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19 avril 2012.

Renaturer les rivières ? ce n’est pas si simple que ça !

ÉDITO AVRIL 2012 Place aux rivières ! disait-on en Suisse il (...)

ÉDITO AVRIL 2012

Place aux rivières ! disait-on en Suisse il y a quelques mois après la révision de la loi sur la protection des eaux qui doit permettre à nombre de cours d’eau de ce pays, souffrant pour ainsi dire d’artériosclérose, de retrouver enfin un état plus naturel.

Cet optimisme vient d’être quelque peu refroidi par une commission parlementaire fédérale, laquelle réclame un correctif aux règlements d’application de la loi pour motif qu’ils accorderaient trop de poids à la revitalisation des eaux et pas assez aux intérêts de l’agriculture et de l’aménagement urbain.

Pour mémoire, une initiative populaire lancée entre autres par des associations de pêcheurs et d’écologistes, munie de plus de 160’000 signatures, avait réclamé en 2006 l’assainissement et la renaturation des cours d’eau auxquels nombre d’aménagements hydroélectriques avaient porté atteinte.

S’en était suivi un large débat politique qui, à force de compromis subtils, avait débouché au Parlement fédéral sur un contre-projet qui oblige désormais les cantons à réserver assez d’espace aux cours d’eau pour qu’ils puissent remplir leurs fonctions naturelles, à encourager des programmes de renaturation et à réduire les effets nuisibles des éclusées et des débits insuffisants en aval des centrales hydroélectriques. Autant d’obligations assorties de modalités de cofinancements, d’indemnités et de mesures de compensation.

Après s’être longtemps focalisé sur les problèmes liés à la production d’énergie hydraulique, le débat, depuis l’entrée en vigueur de la loi révisée, paraît s’être déplacé principalement du côté des terrains agricoles et des zones constructibles. Il faut savoir qu’actuellement, 40 % des eaux du Plateau suisse sont endigués et cette proportion est encore deux fois plus grande dans les agglomérations.

L’initiative des pêcheurs et des écologistes prônait une large revitalisation des eaux, mais le Parlement avait par la suite réduit leurs exigences : sur les quelque 15’000 kilomètres de cours d’eau très construits, seuls 4’000 seront revitalisés ; en contrepartie, ceux-ci profiteront d’un espace réservé minimal à définir dans l’ordonnance qui précise la façon d’appliquer les modifications de la loi (voir ci-contre).

Cela dit, on estime grosso modo que d’ici la fin du siècle l’élargissement des rivières ne devrait entraîner qu’une perte de 2’000 hectares de surface agricole utile. On est donc loin des superficies conquises au détriment des eaux de surface au cours des deux derniers siècles.
Dans bien des cantons, de nombreux projets de renaturation, à petite ou grande échelle, ont déjà été menés à bien, sont à l’étude ou en cours de réalisation.

Cela ne va pas sans de multiples contraintes de toutes sortes : physiques (topographie, du système hydrologique, respect du tracé d’origine, etc.), biologiques (espèces à sauvegarder, ou au contraire indésirables), foncières (délimitation des terrains), financières (budgets et subventions), administratives (mises à l’enquête), techniques et opérationnelles (conditions d’accès sur le terrain, choix des équipements, gestion des matériaux excavés, etc.)

C’est la mise en œuvre, ici et là, de différents projets qui peu à peu a fait émerger les problèmes concrets et parfois conflictuels dont certains parlementaires n’ont pas tardé à se faire l’écho. Au point que la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (Chambre du peuple), après un vote interne (10 voix contre 10 et une abstention), demande formellement au Gouvernement fédéral de "modifier l’ordonnance d’application de manière à ce que les intérêts de l’agriculture ainsi que de l’aménagement du milieu bâti soient mieux pris en considération". La minorité de la Commission estime quant à elle que l’exécution de la loi est correcte et craint que l’équilibre trouvé dans la révision de la loi ne soit remis en question.

