Les commissaires de l’exposition ne vous laissent pas le choix. Avant même d’avoir pu poser le moindre regard sur le premier tableau, vous voilà « embarqués », yeux et oreilles, dans une aventure vidéo qui va profondément et durablement conditionner votre parcours.
The Raft, de toute évidence inspiré par le Radeau de la Méduse de Géricault, l’artiste américain Bill Viola l’a conçu comme un plan fixe dont le ralenti vous offre le temps de voir, ou plutôt vous contraint bon gré mal gré à partager le flot d’émotions entre vie et mort qui submergent la vingtaine de personnages agressés par une trombe d’eau aussi violente qu’imprévisible. Et qui, passée la catastrophe, essaient tant bien que mal de se ressaisir et de comprendre ce qui leur est arrivé.
Le déluge. Avant. Pendant. Après. Des peintres, dès le 16e siècle, ont choisi de s’interroger sur ce qu’était l’humanité avant l’inondation mythique et d’imaginer ce qui a pu provoquer une telle fureur des éléments contre les « antédiluviens ». D’autres – ce fut le cas particulièrement jusqu’à la Renaissance – se sont attardés à décrire le moment fatidique du fléau, lorsque la terre fut quasiment recouverte d’eau et que les derniers rescapés tentèrent de s’agripper désespérément à quelque improbable récif, barque ou débris du vieux monde. Tandis qu’au loin l’Arche de Noé préfigure la résurrection de l’humanité. Et que d’autres, déjà, se mettent à dessiner le jour d’après.
Au fil des salles de l’exposition, on prend peu à peu conscience des changements de regards et des glissements de sens que vont engendrer la désacralisation de l’événement biblique, en même temps que naissent les explications scientifiques des phénomènes terrestres. L’évocation littérale du désastre fait place à une description panoramique des paysages. Le déluge lui-même devient une catastrophe parmi d’autres violences de la nature. On commence aussi à s’intéresser aux drames individuels et familiaux davantage qu’à la catastrophe collective de l’humanité.
Que retenir dès lors de cette initiation aux multiples visions du déluge ? « De l’interprétation spirituelle et figurative aux tentatives de lecture scientiste, écrit Maria Susana Seguin dans le catalogue de l’exposition, le récit du déluge et ses interprétations diverses nous rappellent que toute pensée rationnelle se nourrit des hésitations de l’esprit, des tentations hermétiques, des pouvoirs de l’imagination, que nous prenons souvent pour des démonstrations scientifiques. »
Bernard Weissbrodt
Pratique
– « Visions du déluge » - Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, Palais de Rumine, Place de la Riponne, Lausanne - Du 2 février au 29 avril 2007
– Heures d’ouverture : mardi-mercredi, 11h-18h ; jeudi, 11h-20h ; vendredi-dimanche, 11h-17h.
– Catalogue de l’exposition « Visions du déluge, de la Renaissance au XIXe siècle », textes de Rémi Cariel, Jean-Claude Lebensztejn, Maria Susana Seguin et Sylvie Wuhrmann.
– Site internet du Musée : www.beaux-arts.vd.ch