distributeurs, tel celui
d’ eauservice à Lausanne, ont pour mission essentielle de contrôler la qualité des ressources en eau ainsi que la qualité de l’eau potable distribuée dans les réseaux.
 Ils s’assurent que l’eau potable, en tant que denrée alimentaire, ne contient ni substances gênantes ou toxiques, ni germes pathogènes ; ils vérifient que cette eau est conforme aux critères légaux.
 Ils interviennent également dans l’évaluation des ressources et dans l’identification de pollutions potentielles afin de prendre les mesures préventives qui s’imposent.
 Ils fournissent des informations indispensables à l’optimisation et au suivi de l’exploitation des usines et stations de traitement d’eau.

À Lausanne, quelque 20’000 analyses chimiques et 10’000 analyses microbiologiques sont effectuées chaque année pour garantir une qualité de l’eau irréprochable.


Les méthodes et les outils d’analyse

Les analyses ont pour but de garantir une qualité optimale de l’eau potable pour un usage sans danger pour la santé. Elles permettent de contrôler que les normes sanitaires sont respectées jusque chez le consommateur. Un laboratoire, tel celui
d’ eauservice à Lausanne, pratique deux types d’analyses :

 Les analyses microbiologiques s’intéressent à la contamination de l’eau par des micro-organismes (microbes, bactéries, virus, etc.). Certains, d’origine naturelle, sont sans danger et sont tolérés jusqu’à un certain point. D’autres, comme les Escherichia coli et les entérocoques, sont de précieux indicateurs d’une contamination de l’eau par des matières fécales humaines ou animales et laissent supposer la présence d’autres bactéries plus dangereuses.

Pour les détecter, l’Office fédéral de la santé publique recommande aux laboratoires d’adopter une nouvelle méthode standard, dite de cytométrie en flux, pratiquée depuis une vingtaine d’années dans le domaine médical et qui est désormais utilisable de manière performante en microbiologie.

 Les analyses physicochimiques s’intéressent à la composition naturelle de l’eau et à ses équilibres (dureté, sels minéraux, oxygène dissous, etc.) ainsi qu’aux substances indésirables (fer, cuivre, etc.) ou toxiques (plomb, cadmium, etc.). C’est grâce à elles que l’on peut déceler la présence dans l’eau de micropolluants.

Les techniques de détection de ces substances chimiques font principalement appel à des instruments de chromatographie (liquide, gazeuse ou ionique) souvent couplés à des spectromètres de masse largement utilisés dans la plupart des disciplines scientifiques.

(Sources : documentation eauservice Lausanne, Office fédéral de l’environnement, Office fédéral de la santé publique, Eawag - Institut de recherche de l’eau du domaine des Écoles polytechniques fédérales)

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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