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16 juin 2006.

Questions vitales autour du Rhône genevois : comment concilier respect de la nature et production d’électricité ?

Les Genevois, depuis plus d’un demi-siècle, s’étaient habitués à (...)

Les Genevois, depuis plus d’un demi-siècle, s’étaient habitués à voir tous les trois ans la retenue du barrage hydroélectrique de Verbois se vider telle une rivière des côtes atlantiques à marée basse. La dernière chasse du Rhône – puisqu’il faut bien l’appeler par son nom – remonte à 2003, mais l’année 2006 se passera de vidange. C’est que les pêcheurs genevois, « sentinelles avancées de l’alarme écologique », ont obtenu un moratoire. Le temps d’étudier les différents scénarios d’un plan de développement durable pour le Rhône genevois. Ce à quoi s’est notamment consacré, les 15 et 16 juin, un Congrès du Rhône réunissant quelque 250 participants venus de Suisse et de France. Auxquels s’adressait la question-clé du moment : « Du Léman à Fort l’Ecluse, quelle gestion pour le futur ? »

De toute évidence, le vert corridor de 27 kilomètres que parcourt le Rhône entre lac et frontière franco-suisse constitue un élément essentiel du patrimoine naturel genevois et de sa biodiversité. Mais, au fil du temps, on a doté le fleuve de barrages et de retenues comme autant de marches d’escaliers. Il s’agissait tout à la fois de répondre aux besoins de protection contre les débordements du Léman, de mieux gérer les crues de l’Arve et de produire une partie de l’énergie électrique dont a besoin le canton.

Le Rhône qui sort du Léman est plutôt rayonnant. Il a eu le temps de se rincer dans sa longue traversée du Lac. Mais à peine a-t-il quitté Genève qu’il se recharge aussitôt des eaux froides et grises de l’Arve, toute chargée des alluvions qu’elle a drainées dans sa descente des Alpes de Haute-Savoie. La rivière française n’a pas bonne réputation. On dit même qu’elle serait la plus déstabilisée des rivières d’Europe, elle qui a vu son fonctionnement extrêmement perturbé par un endiguement forcené et par des extractions massives de graviers. Au point que, fort déprimée, son lit s’enfonce de plus en plus et menace la stabilité de ponts, digues et autres ouvrages.

Depuis la mise en service du barrage de Verbois en 1952, l’Arve ne cesse de déposer d’énormes quantités de sédiments tout au long de la petite douzaine de kilomètres de la retenue. Ces sédiments, principalement constitués de sables fins et de limons, représenteraient, dit-on, un volume annuel moyen de quelque 400’000 mètres cubes.

Un remède aujourd’hui fortement controversé

Les chasses triennales ont été très longtemps considérées comme le seul remède possible et efficace contre l’envasement progressif de la retenue par les matériaux de l’Arve. Pendant soixante ans, elles ont permis de maintenir la perte de volume utile du barrage à 20% seulement.

L’opération est particulièrement spectaculaire, mais elle réclame beaucoup de vigilance et de synchronisation avec les ouvrages situés en aval. Une grosse masse des sédiments dont se délestent les Genevois se retrouve en effet au barrage français de Génissiat. Où l’on refait pareil, avec, en sus, des travaux de dragage qui se sont peu à peu révélés nécessaires.

L’hydroélectricité n’est pas toujours aussi « propre » que ce que l’on croit. S’adapter heure par heure à la demande d’énergie provoque des pics et des creux dans la production. Ce qui se traduit, au barrage, par de fréquentes et notables variations du niveau, du débit et de la vitesse de l’eau. Avec pour résultat que la végétation et la faune environnantes ont de la peine à suivre ces variations continuelles.

Le plus grave, ce sont les chasses. Elles provoquent des effondrements de rives et de roselières, assèchent les plantes aquatiques habituellement submergées et ont un impact certain sur la mortalité de certaines espèces d’oiseaux emportés par le courant tels les colverts, grèbes et autres foulques. Les poissons – dont la migration se heurte déjà aux barrages - sont irrémédiablement eux aussi entraînés vers l’aval, leur nourriture est emportée du fond du fleuve, leurs zones de reproduction disparaissent et, entre deux vidanges triennales, ils n’ont même plus le temps d’assurer leur descendance.

Massacre, dévastation, désastre. Les pêcheurs genevois ne mâchent pas leurs mots. A force de taper sur la table, ils ont obtenu du gouvernement cantonal qu’un groupe de travail examine l’opportunité des chasses du bassin de Verbois et propose des mesures alternatives. Et souhaitent que ce moratoire soit un premier pas décisif vers la suppression définitive de cette pratique.

Quelques scénarios

Les données du problème sont on ne peut plus claires. Il s’agit, résume Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement et animateur de la table ronde finale du Congrès, « de trouver des solutions qui permettent l’utilisation à long terme de la force hydraulique, tout en assurant les meilleures conditions de vie possible à la faune aquatique et aux rives naturelles ».

