Le "village lacustre" : cette représentation imaginaire, née au lendemain des premières découvertes - au milieu du 19e siècle - des vestiges de sites préhistoriques sur les rives de lacs du Plateau suisse, a longtemps imprégné les esprits de ce pays en quête d’ancêtre idéal et de mythe rassembleur. Jusqu’au jour où, un bon siècle plus tard, archéologues et climatologues réussirent non sans peine à déconstruire ce qui n’était qu’illusion d’optique. Qui pouvait imaginer que dans un lointain passé les lacs suisses avaient connu à plusieurs reprises de fortes variations de niveau ? Et que les pilotis jadis porteurs d’habitats mais aujourd’hui submergés avaient été plantés en terrain sec, en bordure de lac, et non dans l’eau ? Afin de gommer définitivement les fausses interprétations, voilà pourquoi le vocabulaire a également évolué : on préfère désormais parler de "village littoral", ou plus précisément encore de "palafittes" – "pieux plantés" - un mot emprunté à la langue italienne.
En 2011, sous l’étiquette "Sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes", l’UNESCO a inscrit à son Patrimoine mondial une liste de 111 sites, recensés et répartis dans six pays autour de l’Arc alpin, comme autant de témoins, trop peu étudiés et encore mal connus, des conditions de vie à l’époque du Néolithique et de l’Âge du Bronze.
56 de ces sites se trouvent en Suisse et l’ouvrage publié sous les auspices de la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS) [1] a pour but de faire connaître ce patrimoine remarquable, "en faisant revivre les lieux où ont vécu les premiers agriculteurs-éleveurs de nos régions, il y a plus de six mille à trois mille ans".
En une petite centaine de pages, cet ouvrage propose un bref aperçu de la découverte et des recherches entreprises sur les palafittes depuis la fin du 19e siècle ainsi qu’une vingtaine d’itinéraires vers des sites palafittiques suisses offrant des collections et des parcs archéologiques, des sentiers didactiques ou des reconstitutions de villages préhistoriques.
Les auteurs de ce guide savent bien que leur propos n’est pas sans risques, car "comment visiter de tels vestiges, s’il ne reste aujourd’hui de ces villages que quelques morceaux de bois plantés dans le sable, l’argile ou la craie de nos lacs" ?
En fait, c’est une question à laquelle la plupart des archéologues sont pratiquement toujours confrontés sur les sites préhistoriques : soit ceux-ci sont submergés ou enfouis et donc invisibles, soit ils ont fait l’objet de fouilles puis recouverts, voire détruits, ou reconstitués tant bien que mal dans des musées.
À cela s’ajoute le fait que les sites littoraux immergés posent des problèmes particuliers de conservation et de protection, qu’ils sont sous la menace de risques de dégradation liés à la dynamique des eaux lacustres ou à des activités humaines de toutes sortes.
Le guide prend les devants : sur le terrain ou dans les musées, le visiteur des sites palafittiques se devra de faire appel à toute son imagination pour se représenter ces villages riverains et les activités de leurs occupants, et tenter de visualiser aussi "des plages lacustres libérées par les eaux, plus ou moins couvertes d’une végétation pionnière, d’arbustes ou de roseaux suivant le sol ou les époques". Qui a dit que l’imagination et le savoir ne font pas toujours bon ménage ? (bw)
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