Voilà qui promet, dans les mois qui viennent, de belles empoignades politiques entre les différents lobbies. Mais qui prouve aussi, s’il en était encore besoin, que l’on est bel et bien entré, s’agissant du domaine de la gestion de l’eau, dans une période où les divergences d’intérêts risquent de se multiplier : les changements climatiques déjà perceptibles vont exacerber les concurrences entre les secteurs de l’approvisionnement en eau potable, de l’agriculture, de la production hydroélectrique, du tourisme et autres, en même temps qu’ils se verront confrontés aux impératifs d’une gestion saine et durable des ressources hydriques.

Et ce n’est pas pure coïncidence de calendrier si le débat autour de la renaturation des rivières surgit au moment où l’Office fédéral de l’environnement met en circulation un guide pratique pour une gestion intégrée des eaux par bassin versant. C’est-à-dire cet espace hydrique naturel où apparaissent les conflits potentiels et les interdépendances, là aussi, et nulle part ailleurs, où doivent être trouvées les solutions et les synergies.

Bernard Weissbrodt


Sur ce même thème, voir les articles aqueduc.info
 Récompense nationale pour le projet de revitalisation de l’Aire (Genève) (mai 2012)
 Renaturation des eaux : les cantons suisses ont quatre ans pour planifier leurs travaux (27 mai 2010)
 La Suisse modifie ses lois pour garantir un meilleur état naturel des rivières et des lacs (14 décembre 2010)

Voir aussi
 le n° 3/2011 du magazine ‘environnement’ - “Place aux cours d’eau !” - publié par l’Office fédéral de l’environnement et son dossier spécial sur la révision de la loi suisse sur la protection des eaux.
 le projet romand de base de données Renatura-data sur le site de La Maison de la Rivière




Infos complémentaires

Travaux de renaturation du
Creuson (Vaud) - AVANT ...

:: Revitalisation
des eaux
et espace réservé

La législation suisse définit la revitalisation comme "le rétablissement, par des travaux de construction, des fonctions naturelles d’eaux superficielles endiguées, corrigées, couvertes ou mises sous terre"

L’Ordonnance sur la protection des eaux prévoit en règle générale, hormis le cas des biotopes dûment recensés, que la largeur de l’espace réservé aux rivières mesure au moins 11 mètres pour les cours d’eau dont la largeur naturelle du fond du lit est inférieure à 2 m.

Pour les cours d’eau mesurant entre 2 et 15 m, il faudra compter un espace correspondant à deux fois et demie la largeur du fond du lit + 7 mètres. Au-delà de 15 mètres, cet espace sera équivalent à la largeur naturelle du fond du lit + 30 mètres.

L’Ordonnance restreint fortement les possibilités d’aménagements dans ces espaces réservés (chemins pédestres, ponts, lutte contre l’érosion, protection contre les crues, etc) et n’y autorise que des activités agricoles extensives à faible productivité et sans engrais ni produits phytosanitaires.

... PENDANT ...

:: Le correctif demandé

La motion déposée le 3 avril 2012 par la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national demande au Gouvernement fédéral,
entre autres,

 "de prendre en considération les intérêts agricoles et de tenir davantage compte des intérêts plaidant en faveur d’une densification de la zone constructible",
 de donner davantage de compétence et de flexibilité aux cantons "afin qu’ils puissent mieux prendre en compte les intérêts liés à la protection des surfaces agricoles et aux installations agricoles dont l’implantation est imposée par leur destination",
 "de modifier la définition d’une exploitation extensive de l’espace réservé aux eaux en appliquant les règles sur les prestations écologiques requises en vigueur" (soit une bordure tampon d’un minimum de 6 mètres dont 3 m sans fumure ni produits phytosanitaires),
 "de consulter et d’associer aux décisions les propriétaires et exploitants des surfaces concernées".

... APRÈS
(photos aqueduc.info)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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