Les Genevois disposent déjà de quelques outils qui les aideront à trouver réponse à leurs questions. Quelques scénarios ont été élaborés, un bureau d’études hydrauliques en a réalisé une simulation numérique, un autre spécialisé dans les études d’impacts environnementaux a planché sur la durabilité de différents modes de gestion des sédiments.

Si Genève renonçait aux chasses du Rhône, la retenue de Verbois verrait probablement s’accumuler dans les 10 à 15 années suivantes une très grosse masse de sédiments, avant de trouver peu à peu un régime plus ou moins stable. Dans 50 ans, le volume d’eau utile du barrage ne représenterait plus qu’environ 40% du volume initial. À titre de comparaison, on n’a jamais pratiqué de vidanges au barrage hydroélectrique de Wettingen, sur la Limmat, en aval de Zurich, construit en 1932. Les experts estiment que dans un demi-siècle, il sera comblé et ressemblera à un lit de rivière surélevé.

Les avantages écologiques d’un arrêt des vidanges seraient indéniables : le fleuve retrouverait un bon état d’équilibre, les zones de faible profondeur s’étendraient, des zones alluviales pourraient être aménagées, la flore et la faune y trouveraient sans aucun doute leur compte. Mais pas l’économie genevoise : non seulement la maintenance du barrage et son rendement énergétique poseraient de nouveaux problèmes, mais des quartiers de Genève comme ceux de la Jonction et du Seujet devraient faire face à des risques d’inondations en cas de crues.

On connaît par expérience les côtés positifs d’une reprise des vidanges : elle garantirait l’équilibre des dépôts et des évacuations des sédiments du fleuve et faciliterait l’entretien comme l’exploitation des barrages. Mais, on l’a vu, on en sait aussi aujourd’hui un peu plus sur le prix à payer en termes de contraintes environnementales.

Pour une vision globale du fleuve

Il y a urgence, le temps presse, on ne retrouvera jamais le fleuve sauvage, disent les uns, convaincus que si l’on ne reprend pas très vite les chasses du Rhône, on risque de devoir faire face à une modification irréversible de la retenue de Verbois. Pour d’autres, il importe avant toute décision de prendre le temps de bien évaluer la situation et les scénarios possibles ; d’où la nécessité d’entreprendre des analyses complémentaires.

La première leçon que les 250 participants de ce premier Congrès du Rhône auront retenue, au-delà de l’énoncé des problèmes de la retenue de Verbois, va plus loin. Le fait d’avoir pendant deux jours continuellement juxtaposé les points de vue d’experts suisses et français a fait prendre conscience aux uns et aux autres qu’on ne peut se passer d’une vision globale du fleuve, de son glacier haut-valaisan jusqu’à son delta méditerranéen, sans oublier ses affluents. C’est tout un écosystème qu’il faut prendre en compte et dans son intégralité.

« L’embouchure du Rhône manque de sédiments, dit un expert du Sud de la France, elle ne reçoit que le tiers de ce qu’elle recevait il y a un siècle. Et ce n’est pas de sable dont nous avons besoin, mais de matériaux plus grossiers. » Sous-entendu : du genre de ceux que les gens de l’amont, Suisses et Français, retiennent dans leurs barrages ! La gestion du Rhône genevois ne pourra donc faire l’économie d’une réflexion à l’échelle du bassin versant. Ce qui suppose, évidemment, un renforcement des collaborations transfrontalières.


En amont, le Valais prépare sa 3e correction du Rhône…

Cette 3e correction du Rhône est une réponse aux crues de 1987 et 1993. Cet énorme projet, qui a pour but de protéger la plaine contre les inondations, nécessitera quelque 30 ans de travaux et plus d’un milliard de francs suisses d’investissements.

L’étude du plan d’aménagement est en cours d’élaboration en partenariat avec les administrations, les communes et les associations locales. L’avant-projet est attendu pour le début 2008.

Cette troisième correction – après celles des années 1860-1890 et 1930-1960 – a pour ambition de définir un fond du fleuve stable et durable, en prenant en compte le transport sédimentaire, la capacité d’évacuation du fleuve, mais aussi les besoins du marché des sables et graviers.

… En aval, la France met en place son Plan Rhône

Le Plan Rhône, décidé par le gouvernement français en juillet 2005, se veut un projet de développement durable. Il implique les collectivités territoriales et les partenaires directement concernés, à savoir, entre autres, les Régions Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Provence–Alpes-Côte d’Azur, ainsi que la Compagnie Nationale du Rhône (entreprise concessionnaire chargée depuis 1931 d’aménager et d’exploiter le fleuve).

Les ambitions de ce Plan se déclinent en plusieurs objectifs qui vont de la prévention des risques liés aux inondations à la valorisation du patrimoine rhodanien par un tourisme de qualité, en passant par une préservation des milieux aquatiques et de la biodiversité, la promotion d’un développement économique respectueux de l’environnement, ou encore l’amélioration du cadre de vie des riverains.

1er Congrès du Rhône , Genève, 15-16 juin 2006




Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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