DANS LE DOMAINE DE L’HYDROLOGIE

aqueduc.info
Avec le recul des glaciers, restera-t-il assez d’eau
pour produire de l’énergie hydraulique ?
D’ici la fin du siècle, il est probable que 90 % du volume glaciaire actuel aura disparu. Cela affectera considérablement l’approvisionnement en eau des barrages et la production d’électricité, sans parler du cumul de sédiments. Les experts estiment toutefois que la gestion de ces réservoirs pourrait être davantage tributaire des fluctuations du prix de gros de l’électricité que des changements d’écoulement. Il ne faut pas non plus oublier que le recul des glaciers aura un impact global sur la disponibilité de l’eau et son stockage pour toutes sortes d’autres usages comme l’irrigation, la protection contre les crues ou la production de neige artificielle. D’où l’importance de planifier au mieux les ordres de priorité des futures utilisations des eaux de fonte.
Quels risques et quelles opportunités représentent
les lacs nés de la fonte des glaciers ?
On sait désormais, sur la base de modèles numériques, que le retrait des glaciers donnera naissance, dans les dépressions de terrain mises à découvert, à de très nombreux lacs (500 à 600 ?), de tailles diverses (atteignant parfois 100 m de profondeur) et dont la superficie totale pourrait dépasser les 50 km carrés. Ce phénomène constitue à la fois un danger à prendre au sérieux, car ces nouveaux bassins naturels ne sont pas à l’abri d’avalanches de masses rocheuses pouvant provoquer de véritables raz-de-marée dans les vallées, et une chance peut-être de trouver là de nouvelles opportunités de production hydroélectrique. Par ailleurs, ces nouveaux lacs – on le voit avec le glacier du Trift dans l’Oberland bernois – valorisent les paysages et offrent de nouvelles attractivités touristiques.
Faut-il s’attendre à des pénuries d’eau souterraine
à cause du changement climatique ?
Les nappes souterraines représentent, en Suisse, la source principale d’approvisionnement en eau potable (80 %) et en eau d’irrigation. Globalement, le renouvellement quantitatif de ces nappes ne devrait être que peu touché par les changements climatiques, sauf que le rythme de leur recharge variera au gré des précipitations qui seront plus fortes en hiver et au printemps et plus faibles en été et en automne. En fin d’été, les aquifères recevront également moins d’eau de la part des rivières qui connaîtront alors de faibles débits. Cela signifie que les nappes souterraines de petite taille pourraient se vider rapidement et engendrer ici et là quelques situations passagères de pénurie d’eau. Pour les prévenir, il importera donc de mettre en place des programmes de surveillance des nappes les plus sensibles.
Les eaux karstiques offriront-elles à l’avenir
un surplus de ressources hydriques ?
Les sources karstiques – c’est-à-dire situées dans des milieux géologiques calcaires comme les massifs du Jura et des Préalpes – sont parmi les dernières à s’assécher. Mais ces systèmes souterrains sont encore assez mal connus et, dans le cadre du PNR 61, le projet Swisskarst vient combler cette lacune. Ses chercheurs ont mis au point un logiciel de modélisation géologique en trois dimensions, baptisé Karsys, qui permet de visualiser la circulation souterraine des eaux jusqu’à leurs résurgences. Cet outil, qui a déjà été appliqué sur un tiers du territoire suisse, s’adresse entre autres aux gestionnaires des services des eaux, qu’il s’agisse d’alimentation en eau potable ou du suivi de l’évacuation des eaux usées.

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Quel est l’impact du changement climatique
sur la qualité des eaux souterraines ?
Les modèles climatiques montrent que la température des eaux souterraines ira en augmentant, surtout dans les nappes alimentées par des cours d’eau. Cela peut compromettre leur qualité car, brièvement dit, plus une eau est chaude, moins elle contient d’oxygène et plus elle est propice au développement des microbes et des bactéries. Cela n’est pas sans conséquences quand on sait que les nappes souterraines constituent en Suisse les principales sources d’approvisionnement en eau potable : nombre de stations de pompage, qui jusqu’ici, vu la bonne qualité de la ressource, assuraient cet approvisionnement sans traitement spécial, ne sont pas équipées pour conditionner des eaux brutes pauvres en oxygène.
Est-il possible de mieux comprendre les dangers
liés aux crues dans les Alpes ?
Il n’est pas facile de prévoir le moment ou l’ampleur des crues exceptionnelles. Il faut non seulement prendre en compte le volume des précipitations, mais aussi les capacités de stockage d’eau des sous-sols. Les chercheurs, qui cherchaient à mieux comprendre comment un bassin hydrographique alpin réagit à des pluies extrêmes, ont été surpris de constater que des sols en forte pente peuvent retenir longtemps des quantités d’eau beaucoup plus importantes que prévu et que leur écoulement s’en trouve fortement retardé. Quand celui-ci survient en même temps qu’une crue extrême, les risques de catastrophes sont d’autant plus grands. De nouvelles méthodes de mesures en fonction des terrains permettent de mieux les prévoir.
