- aqueduc.info : parmi les questions de plus en plus fréquentes relatives à la qualité de l’eau, quelle est celle qui aujourd’hui vous préoccupe le plus ?
– Fereidoun Khajehnouri : "les micropolluants, sans aucun doute. Pour nous, cette question n’est certes pas nouvelle. Dans le laboratoire d’eauservice, on a déjà pris des initiatives depuis quelques années pour mieux surveiller les éventuelles traces de ces substances dans nos différentes ressources en eau. Mais nous sommes heureux de constater que les médias se sont emparés du sujet, que le grand public s’y intéresse, et les instances politiques aussi. Nous souhaitons vraiment que tout le monde se rende compte que ce problème ne vient pas d’ailleurs mais qu’il résulte de nos activités quotidiennes."
- Vu qu’on peut répertorier des dizaines de milliers de micropolluants dans toutes sortes de produits, les laboratoires doivent forcément faire des choix dans leurs analyses. Quelles sont vos priorités ?
– "C’est vrai que les micropolluants, dont certains peuvent être toxiques même à de très faibles concentrations, entrent dans la composition de toutes sortes de produits - médicaments, cosmétiques, pesticides, peintures, etc. - et que leurs résidus se retrouvent dans les eaux usées. En ce qui nous concerne, nous avons lancé il y a trois ans - en collaboration avec Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (faculté des géosciences et de l’environnement) - une étude sur les substances phytosanitaires et une autre sur les substances vétérinaires.
Lors de ces études, nous avons pu déterminer celles qui pourraient contaminer nos différentes ressources en eaux de surface et souterraines, et nous avons pu ainsi dresser une liste comprenant une centaine de substances à surveiller. Nous avons également acquis tout récemment de nouveaux appareils (chromatographie en phase gazeuse et phase liquide avec un spectromètre de masse comme détecteur) - soit dit en passant, c’est un investissement relativement onéreux, de l’ordre de quelques centaines de milliers de francs - qui vont nous permettre d’étudier la totalité des substances phytosanitaires de cette liste, ainsi que d’autres, ce que jusque-là nous ne pouvions faire que de manière partielle.
Parallèlement, nous menons aussi, avec l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne, un projet d’analyse des produits stupéfiants. De plus, grâce à notre nouvel équipement, nous pourrons mettre en place un programme d’analyse pour environ 50 micropolluants en tous genres définis par l’Office fédéral de l’environnement comme prioritaires au niveau national, dans le domaine de l’approvisionnement en eau potable comme dans celui de l’assainissement."
- Si l’on quitte le champ des substances chimiques pour s’intéresser à celui des micro-organismes et de la microbiologie, on voit que les laboratoires disposent également de nouveaux outils d’analyse beaucoup plus performants ...
– "Cela faisait en effet une bonne centaine d’années qu’on effectuait les analyses de microbiologie grâce à des méthodes classiques. Désormais, nous pouvons le faire beaucoup plus rapidement (en quelques minutes) et plus finement (100 à 10’000 fois plus de microorganismes peuvent être détectés) en suivant la méthode dite de cytométrie en flux. On ne peut pas vraiment comparer les deux méthodes : la première recense les colonies bactériennes que l’on peut compter à l’œil nu et la seconde fournit des informations sur le nombre de cellules bactériennes dans un échantillon d’eau.
La cytométrie en flux est une technique, et un outil, qui simplifient grandement le travail des laboratoires de microbiologie. Au lieu d’attendre plusieurs dizaines d’heures voire plusieurs jours, on obtient maintenant des résultats au bout d’une douzaine de minutes. L’autre avantage de cette nouvelle méthode, c’est que lorsqu’on connaît l’empreinte digitale de l’eau de son réseau, un écart par rapport à celle-ci est un signal d’alarme annonçant une possible contamination dans les installations de traitement de l’eau ou dans le réseau de distribution. Cela permet donc de prendre très rapidement des mesures correctives dans les processus de traitement de l’eau.
L’Office fédéral de la santé publique vient d’inscrire cette nouvelle méthode qui est plus rapide et plus performante dans le manuel suisse des denrées alimentaires. Cela ne veut pas dire qu’elle remplace les méthodes classiques, mais c’est en tout cas une façon d’encourager les spécialistes à se doter de ce genre d’équipements pour évaluer la qualité microbiologique de l’eau à chacune des étapes de sa production et dans le réseau de distribution."
- Si l’on sort du cadre de votre laboratoire et que l’on s’intéresse globalement aux problèmes liés au maintien de la qualité de l’eau, comment définiriez-vous les grandes priorités du moment ?
– "J’en vois trois. D’abord, mieux sauvegarder nos ressources en eau, surtout les ressources souterraines, mais cela s’applique aussi aux bassins versants et aux eaux de surface. Cela suppose, entre autres, le respect absolu des diverses zones de protection, et la concertation des différents acteurs concernés.
Il faut ensuite améliorer les chaînes de traitement de l’eau potable, c’est-à-dire - là où c’est nécessaire - acquérir les outils qui permettent d’en améliorer la qualité microbiologique et chimique, par exemple : mettre en place des membranes d’ultrafiltration qui font barrage aux bactéries, aux virus et aux protozoaires,voire d’autres procédés d’affinage comme le charbon actif ou l’ozonation afin de réduire ou éliminer les micropolluants présents dans l’eau.
Enfin, il importe de travailler aussi en aval, dans les stations d’épuration : en Suisse, nombre d’entre elles doivent être rénovées pour être en mesure d’améliorer leurs performances et de réduire de 80 % environ les substances références qui représentent différentes catégories de micropolluants (Carbamazépine, Diclofénac, Sulfamétaxazole, Mécroprop et Benzotriazole), c’est-à-dire être plus efficaces qu’aujourd’hui."
Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt
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