On le sait depuis longtemps et ce n’est somme toute que très logique : à force de prélever de l’eau dans les nappes souterraines sans attendre qu’elles se rechargent au rythme des saisons, on court le risque de les assécher, d’entraîner une baisse de la production agricole et d’accroître ainsi l’insécurité alimentaire. Mais, pour la première fois, une équipe internationale de chercheurs a quantifié cet appauvrissement des aquifères : 11 % des eaux souterraines prélevées à des fins d’irrigation servent à la production de denrées qui sont ensuite échangées sur les marchés internationaux. En dix ans, la proportion de ces prélèvements non durables a augmenté de 22 %. Et les deux tiers des produits exportés proviennent de trois pays : Pakistan, États-Unis et Inde.
Il existe déjà de très nombreuses études scientifiques faisant le lien entre l’exploitation des ressources en eau et le commerce alimentaire international. La notion d’empreinte hydrique [1] par exemple est aujourd’hui connue d’un large public. Mais jusqu’ici les chercheurs ne s’étaient pas encore vraiment intéressés à l’impact que la production agricole peut avoir sur les réserves d’eaux souterraines, en particulier lorsqu’elles ne sont pas réapprovisionnées par le cycle naturel de l’eau.
Dans l’étude qu’ils viennent de publier dans la revue Nature [2], quatre chercheurs travaillant notamment au University College de Londres et au Goddard Space Flight Center de la NASA aux États-Unis ont tenté de combler cette lacune en calculant les quantités d’eaux extraites des aquifères et en les comparant à leur taux de recharge naturelle, compte tenu des besoins naturels d’écoulement liés à l’environnement.
Pour ce faire, ils ont combiné des données de productions agricoles collectées par la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, avec un modèle hydrologique déterminant les quantités d’eau utilisées pour produire et commercialiser 26 types de cultures et 360 de leurs sous-produits (céréales, farine, pain, huile, sucre, etc.). Entre autres résultats de ces analyses, on notera que :
– entre les années 2000 et 2010, le taux de prélèvement non durable s’est accru de 22%, passant de 240 à 292 kilomètres cubes d’eau ;
– dans la même période, il s’est particulièrement aggravé en Chine (+102%), aux États-Unis (+31%) et en Inde (+23%) ;
– la plupart de ces prélèvements se concentrent dans des régions dont les aquifères sont déjà surexploités (États-Unis, Mexique, Moyen-Orient et Afrique du Nord, Inde, Pakistan et Chine), c’est-à-dire dans des pays leaders de la production agricole et ceux qui abritent les grandes métropoles urbaines de la planète ;
– les cultures les plus gourmandes en eau souterraine sont le blé (22 %), le riz (17 %), les plantes sucrières (7 %), le coton (7 %) et le maïs (5 %) ;
– 11 % des eaux souterraines prélevées à des fins d’irrigation servent à la production de denrées alimentaires qui sont ensuite écoulées sur les marchés internationaux (où sont échangés 18 % de toutes les productions agricoles de la planète).
Les auteurs de cette recherche espèrent ainsi aider les décideurs et les planificateurs à améliorer la durabilité des usages de l’eau souterraine et de la production alimentaire. Entre autres solutions, ils encouragent les pays producteurs à adopter des stratégies visant à plus grande efficacité des méthodes d’irrigation, une meilleure régulation des pompages d’eau ou à l’exploitation de cultures davantage résistantes à la sécheresse. Quant aux pays importateurs, ils sont invités à mieux soutenir les modes d’irrigation durables pratiqués par leurs partenaires commerciaux. (Sources : Nature / NASA’s Goddard Institute for Space Studies)