Sommes-nous préparés à faire face
aux périodes de sécheresse ?
Les sécheresses – un sujet qui jusqu’ici en Suisse n’avait guère été étudié – sont des phénomènes complexes dans lesquels interviennent différents facteurs environnementaux. Mais, disent les experts, il est possible de se prémunir de leurs effets à condition d’en être informés suffisamment tôt. On dispose pour cela de divers indicateurs : le suivi des précipitations, l’état des nappes souterraines, l’évolution des températures, mais aussi le degré d’humidité des terres qui, s’il est insuffisant, renforce les sécheresses : les propriétés des sols et de la végétation sont en effet décisives dans les processus qui interviennent entre les réserves d’eau et l’atmosphère. Les chercheurs du projet Drought-CH expérimentent actuellement, sur une base restreinte, une plateforme internet d’informations régulièrement actualisées sur l’état des ressources hydriques du pays et les éventuels risques de sécheresse.
L’eau potable provenant des rivières
est-elle encore suffisamment propre ?
En Suisse, un tiers des nappes souterraines qui servent à l’approvisionnement en eau potable est alimenté par des infiltrations en provenance des cours d’eau. Leurs berges jouent ici un rôle très important dans la protection contre les contaminations chimiques et bactériologiques. Mais, disent les experts, cette barrière n’est pas infranchissable et on ignore encore largement quels seront les impacts des changements climatiques sur ce système naturel de filtration. Les chercheurs se sont efforcés d’en savoir plus sur les processus naturels qui favorisent ou qui freinent l’élimination des substances polluantes contenues dans les eaux de surface. C’est surtout pendant les périodes de grande chaleur qu’il faudra observer avec attention les échanges entre les écoulements superficiels et souterrains.
- Sur ce thème, voir aussi l’article : "Maintenir la propreté des rivières pour garantir la bonne qualité de l’eau potable"
aqueduc.info, 9 septembre 2014.
DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DE L’EAU

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Quelles stratégies l’agriculture doit-elle adopter
pour répondre à la pénurie d’eau ?
Selon les modèles de calcul, il faudrait à l’agriculture suisse, d’ici au milieu du siècle, quelque 154 millions de m3 d’eau d’irrigation par an pour éviter une perte de rendement due à la sècheresse. Les chercheurs, qui ont pris pour terrain d’étude la région de la Broye, ont conclu que l’augmentation des besoins en eau - au cours d’une année moyenne affichant un niveau élevé de production - ne pourrait pas être couverte par les seuls prélèvements dans les rivières de la région. Trois types de solutions s’offrent aux agriculteurs : privilégier la production (mais cette option, valable dans des zones restreintes, n’est pas réaliste à l’échelle de la région), privilégier l’environnement (mais il faut alors se faire à l’idée que les rendements seront faibles) ou adopter une stratégie de compromis qui entraînerait une légère diminution des rendements agricoles, des impacts restreints sur l’environnement et une moindre demande en eau sans devoir aller la puiser dans de grands réservoirs comme le Lac de Neuchâtel.
Quelles mesures faut-il prendre pour préserver
les prestations des écosystèmes aquatiques ?
Les écosystèmes aquatiques fournissent des "services" essentiels à la vie dans de multiples domaines comme la production alimentaire, la purification de l’eau, la fourniture d’énergie, la protection contre les crues, la préservation des espèces végétales et animales, etc. Mais ces fonctions ne peuvent être remplies de manière satisfaisante que si cet environnement hydrologique est préservé dans son état le plus naturel possible. Déjà mis fortement à mal par certaines pratiques économiques et sociales - faut-il rappeler par exemple la disparition d’innombrables marais en Suisse ? – ces écosystèmes ne sont pas à l’abri, et de loin pas, de nouvelles pressions liées aux changements climatiques. Comment, entre autres, concilier leur protection avec les impératifs de production agricole ? La décision passera forcément par une pesée des intérêts bien compris de l’homme et de la nature.
Quelles synergies faut-il développer pour garantir
une gestion de l’eau mieux coordonnée ?
Très longtemps les problèmes liés à la gestion de l’eau ont été traités de manière compartimentée entre les différents secteurs concernés (distribution de l’eau potable, traitement des eaux usées, production d’énergie hydraulique, protection des rivières, etc.) et entre les diverses entités politiques (Confédération, cantons, communes). L’importance d’une concertation entre tous les acteurs du domaine de l’eau apparaît aujourd’hui comme une évidence et les recherches menées dans le cadre du PNR 61 ont fait la démonstration que la nécessité d’une approche "intégrée" n’a plus à être prouvée. Mais elles n’en concluent pas à une formule passe-partout qui ferait du bassin versant le territoire idéal : tout dépend de l’objectif visé et du contexte régional. Les experts proposent plutôt "un compromis typiquement suisse qui laisse une marge de manoeuvre suffisante aux cantons et aux communes pour fixer leurs priorités et procéder aux adaptations nécessaires en fonction du contexte local".
Comment assurer une planification à long terme
des infrastructures de distribution
et de traitement de l’eau ?
Les infrastructures d’eau – réseaux et installations de traitement d’eau potable et d’eaux usées – ont certes une longue durée de vie, mais leur remplacement est très coûteux : ces 40 prochaines années, les infrastructures publiques suisses de l’eau nécessiteront plus de 80 milliards de francs d’investissements. Dans le cadre du PNR 61, sur la base de modèles de vieillissement des infrastructures et compte tenu de différents scénarios d’évolution climatique et socio-économiques, onze alternatives de décision stratégiques possibles ont été développées selon les configurations techniques (par ex. traitement central ou décentralisé), les modes de rénovation (par ex. rénovation continue ou absence de remplacement) ou les types de gestion (par ex. services publics ou privatisés).
aqueduc.info
Quelles incidences les changements climatiques
vont-ils avoir sur le charriage
dans les rivières de montagne ?
Les modifications des régimes saisonniers et les fortes variations de débit occasionnées par les changements climatiques auront des impacts sur le transport des sédiments, sur la morphologie et la dynamique des rivières de montagne, mais aussi sur leur écologie et en particulier sur l’habitat et le développement des populations de truites fario. Pour que les poissons déposent leurs œufs sur un banc de sédiments, celui-ci doit réunir de bonnes conditions de température, de profondeur, de débit et de structure du lit de rivière. L’accroissement de la profondeur d’érosion peut faire problème en période de reproduction : s’il y a trop de sédiments, les œufs sont enfouis beaucoup trop profondément ; à l’inverse, si la quantité de sédiments est insuffisante, le lit du cours d’eau s’érode, son débit s’accélère et les œufs sont emportés par le courant.
Faut-il conserver, voire réhabiliter,
les canaux traditionnels d’irrigation des prairies ?
Pendant des siècles, les prairies, terres arables et autres vignes sèches des vallées alpines arides, particulièrement en Valais et dans les Grisons, ont été irriguées par le biais de systèmes qui font partie du patrimoine. Mais, au fil des dernières décennies, ce type d’arrosage traditionnel par ruissellement a souvent été remplacé par toutes sortes de canalisations préfabriquées alimentant des asperseurs. Selon les études menées dans le cadre du PNR 61, le choix d’un type ou l’autre d’irrigation ne semble pas entraîner de différences notoires en termes d’effets sur la biodiversité des prairies, sauf que les systèmes d’aspersion entraînent une homogénéisation du paysage. Par contre, en forêt, les canaux ouverts stimulent de toute évidence la végétation et la croissance des arbres. À noter aussi qu’une meilleure collaboration est souhaitée entre les institutions traditionnellement chargées de la gestion de ces canaux d’irrigation et les agriculteurs, autorités communales, offices du tourisme, organisations écologistes et autres acteurs liés à leur bassin versant.
- Sur ce thème, voir aussi l’article : "Un modèle de gestion durable de l’eau : les canaux d’irrigation"
aqueduc.info, 8 juillet 2014.
Que faut-il faire pour garantir
une eau de rivière de bonne qualité ?
Les modèles de prévision mis au point et testés dans deux bassins hydrographiques moyens du Plateau suisse (Gürbe, dans le canton de Berne, et Mönchaltorfer Aa, dans le canton de Zürich) montrent clairement que l’état futur des cours d’eau sera davantage déterminé par les activités humaines que par l’évolution du climat. En d’autres termes, il importe à la fois de prendre des mesures efficaces contre la pollution chimique des eaux dans les zones urbanisées et dans l’agriculture, et d’améliorer l’état écologique actuel des rivières, grâce par exemple au reboisement des rives qui permet d’atténuer la hausse des températures de l’eau en aménageant des zones ombragées le long des cours d’eau. Les problèmes étant connus, il s’agit de les anticiper sans attendre : le projet fournit à cet égard des outils d’aide à la décision permettant d’opter pour la meilleure solution possible.
Quelles sont les stratégies durables
d’utilisation de l’eau en temps de pénurie
et de changement global ?
Cinq messages-clés se dégagent des recherches menées en Valais sous le label du projet [Montanaqua], à savoir :
– les répercussions du changement social et économique seront plus décisives que le changement climatique pour la situation de l’eau vers 2050 ;
– les quantités d’eau disponibles annuellement sont globalement suffisantes aujourd’hui et jusque vers 2050 ; malgré tout, une pénurie d’eau saisonnière peut survenir dans certaines régions ;
– les problèmes de l’eau sont avant tout des problèmes de gestion au niveau régional ;
– des mesures d’infrastructure dépassant les limites communales peuvent contribuer à garantir durablement l’approvisionnement en eau, mais seulement si elles sont intégrées à des réformes sociales et institutionnelles approfondies ;
– pour une planification efficace d’un approvisionnement en eau plus durable au niveau régional, il convient absolument d’améliorer les bases de données et la transparence.
- Voir aussi dans aqueduc.info les différents articles consacrés au projet Montanaqua.
Résumé adapté et rédigé par Bernard Weissbrodt